Après 30 ans d’exil, le juriste, économiste et politologue Kingabé Ogouzeïmi de Tapol est de retour au pays depuis quelques semaines. Il s’est confié au micro de Tchadinfos, sur sa personnalité, les conditions de son retour au pays. et le dialogue national.

Pour les Tchadiens qui ne connaissent pas Kingabé Ogouzeïmi de Tapol, pouvez-vous vous présenter ?

Dans la tradition “Ngambaye’’, ce n’est pas facile de se présenter soi-même. Puisqu’on y est donc, moi je suis Kingabé Ogouzeïmi de Tapol. Je suis marié, père de neuf enfants, dont deux adoptés.

Évidemment, au départ, je ne m’appelais pas Kingabé Ogouzeïmi de Tapol. Mais les circonstances ont voulu que je sois baptisé à nouveau. Sinon mon nom d’origine est Michelot Yagogombaye. Mon nom Ogouzeïmi est arrivé du fait que j’ai mes compatriotes du nord, il se trouve qu’ils m’estiment beaucoup. J’étais invité à l’Assemblée générale de l’association culturelle de ‘’Toubou’’. Compte tenu de la relation que nous avons développé, ils m’ont dit que désormais je m’appelle Ogouzeïmi.

Du coup, je dis pourquoi pas, et puis j’ai adopté.  Voilà, aujourd’hui je suis connu beaucoup plus sous le nom de Kingabé Ogouzeïmi de Tapol. Sinon Kingabé c’est mon vrai nom de départ, qui est le nom de mon grand-père. Et puis de Tapol, pour la simple raison que je suis originaire de Tapol dans le Logone Occidental.

 Je suis chrétien de confession, pratiquant aussi. En ce moment, Je suis pasteur de l’Eglise officielle de Suisse. Avec ces deux ou trois mots, les jeunes tchadiens qui n’ont pas encore eu l’occasion de me connaître, peuvent déjà se faire une idée de moi.

Racontez-nous votre bref passage au poste de Secrétaire général adjoint du gouvernement

Ça c’est une facette de ma vie qui est très intéressante. C’est une expérience assez émouvante. Vous savez le pouvoir quand ça vous tombe dessus, ça vient. Que vous le chercher ou pas, ça vient inévitablement. J’étais encore en deuxième année à la faculté de Droit de N’Djaména, à Ardebjoumal en 1987. J’ai passé par des mésaventures, puisque le 8 février 1987, j’étais arrêté par la Direction de Documentation et de la Sécurité (DDS). Comme on dit à quelque chose malheur est bon, étant arrêté, trois semaines plus tard j’étais libéré. Quand j’étais libéré les choses se sont enchainées.

Après avoir été libéré de la DDS, j’étais nommé Secrétaire général du comité régional de l’Union nationale pour l’indépendance et la révolution (Unir), pour la ville de N’Djaména.  Ça m’a permis de conduire la délégation de l’Université du Tchad au congrès de l’Unir qui a eu lieu en novembre 1988.  C’était l’année où j’ai obtenu ma licence en Droit et Technique Juridique.

 Le temps de m’intégrer à la Fonction publique et mettre à la disposition du ministère de la Justice. Puis quelque temps après, j’étais nommé chef de service de l’administration pénitentiaire et de la protection de l’enfance. Déjà en avril 1989, j’ai eu une promotion au niveau du Secrétariat général du gouvernement. Ça m’a permis de sillonner l’intérieur du pays. Et, j’ai déposé mon rapport. Suite à ce rapport, les choses se sont enchainées à telle vitesse que le 19 octobre par un décret 774, j’ai été nommé Secrétaire général adjoint du gouvernement.

Ce qui est paradoxal, et je me souviens toujours, je commençais à m’ennuyer au ministère de la Justice, je voulais changer de ministère. Je voulais aller au ministère du Tourisme et de l’environnement. Comme on a appris qu’il y a un remaniement du gouvernement, j’attendais devant mon poste radio, qui serait le prochain ministre du Tourisme et de l’environnement. En dernier moment mon nom qui est arrivé comme Secrétaire général adjoint du gouvernement.

