POLITIQUE – Le Président de « Les Transformateurs », Succès Masra a fait une analyse de la politique du MPS de 1990 à nos jours mais aussi le diagnostic de l’état de la démocratie. Une interview qui s’inscrit dans le cadre de la célébration du 29e anniversaire de l’avènement de la démocratie et de liberté.

Quel souvenir avez-vous de la nuit du 30 au 1er décembre 1990 ?

Aucun souvenir sinon quelques jours plus tard, des promesses. Une promesse pour la liberté, une autre pour le progrès. Lesquelles des promesses sont restées aujourd’hui lettre morte pour nos compatriotes. Pour les 14 millions de nos compatriotes qui sont restés sans électricité, sans eau, évidemment, il n’y a aucun progrès dans leurs vies.

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Plus de 50% de nos concitoyens vivent dans la précarité, les millions des chômeurs, des acteurs politiques qui sont tués, le non-accès aux médias publics à ceux qui ne sont du bord du Président actuel, il faut dire que c’est une promesse de progrès et de liberté non-tenue.

Quelles analyses faites-vous de la politique menée par Idriss Déby Itno depuis son accession à la magistrature suprême en 1990 ?

Les Tchadiens ont fait le bilan. Et vous observez un ras-le-bol généralisé dans le pays qui est révélateur de ce désarroi. Il y a une absence de perspectives pour les générations des chômeurs que nous fabriquons. Il faut qu’on parle avec les chiffres et les faits. Le plus illustratif est que notre pays, malgré les ressources que nous avons eues, malgré les potentialités qui sont nôtres, malgré l’exploitation du pétrole est dernier au monde en termes de compétitivité, d’indice de capital humain. Et quand sur ces éléments essentiels, vous êtes évalués d’année en année comme étant le tout dernier à travers le monde, sur quel aspect voulez-vous que l’analyse se porte ?

Pour vous, il n’y a rien sur quoi une analyse sera portée ?

L’engagement de nos armées à la lutte contre le terrorisme est un fait à saluer. La participation de nos armées est à retenir

Dr Succès Masra

C’est ce que je suis en train de dire. Nous n’avons pas été à la hauteur sur l’essentiel. Et cet essentiel est la santé, l’éducation, l’emploi, les infrastructures, l’accès à l’eau potable. Sur l’ensemble de ces sujets là, nous sommes derniers au monde. Donc le bilan, sur ce côté qui est essentiel, nous n’avons pas été au point.

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Mais l’engagement de nos armées à la lutte contre le terrorisme est un fait à saluer. La participation de nos armées est à retenir. Dans mon intime conviction, lorsqu’on sauve une vie, on mérite tous les honneurs. Tous ceux qui ont été dans la chaine de commandement que cela soit le Président, les ministres ou nos soldats mérite que nous soyons attentifs à l’effort qu’ils fournissent. C’est pour cette cause nationale. Cela ne doit pas être le mérite d’un régime ou d’un chef d’Etat. Tous les responsables politiques doivent en faire un enjeu.

De la promesse faite par le président de la République, qu’est-ce que vous avez retenu des libertés publiques au Tchad ?

Dans une démocratie, la première liberté est celle d’expression. Il n’y a aucun pays dans le monde qui se dit démocratique et qui interdit les manifestations. Si on n’a pas la possibilité d’exprimer ses opinions de façon démocratique et pacifique, de quelle démocratie voulez-vous parler ?

L’accès aux médias publics reste un problème. C’est la même propagande de l’époque qui est reconduite aujourd’hui. La preuve : tous les jours, il y a un reportage sur la fondation de la première dame qui est une structure privée et un reportage sur le Président de la République. Ce sont les mêmes propagandes d’hier. La propagande du parti unique.

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Pour me résumer, on a changé de cirage mais c’est la même chaussure.  Il y a encore des leaders démocratiques dont la vie a été emportée et aussi, des activistes et journalistes sont en prison pour leur prise de position. Quand on met ça de bout en bout, de quelle liberté devons-nous en parler?

On dit que les armes de la démocratie sont des lois. Existent-elles des lois démocratiques au Tchad ?

