Chaque année, pendant la saison pluvieuse, la ville de N’Djamena connaît des inondations causant des dégâts tant humains que matériels. Certes, la pluie est un phénomène naturel, mais des solutions qui permettent d’améliorer les dispositifs de prévention existent. L’architecte urbaniste, Loubna Matar Hissein donne son avis sur le sujet à travers une interview qu’elle a accordée à Tchadinfos.   

Comment expliquez-vous les phénomènes d’inondations observés ces derniers jours dans la ville de N’Djamena ?

Les inondations dans la ville de N’Djamena ne sont pas nouvelles. Elles se répètent malheureusement chaque année, à chaque saison de pluie. Nous en tant qu’architecte et expert de la ville, nous avons fait un constat il y a de cela deux ans lors d’un atelier avec des géographes, ingénieurs, environnementalistes, topographes… et nous nous sommes rendu compte que la majorité des quartiers de N’Djamena est située topographiquement dans une zone qui retient de l’eau.

Cependant, bien que ce soit un phénomène naturel, ceci pourrait être traité autrement. Nous constatons qu’il y a une distribution anarchique des terrains dans des zones à rétention d’eau par les services de cadastre et aussi le manque d’entretien des bassins de rétention.

Nous avons toujours l’impression qu’à chaque fois, c’est lorsque les saisons de pluie sont à la porte et ou lorsque des premières pluies tombent que tout le monde se mobilise pour drainer les eaux. En tant qu’architecte urbaniste, je suis attristée de voir certains dégâts matériels et humains qu’on aurait peut-être pu prévenir .

Tous les efforts de la Commune de N’Djamena se limitent au curage des caniveaux et l’aménagement de quelques bassins. Pourtant une étude menée par la chaine des experts (architectes, ingénieurs, environnementalistes, géologues…) nous fournit des informations claires que les curages-canalisations des eaux ne peuvent à elles seules arranger les choses.

Effectivement ! il n’y a pas que les solutions de curage de caniveaux et de quelques bassins de rétention qui peuvent à elles seules arranger la situation. Certes, les communes de N’Djamena essaient de leur mieux de mobiliser leurs efforts et s’impliquer dans la gestion de cette crise. Mais l’aménagement des quelques bassins d’eau ne peuvent pas changer les réalités que nous vivons.

Il y a une chaine d’experts qui ont proposé une feuille de route en août 2020 issue de « l’Atelier de Réflexion sur la problématique des inondations dans la ville de N’Djamena » à travers laquelle les autorités peuvent se situer sur comment procéder dans les périodes d’urgence comme ce que nous sommes en train de vivre actuellement. Ces études permettent à court et moyen terme de réduire les inondations et à long terme élaborer et mettre en œuvre un nouveau document de planification de la ville de N’Djamena assorti d’un schéma directeur d’assainissement en s’appuyant sur les documents existant (SDAU, PUR…).

Il faut toujours rappeler que les solutions sont toujours pluridisciplinaires. Les communes de N’Djamena à elles seules ne peuvent en aucun cas apporter des solutions durables à ce que nous sommes en train de vivre aujourd’hui. L’implication de tous les acteurs est vraiment nécessaire, voire urgent afin d’éviter de vivre les mêmes situations l’année prochaine.

Ces inondations ne sont-elles pas aussi dues en partie au fait que la capitale N’Djamena soit construite de manière anarchique ?

En effet! Ces inondations sont dues au fait que la ville soit urbanisée de manière anarchique. Beaucoup d’habitats se trouvent dans un terrain qui en réalité sont des bassins de rétention d’eau. Je propose aux services de cadastre de prendre en compte cet aspect au moment de lotissement des blocs. C’est important de prévoir certaines situations qu’on peut déjà éviter en empêchant la distribution des zones qui sont une source de problème.

En votre qualité d’architecte urbaniste, quels moyens proposeriez-vous pour prévenir les risques d’inondation ?

Les solutions que je propose sont très simples mais au même moment nécessitent de réflexions et une intervention coordonnée par la même vision de beaucoup d’acteurs.

Premièrement, il faudrait d’abord éviter les lotissements anarchiques, c’est-à-dire de continuer à vendre des terrains dans des zones de rétention d’eau. 

Deuxièmement, si la population est déjà dans des zones de rétention d’eau, il faut soit les reloger soit adopter un système de construction élevé. On peut le remarquer déjà dans certains de nos anciens bâtiments qui sont à une hauteur d’1m50 ou 2m du sol. Ce système de construction est fait pour éviter que l’eau entre dans les maisons pendant les périodes de crue et d’inondation.

Architecturalement parlant, on peut toujours trouver des solutions à toutes les situations mais ceci a un cout bien évidement.  Les solutions proposées dépendent maintenant des budgets des populations et nous savons très bien que les populations se trouvant dans ces conditions n’ont pas suffisamment de moyens de se lancer dans des telles constructions. Il revient donc à l’Etat à travers les départements concernés de faire appel aux architectes et tous les autres experts de la ville afin de mettre sur pied un plan d’urbanisation conforme avec un système d’assainissement et d’évacuation des eaux de pluie.  

La mise en place d’un Fonds National de Prévention et de Gestion des Inondations est nécessaire afin de rendre chaque solutions suggérées effectives.