L’emblématique maire de Moundou, Laoukein Kourayo Médard, nous a accordé un entretien le 28 avril. Sa réconciliation avec Nérolel Ndoukolé, ses projets, le statut de Moundou, ville économique, sont les sujets abordés.

Comment avez-vous apprécié l’initiative du gouverneur Bachar Ali Souleymane de vous réconcilier avec l’ancien maire Nerolel Ndoukolé  avec qui vous étiez en froid ?

Vous savez, je suis chrétien et le 23 novembre 2017 quand j’ai été libéré de la prison, j’ai écris une lettre pour envoyer dans toutes les églises, toutes congrégations confondues pour dire que j’ai pardonné à ceux qui m’ont fait ce tort. Parce que dans Exode 14, 14, Dieu a dit « à moi la vengeance » donc j’ai pardonné tout ce qui a été fait. Les instigateurs sont déjà partis, et voilà que nous les natifs nous sommes là. Donc, j’ai pardonné à ceux-là depuis le 23 novembre 2017 même si cela n’a pas été fait de manière officielle.  Ce que le gouverneur a fait ne me surprend pas, il n’a fait qu’officialiser ce que j’avais déjà fait.

Lors de votre élection comme nouveau maire le 22 avril, vous aviez dit que vous n’avez jamais un seul instant pensé revenir à la tête de cette commune. Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

Je sais pourquoi j’ai dis cela. Vous savez quand on devait m’arrêter, il suffisait tout simplement qu’on me téléphone : M. Laoukein on a besoin de vous au commissariat ou à la brigade.Je viendrai peut-être sans escorte, il suffisait tout simplement qu’on m’envoie une convocation. Mais je suis obligé de donner les noms et ça m’engage. Mahamat Bechir Cherif Daoussa, l’ancien gouverneur de la province, a voulu qu’on m’élimine à la maison. Il est actuellement ministre de l’Administration du territoire, ça ne me fait pas peur de dire la vérité le concernant. Il a envoyé six véhicules bourrés de fantassins qui ont tiré pendant deux heures de temps dans mon quartier. J’étais en train de me reposer et j’ai demandé à ma femme qu’est-ce qui se passe dehors ? Alors ma femme qui est sortie pour revenir précipitamment me dire que les gens sont venus pour m’arrêter. J’ai dis pour m’arrêter, il faut tous ces tintamarres ? Je me suis habillé pour sortir. Pendant ce temps, la population a déjà mis une bonne partie des policiers en débandade. Je suis sorti moi-même pour calmer le jeu et demander à la population d’arrêter et je suis rentré dans la voiture pour me présenter au commissariat. Je le répète, arrivé au commissariat, on a tenté de nous empoisonner par quatre fois. Nous avons découvert et nous avons demandé à nos  femmes de prendre tout ce repas pour aller mettre dans les WC et qu’il ne fallait même pas donner aux chiens.

Quand on nous a déféré à la maison d’arrêt, le mardi 19 juillet à 19h 30mn, le même gouverneur a encore envoyé des gens à la maison d’arrêt pour me soustraire parmi les autres pour aller m’étrangler. Heureusement ce jour, il y avait 638 prisonniers à la maison d’arrêt de Moundou. Ce jour-là, tous les prisonniers se sont soulevés pour dire si un seul cheveu de Laoukein tombe, ils vont tout casser et demain il n’aura pas de maison d’arrêt à Moundou. C’est comme cela que j’ai eu la vie sauve ce jour, mais ce n’était pas tout. Ils se sont encore arrangés au quartier Guelkoura avec certaines femmes qui nous ont apporté des denrées alimentaires à 5h du matin. J’ai pris le truc moi-même, vu qu’entretemps, on a déjà eu vent que ces femmes ont été corrompues à hauteur de 400 000F.  Mais la première femme a pris 350 000F pour ne laisser que 50 000F à l’autre. Celle qui a eu 50 000 n’était pas d’accord et c’est elle qui a pris le clando pour aller nous dire à la maison d’arrêt que demain telle femme va vous apporter un truc empoisonné. Effectivement elle a apporté les denrées. J’ai donné de l’argent à un gendarme pour aller acheter deux coqs pour vérifier si le produit livré est vraiment empoisonné. J’ai pris les grains de sésame pour donner à ces coqs. Deux jours plus tard, leurs plumes se détachaient et leurs ventres étaient enflés. C’était de l’hydropisie, il y avait de l’eau plein dans le corps. C’est en ce moment que le procureur général a eu vent de la nouvelle et il a donné des instructions à son substitut pour aller nous demander les noms de ces femmes pour pouvoir les arrêter. Moi j’ai dis non on ne peut pas arrêter ces pauvres femmes là. Si seulement quelqu’un avait gouté oui mais on n’a pas gouté donc ça va. Le procureur général a insisté mais nous n’avons pas donné les noms de ces femmes jusqu’à l’heure où je parle. Donc c’est pour dire que je pensais déjà mourir, je ne pensais pas être encore en vie pour revenir une fois ici dans cette commune. Je revenais de très loin.

Vous aviez aussi dis qu’on vous a donné cette latitude d’essayer si vous pouvez encore relever la commune de Moundou. Est-ce autant dire qu’elle est tombée ?

La mairie de Moundou est aujourd’hui au bord du gouffre et elle risque d’aller au fond si on ne fait rien. Ce n’est pas quelqu’un qui nous a dit de relever le défi.