L’essentiel dans la République est la loi fondamentale : la Constitution mais aussi la séparation des pouvoirs. Dans la Constitution, si tout ne va pas bien, ce qui en découle n’est que de la poudre aux yeux.

Dans la Constitution de la 4e République, le seul Président est le chef de l’exécutif dans ce qu’on appelle la présidence intégrale. Du pouvoir judiciaire, le Président de la Cour suprême qui doit incarner l’indépendance de la Justice n’est que deuxième vice-président du conseil de la magistrature suprême dont le Président est Idriss Déby Itno. Du pouvoir législatif, le Président de la République peut dissoudre le parlement mais le parlement ne peut pas accuser le chef de l’Etat parce qu’il est le chef de l’Etat et celui du gouvernement.

Ce qui veut dire que peu importe ce que la population peut penser, le président de la République contrôle l’exécutif, le judiciaire et le législatif. Cela s’appelle la dictature, l’autoritarisme mais c’est un autoritarisme à travers la loi fondamentale. Donc tout ce qui découle de cette loi est un problème.

Entre « la démocratie va mal » et « il n’y a pas de démocratie », que choisissez-vous ?

Il y a une promesse démocratique qui est assise sur les institutions ayant une dimension autoritariste, dictatoriale. La meilleure illustration, c’est quand le président dit que « nous sommes en Afrique et que le chef est le responsable de tous » et j’ajoute souvent qu’il est responsable de rien en ce qui nous concerne.  On ne peut pas être responsable de tous. Alors, par la disposition des choses, il faut que le pouvoir arrête le pouvoir.

Nous avons un cirage qui est la démocratie, la chaussure qui est la dictature. Nous avons juste mis un nouveau cirage sur la même chaussure d’hier.

C’est la démocrature comme on le dit souvent ?

Je le dis, c’est la même chaussure d’hier mais juste le cirage qui a changé. Le cirage d’hier était la dictature, celui d’aujourd’hui, la démocratie mais la même chaussure reste.  

De l’actualité, on accuse aujourd’hui Succès Masra de grand récupérateur politique, que plaidez-vous ?

Les Transformateurs ont capté l’espérance des Tchadiens. Il n’y a pas un parti au pouvoir qui a fait l’objet de beaucoup d’attention comme c’est notre cas. Au point où on a été même « invité d’honneur » au Congrès du parti au pouvoir.

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Notre projet de société fait de la Justice l’élément moteur de notre engagement. Si dans ce pays, les gens pensent qu’ils peuvent se livrer à des situations d’injustice et espérer que nous restions indifférents, c’est qu’ils se trompent.

Vous me voyez venir bâtir mon nom sur la tombe de quelqu’un qui a été assassiné dans des conditions horribles ? Au lieu de regarder cette injustice qui existe, on veut faire dire des parents des choses et en publiant les images des gens que nous sommes. D’autres sont passés avant nous, les parents n’ont pas parlé de récupération ? Et quand les Transformateurs arrivent, comme par hasard, on parle de récupération.

Je ne suis pas en quête de popularité ni de quel poste que cela soit. Même le titre de président de la République ne me fait pas perdre la tête.

Dr Succès Masra, President des Transformateurs
Pour vous, c’est une attaque contre les Transformateurs ?

Je ne suis pas dupe… On a dit à certains d’aller nous attaquer sur les réseaux sociaux. Le mot d’ordre a été donné au Congrès du parti au pouvoir. Cela ne m’étonne pas que quelqu’un réponde à cet appel de détresse lancé par celui qui dirige le parti au pouvoir et pas pour longtemps j’espère.

Il faut comprendre ceci : s’il y a des journalistes arrêtés, j’interviendrai, les activistes, les musulmans, chrétiens et hommes politiques, je ferai pareil. Cette injustice causée à la famille, on ne la voit pas mais c’est le déplacement des Transformateurs qui les intéresse. L’injustice est notre ennemi. Ceux qui perpétuent l’injustice doivent savoir que nous n’acceptons pas cela. Je ne suis pas en quête de popularité ni de quel poste que cela soit. Même le titre de président de la République ne me fait pas perdre la tête.

Propos recueillis par Mbaindangroa Djekornonde Adelph