Ancien maire de Fort-Lamy, Mahamat Djarma Khatir, l’un des acteurs majeurs qui ont contribué a changé les noms des villes, rues tchadiennes à connotation coloniale, dont le plus marquant est le changement de la capitale Fort-Lamy en N’Djaména. Nous nous sommes rapprochés de lui pour un partage de l’expérience.

Pouvez-vous nous dire qui est Mahamat Djarma ? Où est-ce qu’il est né ?

Mahamat Djarma est un citoyen tchadien, né à Abeché en 1943, dans une famille modeste. C’est là où j’ai fais mon école coranique avec mon grand-père. Où il enseignait des centaines des élèves. Et là aussi j’ai fais mes études primaires entièrement en arabe. C’est pourquoi, je dis à mes amis que le français je l’ai appris dans la rue, je n’ai pas du tout appris à l’école. J’étais un jeune dès le départ animé par le sentiment religieux profond. Déjà à 13 et 14 ans, je fais le sermon tous les vendredis et je pars de mosquée en mosquée. C’est là où, j’ai acquis l’amitié de beaucoup de jeunes et le respect de beaucoup de personnes âgées dans la ville d’Abeché 

En 1961, vous avez enseigné à Aboudeia dans le Salamat. Une fois regagné Abéché, vous vous êtes engagé dans la vie politique et rapidement nommé vice-président du Mouvement de la Jeunesse de la ville d’Abéché, puis élu conseiller municipal de la ville. Comment expliquez-vous cette ascension ?

Par un concours de recrutement d’enseignants en langue arabe, lancé par le ministre de l’Education, Issa Mangué ( ce dernier est décédé dans un accident d’avion entre N’Djaména-Paris). Étant admis au concours, la décision de mon affectation était mal fait, celà a semé de confusion. Certaines me disent que c’est au Binder et d’autres disent un village dans le Massénya. Chacun me dit qu’il n’a pas cette école dans sa circonscription.

 Je suis revenu au ministère de l’Enseignement. A la direction il y avait M. Maka, il est d’Aboudeïa il me dit nous on manque d’enseignants arabe, donc tu dois rentrer à Aboudeïa. C’est comme ça que j’ai regagné Aboudeïa.

Aboudeïa c’était pour moi un enseignement extraordinaire. Dans la mesure où il y avait six enseignants en langue française tous venus du Sud de pays. Parmi eux, peu qui parlent l’arabe. Ça m’a donné l’occasion de parler le français. J’ai appris à travers deux dictionnaires, j’avais le dictionnaire arabe-français et le dictionnaire français-arabe. Je prenais cinq vocabulaires arabes en face la traduction en français. J’essaye d’étudier ces vocabulaires là et je m’exprime avec. Dans la journée je fais pour les utiliser dans mes conversations avec mes collègues enseignants. Au bout de neuf mois de l’année scolaire, je me suis retrouvé avec d’énormes vocabulaires que j’utilisais en désordre parce que je n’avais pas appris la règle grammaticale. Dieu merci, M. Adoum Prosper, quand il m’avait vu parler comme ça, il me disait non on ne parle pas comme ça.  J’avais un petit livre de la grammaire, je veux te faire apprendre à respecter le temps. Effectivement, après quatre à six mois j’ai réussi à améliorer mon français. Cela m’a permis de revenir à Abeché de faire le concours de Certificats d’étude de second degré, qui est considéré comme le BEPCT à l’époque. Ça m’est permis d’accéder à l’école normale. J’ai fais l’école normale deux ans.         

Au cours de mon séjour à Aboudeïa, j’ai rencontré le défunt Ouchar Tourgoudi, qui partait pour le congrès de Rassemblement démocratique africain (RDA) à Sarh. Il enseignait à l’époque à Oum Hadjer. On a pris connaissance. Nous nous sommes donné rendez-vous à Abeché pour la grande vacance.

C’était une histoire rocambolesque mais très intéressante pour moi. Parce que c’est mon début en politique. Un certain Jacques que j’ai oublié son nom, un infirmier principal à Abeché, il m’a rencontré à l’hôpital pour me dire qu’ils organisent le dimanche prochain une élection pour désigner le bureau du Centre culturel. Car le Centre culturel est dirigé par les fonctionnaires qui sont venus que d’ailleurs.