C’était une expérience très enrichissante pour moi. J’étais passé d’une situation extrême à une situation aussi extrême. En ce sens que, quand j’étais à l’Université, j’ai connu quand même beaucoup de soucis pour joindre les deux bouts pour étudier, dans une époque où il n’y a pas de Google, ni les réseaux sociaux. Et puis du jour au lendemain je me suis retrouvé à gérer un département ministériel. Avec un patron qui est très compréhensible, Monsieur Youssouf Sidi Sougoumi. On a essayé de faire quelque chose de positif. Nous l’avons fait effectivement. Mais le sort a voulu que notre temps se soit arrêté. Donc, on a changé le fusil d’épaule.

Après tant d’années, vous voilà de retour auprès des vôtres. N’avez-vous pas regretté l’exil ?

L’exil est toujours regrettable, on ne peut être heureux que là où on est né. On pensait être vraiment dans son pays, on pensait vraiment être chez soi. En toute sincérité, personnellement malgré tout ce que j’ai vécu, tout ce que j’ai connu, tout ce que j’ai eu à l’exil, la chance a voulu aussi pour moi, que je sois en exil reconnu par la Confédération Helvétique (Suisse). Ce qui est une chose formidable pour moi dans la mesure où je ne connaissais pas les vicissitudes de beaucoup de réfugiés qui étaient partis en Europe comme moi. Mais toujours est-il que malgré ce qu’on a pu disposer et malgré ce qu’on a eu comme réconfort matériel le pays nous manque toujours.

 Quand le pays te manque il n’y a pas un autre élément ou une autre chose qui puissent te remplacer ces sentiments-là. Ne se serait que découvrir les rues dans lesquelles vous avez grandi, joué au ballon… Pour cette raison, moi quand même j’ai regretté d’avoir absenté de mon pays pendant 30 ans. Ce n’est pas facile mais il faudrait que ça se passe comme ça.

Mais il n’est pas trop tard, je dois maintenant déployer toutes les expériences que j’ai accumulé à l’étranger pour encore donner le meilleur de moi-même. De manière à ce que le pays puisse se dire qu’il a eu la visite de son fils, c’est une très bonne chose.

Pourquoi vous êtes retourné au pays ?

 Parce que je veux retourner dans mon pays. Je n’ai pas envie d’aller à la retraite à l’étranger. Je n’ai pas envie de prendre ma retraite pour rester dans une maison de retraite en Europe. Pour moi, ça ne peut pas être compatible. C’est quelque chose difficilement envisageable.

Dans un premier temps le sentiment le plus fort qui m’anime est de retrouver mon pays. Retrouver mes racines, mon identité, ressentir les odeurs que j’avais ressenti il y a de cela 30 ans. C’est ma motivation principale.

En plus de cela, le Tchad est dans une situation exceptionnelle. Le pays est en train de chercher des voies et moyens pour sa reconstruction nationale. Il faut aider, contribuer, participer, il ne faut pas qu’on rate ce train. D’où je suis venu prendre le train à la gare. Le train de la réconciliation, du développement, de la paix, de lutte contre l’impunité qui fait trop mal à ce pays.  Comme le dit le président du Conseil militaire de transition (CMT), personne ne sera exclu, je crois que c’est une très bonne démarche, il faut l’appuyer.

Vos compagnons de lutte trouvent que vous les avez trahis. Quel commentaire faites-vous ?

Je n’ai pas de commentaire à faire. Je suis un homme de foi. Je respecte Dieu. Il est dit dans ma religion que l’homme est créé à l’image de Dieu. En toute sincérité, je me souviens la dernière fois que j’ai insulté un être humain directement ça remonte en 1969.

Si eux en tant que des hommes de foi, trouvent que c’est tout à fait normal de m’insulter, je n’agis pas. En tant qu’un homme de foi, je pense que c’est Dieu qui agit en eux.

Ils ont raison de m’insulter, que je les ai trahi. Je pense que ce n’est pas ça qui est fondamental. Le plus fondamental, ils savent très bien ce que moi je sais d’eux, et moi je sais très bien ce qu’eux savent de moi. Ça c’est le plus important. Tout le reste c’est de la garniture.

Avez-vous signé des accords avec les autorités de transition avant de regagner le bercail ?