J’ai aussi dit si j’ai bonne mémoire, la mairie de Moundou est malade du fait de ses propres fils parce que je crois l’avoir dit, pour aider une commune à sortir de ce carcan de sous-développement, il faut bien l’aimer. Une ville, un maire doit l’avoir dans son cœur, quand on n’a pas sa ville dans son cœur on ne peut la développer. Cette ville nous a vu naître, donc tout ce que nous on peut faire pour elle c’est de l’aimer, ça veut dire l’entretenir pour qu’elle soit belle et pour qu’elle soit belle, il faut bien des moyens. Je vous le dis en toute sincérité, c’est la troisième fois que je reviens ici dans cette commune. La première fois en partant, on était en train de passer le service, j’ai dis : M. Nekissel, vous avez 58 millions que j’ai laissé là au trésor vous pouvez l’utiliser en attendant de faire votre propre recette. Entre temps j’ai fais commander deux gros bus, à l’époque ça n’existait pas, pour le transport urbain. Ça allait générer des fonds mais pendant que j’avais dis ça, ils ont envoyé des gens ici vendre les bus directement depuis le port de Douala. Ce qui veut  dire que les natifs de Moundou n’aiment pas le développement de cette ville. Maintenant, on réfléchit à ce qu’il faut faire pour l’élever.

Vous avez pris fonction dans un contexte un peu difficile. Quel est le problème que vous souhaitez aborder en priorité ?

L’éternel problème de Moundou depuis 1923 est le problème d’inondation qu’il faut relever. Quand le lieutenant Reverdi a fait le plan cadastral dans cette ville, ils ont aussitôt fait des canalisations. Mais par manque d’outils topographiques, ils ont tout bonnement orienté les canalisations vers le fleuve pensant que la pente naturelle devait se trouver de ce côté-là mais en réalité le niveau du Logone est plus haut que là où nous sommes. Ce qui fait que chaque fois qu’il y a crue, les eaux reviennent par l’ouest dans le lac Wey qui, à son tour, vomi toutes les eaux fluviales dans la ville de Moundou. C’est l’éternel problème d’inondation de Moundou. Quand j’étais maire pour la deuxième fois, j’avais présenté un projet intitulé coulée verte d’un montant de 15 milliards FCFA à l’Agence française de développement (AFD). Ce projet allait être réalisé mais on m’a arrêté et ça a tout stoppé. Les deux dames qui étaient installées et M. Alfarouk qui était le coordinateur ont été rappelés. L’AFD a dit que c’est Laoukein qui a élaboré ce projet, c’est  lui qui est allé défendre à Paris donc on ne peut pas laisser ce projet a quelqu’un d’autre. C’est comme ça qu’on a perdu les 15 milliards gratuitement par la cupidité de nos chefs administratifs qu’on nous balance de temps en temps depuis N’Djamena.

Pendant que j’étais même en dehors de la mairie, je suis allé même voir M. Thibault pour lui dire que vous n’allez pas vraiment condamner toute une population à cause de moi seul. Je l’ai supplié mais il m’a dit non. Il m’a dit que j’ai une grande connaissance du terrain donc il n’y a que moi qui puisse gérer ce projet. Comme je suis revenu, on va essayer de relancer les choses si ça peut marcher.

Vous êtes à la tête d’une ville qui est réputée être la capitale économique du Tchad. Au vu de ce que vit Moundou de nos jours, est-ce que ce statut ne peut pas être remis en cause ?  

Ça même vous le savez mais pourquoi vous poser cette question ? Moundou n’est pas une capitale économique en ce moment, que ça plaise ou pas aux détracteurs. Moundou est, en ce moment étouffée. Moundou produisait autrefois la bicyclette et autres avec la société Cyclo-Tchad. Les gens ont tout fait pour envahir le marché tchadien avec des bicyclettes indiennes qui faisaient à l’époque 40 000F l’unité alors que Zephyr faisait les bicyclettes à 80 000F et 95 000F. Donc les gens ont préféré se tourner vers les bicyclettes indiennes et Cyclo-Tchad était obligé de fermer ses portes. Et puisqu’il fallait aussi payer les droits sociaux des employés alors Cyclo-Tchad est obligé de vendre tout l’immeuble pour payer les droits sociaux. Maintenant, Cyclo-Tchad est devenu camerounais. La MCT aujourd’hui a démonté toutes ses machines, une bonne partie ira en RCA, la deuxième partie ira au Mali donc tout ce que vous voyez là ce ne sont que des entrepôts. Ça fait en gros un demi-million des chômeurs qu’on va avoir sur le bras avec la disparition de Cyclo-Tchad. L’huilerie et la savonnerie, les Tchadiens sont allés pour être des actionnaires d’une savonnerie qu’on appelle AZUR à Douala, alors que nous avons une savonnerie ici. Le savon AZUR arrive ici à 250F et l’Huilerie produit à 300, 350F donc la savonnerie a disparu, ça n’existe plus. Dans un passé récent, ils ont même fermé les brasseries pour un temps, la CotonTchad même en ce moment est en train de battre de l’aile malgré le coup de main d’OLAM. Donc Moundou, à vrai dire, n’est pas une capitale économique en ce moment. Peut-être c’est une ville d’entrepôt parce que c’est par ici qu’on centralise tous les sacs de sésames pour envoyer ailleurs. Donc Moundou est devenue une ville d’entrepôt de sésame, ce n’est pas comme par le passé.