Un vendredi à l’occasion d’un mariage d’une connaissance, j’ai rencontré beaucoup d’amis pour leur passer le message. Un cercle de huit amis nous nous sommes concerté, pour dire que nous allons élire Ouchar comme président et moi vice-président. Le jour de l’élection on était 17 ou 18 personnes, mais Ouchar n’était pas là. Nous avons présenté sa candidature. Il réunissait 17 voix et les autres se sont partagés des voix et Ouchar est passé président et je suis son vice-président.

Nous mobilisons énormément de jeunes. On organisait de jeu de pétanque, jeu carte, soirée dansante… à la suite de ça nous avons organisé un grand meeting convoquant même les villages environants d’Abeché, pour dire que depuis l’arrestation de nos dirigeants, Mahamat Abdelkerim, Abbo Nassour … arrêtés en 1963, on a aucun représentant au bureau national de PPT/RDA. On a critiqué suffisamment le gouvernement. Le préfet Mahamat Martin a fait son rapport et aussitôt, Ouchar est convoqué à N’Djaména et nommé membre du bureau national.

Après deux ou trois mois il est revenu, nous dire qu’on organise la jeunesse PPT-RDA. Sachant qu’Abeché n’étant pas du tout PPT (Parti progressiste tchadien). Avant la dissolution des partis politiques Abeché est entre Union démocratique indépendante du Tchad (UDIT) et Mouvement socialiste africain (MSA). Le RDA était vraiment minoritaire.  J’étais élu vice-président du Mouvement de la Jeunesse de la ville d’Abéché. Quelque temps il fallait renouveler le bureau du conseil municipal. Le maire de la ville et Ouchar sont partis à Abidjan avec le président Tombalbaye, ils m’ont chargé de m’occuper de l’organisation de l’élection. Dans l’ensemble, s’est bien déroulée. 27 membres sont élus.

En 1972, vous étiez élu maire de la ville de Fort-Lamy, rebaptisée N’Djamena en 1973. D’où est venue l’idée de changement du nom de la capitale ? Quel sentiment avez-vous ressenti en tant que maire de la ville ?

Le changement des noms de la ville, des rues qui ont une connotation coloniale a été décidé par le congrès constitutif du Mouvement national pour la révolution culturelle et sociale (MNRCS). Dans ses résolutions, le congrès demande d’abandonner tous les noms des personnes des rues et des villes qui ont une connotation étrangère particulièrement coloniale.

Pour la ville de Fort-Lamy, j’ai réuni le conseil municipal composé de 27 membres pour décider de changement.  A la première réunion le conseil a décidé de faire appel à tous les anciens habitants de la ville pour faire des propositions. J’ai demandé aux journalistes de la radio nationale d’aller chez certaines personnes comme Josep Brahim Seïd, Yakouma et autres. Ils ont vu une dizaine de personnes.  La population aussi a fait d’énormes propositions à la radio nationale.  On a rassemblé à peu près sept : Il y a trap-marabout, Djambal-barh, Gozator, Djamena, Amarna, Djamba-Ngato et autres.

On a fait une discussion qui a beaucoup duré. J’ai constaté que chacun veut le nom de ses aïeux. Au départ nous avons donné une condition, parmi les noms il faut avoir la facilité de prononciation non seulement aux tchadiens mais aussi aux étrangers. Deuxièmement, il faut que ça soit un des quartiers de Fort Lamy. Effectivement, il y avait deux villages, à l’Est Amdjamena Borno et l’Ouest un village Amdjamena. D’autres ont dit qu’on le surnomme Matambé, actuel quartier Beguinage.

Finalement, j’ai dit comme on ne s’entend pas, il faut prendre ces trois noms et les proposer au conseil exécutif de MNRCS. Je tenais à ‘’Djamena’’. Pour moi parce que comme on dit en arabe « nindjamo min oussoum hana nassara ». J’ai beaucoup insisté sur ça et le conseil a retenu Djamena.

Le lendemain on utilisait directement Djamena sans l’initial « N ». La radio est venue me trouver j’ai donné le nom. J’ai épelé les lettres et ils sont allés le même jour voir le président Tombalbaye. En bon ‘’Madjingaye’’ il a prononcé N’Djaména. Entre-temps j’avais écris à tous les ministères de changer leur cachet avec le nom Djaména.  Ça semé des confusions, mais cela est passé.