Avant de rentrer au pays, je n’ai pas signé un accord. Pour la simple raison, je pense que c’est de fausser les données, ou bien c’est de fausser la politique que de dire que je veux venir alors il me faut ça, il me faut ça. Quand l’être qui est à l’intérieur d’un homme est sincère, l’homme n’a pas besoin du matériel pour être heureux. Et c’est ça qui est fondamental.

 Si on a à éduquer nos enfants, nous devons éduquer nos enfants à se détacher de l’obsession, la tendance aux gains matériels qui dénaturent nos mœurs.

Avez-vous posé des conditions pour votre retour ?

La condition que j’ai posé, pour moi c’est la liberté. Je me suis dit que c’est très important pour moi, mais pas seulement pour moi mais pour que tous les Tchadiens se sentent libres et de pouvoir vivre sa vie. Car la liberté est à la base de tout.

Quel message adressez-vous à vos compagnons qui sont sceptiques à rentrer au pays ?

Bien ! Ceux qui sont encore sceptiques, je pense qu’ils ont constaté les choses par eux-mêmes. Les autorités actuelles sont en train de faire de gros efforts. C’est le moment de saisir la balle au rebond, pour dire que voilà nous répondons à cette main tendue.

La preuve, j’ai répondu. La meilleure des choses à faire quand on est le fils du pays, il faut éviter de s’entêter et de creuser un gros trou au milieu du village. Ça ne sert à rien, vous risquez de casser votre jambe vous-mêmes. Je les encourage à revenir, à répondre favorablement à cette politique de la main tendue.

Parlons de la question de l’heure, le dialogue national inclusif. Avez-vous l’espoir qu’il soit une réussite ? En cas d’échec le pays ne risque-t-il pas de plonger dans le chaos ?

Bon ! Il y a toujours des gens qui rêvent de semer le chaos dans le pays. Pour la simple raison, ils pensent qu’ils sont investis d’une manière ou une autre à diriger ce pays, contre vents et marrées. Je ne raisonne pas en ces termes là. Dans un pays constitué, il ne peut y avoir qu’une seule personne qui puisse être président de la République, et puis les autres travaillent dans l’intérêt de la nation. Ce qui est important c’est de vraiment pouvoir travailler dans le sens de la justice. La paix que nous cherchons, ça peut être une véritable paix que si cette paix est fondée sur la justice.

A partir de là, même si on sait qu’on va pour les conflits, il faut quand même rester optimiste. Les conflits ça fait partie de la nature de l’humanité. Depuis que l’humanité existe, les conflits existent aussi. Mais le conflit est là parce que l’ordre social est ébranlé. Alors qu’est-ce qu’il faut faire de ce qui risque d’être là pour longtemps ? D’où le dialogue est nécessaire.

Et partant de là, je pense qu’il ne faut pas prédire la malédiction. Personne n’a envie de revivre ce qu’on n’a vécu le 12 février 1979. Le Tchad a besoin d’aller de l’avant. C’est pour cela que je demeure optimiste. Je pense que les Tchadiens auraient tort de ne pas saisir cette chance actuelle par deux mains pour pouvoir tourner définitivement la page et enterrer la hache de la guerre. Les oiseaux de mauvais augure seront toujours là pour se faire entendre mais je pense que ça va aller.

Avez-vous un mot de fin ?

Mon dernier mot, c’est dire à la jeunesse de demeurer dans l’espoir. C’est très important, ce pays a besoin de la jeunesse.  Il faut que les jeunes agissent avec détermination. Et que les jeunes se positionnent non seulement à leur identité culturelle, éthique ou bien locale. Il faudrait que chaque jeune qui agit dans ce pays, essaye d’agir au-delà de la palissade de ses parents. Pour qu’on essaye d’arriver à avoir une identité nationale.

Je dirais aussi aux Tchadiens dans leur ensemble d’être attentifs aux conditions de la femme. Parce que nous avons vu à travers les difficultés que le Tchad a connu, s’il n’y avait pas les femmes à nos côtés, nous n’allons pas nous en sortir facilement. Cette force silencieuse est très importante pour nous. Il faudrait qu’on fasse un effort pour donner à la femme la place qu’elle mérite.