On devrait organiser un baptême sur la demande de la radio BCC, mais je trouvais que ce n’est pas possible dans la mesure où le même jour il y avait la conférence de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) actuelle Union Africaine (UA) à Rabat au Maroc, notre ministre des affaires étrangères Baba Hassan qui prenait part à cette conférence a déjà annoncé le nom.

De 1975 à 1978, vous avez fait la prison, puis libéré suite à l’accord de Khartoum. Concrètement, on vous a accusé de quoi ?

Après le coup d’état de 1975, j’étais arrêté et placé dans une cellule. J’ai fait quatre mois dans une cellule au camp Koufra (actuelle place de la nation). C’était une cellule où on met les militaires indisciplinés. J’étais seul c’était très dur. Le président Malloum vient me visiter en prison.

En fait, si constitutionnellement le président de l’Assemblée est la deuxième personnalité, pratiquement les gens voyaient en moi compte tenu de la proximité que j’avais avec Tombalbaye comme la deuxième personnalité. Or cette proximité est dictée par sa politique tournée vers les pays arabes. En tant qu’arabophone ayant servi au Soudan. C’est une source de tremplin pour faire cette politique, donc les militaires me craignaient beaucoup.

 Je me souviens encore des officiers qui viennent me regarder dans ma cellule, puisqu’ils ne me connaissent pas. Les gardes pénitentiaires ont écrit sur la porte de ma cellule musée, puisque j’avais tellement de la visite. Après j’étais déplacé à la gendarmerie j’ai fais trois ou quatre mois, ensuite on m’a déporté à Bénoye, j’ai fais cinq ou six mois. J’étais très malade, le ministre de l’intérieur m’a ramené à N’Djaména, après on m’a envoyé à Ngouri.

 Chaque fois qu’on sache où je suis on me déplaçait. Mais jamais j’étais entendu par un juge ou une quelconque personne. Tout ce que je peux comprendre j’avais à l’époque beaucoup des relations avec les dirigeants libyens. Cet aspect fait craindre les militaires…

A suite de la réunion de la réconciliation entre le Conseil de commandement des forces armées du nord (CCFAN) et le Conseil supérieur militaire (CSM), dirigé par le Général Felix Malloum, le CCFAN avait demandé la libération des détenus politiques c’est ainsi que nous étions libérés

Faites-vous partie des initiateurs du Conseil démocratique révolutionnaire (CDR) ? Si oui, quelles sont les raisons qui vous ont poussé à prendre les armes ?

Oui justement ! Très peu de gens savent l’histoire du Conseil démocratique révolutionnaire (CDR). En fait le Conseil démocratique révolutionnaire est un conseil qui devrait regrouper l’ensemble de 1ère armée. Après la bataille de N’Djaména entre Habré et Malloum, l’Oua a intervenue pour organiser une rencontre à Kano, qu’on appelle Kano I, pour trouver une solution. Arrivé à Kano I, Malloum a démissionné pour laisser sa place à Kamougué. Les pays voisins ne trouvent pas leurs comptes. Ils ont dit il y a des mouvements qu’ils ne sont pas là. Il faut qu’ils soient présents pour que la réconciliation soit globale. On met Goukouni Weddeye comme président conseil d’État et dans un mois on va se retrouver. Entre-temps ils ont mobilisé Acyl, pour lui dire il faut agir vite sur le terrain pour prouver qu’il y a une force réelle.

 Acyl a mobilisé les gens rapidement en 72h. Appuyés de force libyenne ils ont attaqué Abeché et la presse à fait les tapages médiatiques. 

Suite à la Conférence nationale souveraine de 1993, vous étiez élu membre du Conseil supérieur de transition (CST). Quels souvenirs vous retenez ?

Vraiment c’est tout un livre. D’abord, j’étais désigné membre du comité préparatoire. Le comité m’a désigné membre de sous-commission chargé de nombre et critère de participation. La Conférence une fois réunit, on a demandé à chacun de s’inscrire à la commission de son choix. La commission qui a eu plus des membres est celle de la charte de la transition et le cahier de charges. J’étais désigné président de la commission. Comme je vous ai dis tout un livre, j’aurais l’occasion d’organiser une conférence débat pour en parler.

Comment appréciez-vous la conduite de la transition ainsi que l’avenir du Tchad ?

La conduite de la transition va en dent de scie à mon avis. Dans la mesure où des dispositions ont été franchement mal prises. Quelque chose quand le départ est mal fait, il faut s’attendre à d’énormes difficultés pour y réussir. La transition dès le départ a fait des faux pas en réalité. Il y a des choses qui nécessitent des concertations avant les décisions qui n’ont pas été faites, il y a des choses devant lesquelles ont doit prendre des décisions même sans concertation, et ça se fait avec concertation. Cela conduit actuellement à une sorte de subterfuge et de plusieurs rencontres d’idées contradictoires.

 Mais la contradiction, elle n’est pas basée sur une réflexion réelle. Dernièrement les manifestations pacifiques peuvent se faire sans gêne. C’est un grand pas. Si dès le départ cela été adopté comme attitude, je crois ça aurait facilité énormément des choses. Maintenant, comment avec ces disparités d’opinions réussir à les canaliser pour aller vers le dialogue national inclusif ? Certaines propositions sont en dehors de cadre totalement. Je vous donne un simple exemple, lorsqu’on exige un document pour demander la souveraineté du dialogue. Un décret peut être annulé par un autre décret. La souveraineté d’un dialogue se prend par l’assemblée générale.C’est comme ça que nous avions agi pour la Conférence nationale souveraine. Les deux premiers jours sont consacrés pour débattre seulement pour la souveraineté. Evidemment, ceci pose problème, dans la mesure où, à l’époque, parlant de la souveraineté le pouvoir se voit exclut, le Tchad devait prendre l’exemple du Benin. Lorsque la conférence a été déclaré souveraine au Benin, le président de la République n’avait plus d’autorité.

Pour le Tchad ça ne peut pas se faire, par ce que c’est un pays qui vit des menaces et d’insécurité presque permanentes. Ce qu’on a fait à l’époque est d’équilibrer la souveraineté de la conférence. On a exigé tout simplement l’application intégrante de ces résolutions. Lorsqu’on exige aux membres du Conseil militaire de transition qu’ils ne peuvent pas se présenter à des élections, je pense que le problème est faux. Le problème se pose en terme de comment bâtir des lois et conditions électorales, qui peuvent garantir la sécurité, intégralité et la justice. Il y a énormément des questions comme ça posées au préalable alors qu’on peut les contourner très simplement.

Évidemment, il y a une question de confiance, qui se pose.  Le système a vécu 30 ans, acquis des habitudes qui font peur aux autres. Peut-on avoir confiance à ces acteurs-là de changer ? Ça c’est la question fondamentale. Ce manque de confiance qui amène les gens à se poser des conditions quelques fois

L’avenir du Tchad est sombre, dans la mesure on serait incapable demain à travers le dialogue de prendre des décisions qui font mal. La première condition d’un Tchad futur c’est assurer l’unité des Tchadiens autour d’un certain nombre de principes. Assurer la réconciliation au prix des engagements de plusieurs positions qui sont considérées comme un droit acquis. Si on est à mesure de dépasser ces limites-là, on peut encore prétendre à des solutions. Il faut que les tchadiens soient capables de redéfinir la démocratie et surtout s’appuyer sur la liberté.

Une dernière question. Les Tchadiens se retrouvent une fois encore le 10 mai, pour dialoguer. Pensez-vous que ça sera une dernière chance pour enterrer les démons de la guerre ?

Jusqu’à présent les contours sont mal définit. Que ça soit le comité technique spécial qui fut dirigé par Goukouni Weddeye, que ça soit le ministère de la réconciliation d’Acheikh, tous ont mis un mauvais pas au départ. Ce mauvais pas là répercute aujourd’hui sur l’ensemble des processus. Faut-il faire comme dit Adoum Yacoub, avec son bureau de recherche, il faut tout raser pour commencer, ou bien alors tout simplement rectifier. Mais avec beaucoup de détermination et de justice et aller de l’avant. Il faut redéfinir les conditions. En particulier les nombres des participants et les critères de participation. Si on ne fait pas ça le dialogue va être un échec.