Tchadinfos est allé à la rencontre de Goudja Nassara, le tout premier magistrat de la province du Ouaddaï. Nous nous sommes entretenus avec lui, sur sa vie professionnelle : en tant que magistrat, administrateur, politicien et diplomate.


Qui est Goudja Nassara ?


Je m’appelle Goudja Abdallah, connu sous le nom de Goudja Nassara. Né en 1938, à Ouara dans le Ouaddaï. J’ai effectué mes études primaires à Abéché, le collège à Bongor. Mes études supérieures en France pour être juriste.

J’étais le premier Ouaddaïen magistrat. Ma première expérience était à Abeché. J’étais substitut du procureur au parquet d’instance de Fort Lamy (actuel N’Djaména) en 1962. Revenu plusieurs fois aux tribunaux.

Plus tard, notre regretté le président Tombalbaye a demandé que je sois détaché de la justice pour être directeur de cabinet au ministère des Finances. J’ai exercé pendant 4 ans. Ensuite j’étais encore nommé directeur de cabinet au ministère de la Fonction publique pendant deux ans.

J’étais Secrétaire général de l’association sociale du Tchad (AST), gérée par Sahoulba Gontchomé. En 1978, j’étais au maquis. Avant cela, j’ai pris part à la première réunion du Frolinat (Front de libération nationale du Tchad) en 1966. J’ai pris part à la réconciliation de Kano I et Kano II. J’étais nommé conseiller à l’Ambassade du Tchad à Pretoria en Afrique du Sud. Puis conseiller chargé de mission à la primature avec le défunt Dadnadji.

En tant que 1er magistrat de la province de Ouaddaï, quelle fierté ressentez-vous ?

La magistrature est un métier noble et libéral. Je sens une grande fierté d’avoir exercé. Vous pouvez imaginer les restes…

Parlez-nous de votre vie professionnelle. En tant que magistrat, administrateur, politicien et diplomate.

Quand j’étais en fonction, je n’avais pas eu des embûches. Je suis fier de ma vie professionnelle. A peine trois ans, je suis admis à la retraite. Mais je n’ai pas encore baissé les bras. Je veux apporter toujours ma contribution pour une transition réussie. J’ai servi cinq ans à Pretoria en qualité de conseiller de l’ambassadeur. Ça a été un succès. Idem pour les autres fonctions.

Quelles analyses faites-vous des différents régimes qui se sont succédé au Tchad ?

Tous ceux qui aiment le Tchad, aiment Tombalbaye. « Le président Tombalbaye bien qu’il est chrétien, mais de cœur il est musulman », disait un marabout. Tombalbaye, il nous appelle, de temps en temps, nous demande des conseils. On reste tard dans la nuit. Souvent on prend du thé tôt le matin ensemble. Tombalbaye n’a jamais trahi les relations.

La France a une dette morale envers le Tchad. Je me souviens encore, lorsque le président français, Georges Pompidou, était en visite au Tchad, au cours d’un banquet, Tombalbaye, s’est levé pour lui dire haut et fort « écoutez ! Vous les Français, vous n’avez pas de parole. De Gaulle, nous a fait des promesses et les promesses sont restées vaines. Le Tchad a contribué pour la libération de la France ». C’est là où, j’ai beaucoup admiré Tombalbaye.

Lol Mahamat Choua, est ami, mais il n’avait pas mis long.

Le président Goukouni, également est un homme très docile, sans façon. Par les forces des choses, il a quitté les affaires. Pour moi, il n’y a pas un homme égal à lui. Il a su gérer le Gouvernement d’Union Nationale de la Transition (GUNT).

Je n’ai pas servi Habré en tant que président, mais il était mon ami. Entre 1962-1963, on était des amis. Il était chef de sous-section au ministère des Affaires étrangères. Après le travail, il vient me trouver au quartier Djambalbar. On déjeunait ensemble. On reste jusqu’à tard la nuit, et je l’accompagne. Tout le long de nos parcours, j’ai trouvé que nos idées ne convergent pas. D’où j’ai pris ma distance. Sinon il ne m’a jamais fait du mal.

Idriss Deby a commencé à faire autant, mais les circonstances n’ont pas permis. Beaucoup de Tchadiens n’ont pas compris Idriss jusqu’à sa mort, c’est regrettable. Personnellement, j’ai de l’admiration pour lui. Il prenait en compte toutes mes suggestions. La nomination de Joseph Djimrangar Dadnadji, au poste de Premier ministre, l’idée venait de moi. Et plusieurs autres hauts cadres, il les a nommés sur mes conseils…

Espérons qu’avec les concours des uns et autres que l’actuel président de la transition emboîte les pas de son défunt père. Mais, qu’il fasse appel aux anciens.

Goudja Nassara

En tant que magistrat chevronné, êtes-vous satisfait du système judiciaire ?


(Rire) pertinente question ! Vous savez comme je disais tantôt, le corps judiciaire c’est la noblesse. Ces derniers temps, le corps judiciaire a perdu sa lettre de noblesse. On nomme les gens à des postes de responsabilité par affinité. Alors que ça ne répond pas aux aspirations du peuple. Quand quelqu’un fait le choix d’être un magistrat, avocat, greffier…, c’est en son âme et conscience. Mais à l’heure actuelle c’est l’inverse qui se produit. Je déplore ça. Avec le régime actuel ou dans le futur, qu’on trouve une solution pour mettre sur le rail l’appareil judiciaire.


La justice tchadienne est-elle un facteur de stabilité ? Si oui, a-t-elle failli ?


A l’heure actuelle, elle est en décadence. Elle n’avait pas son indépendance en tant que telle, pour des raisons qu’on ne peut pas le savoir. Elle ne répond pas aux attentes du peuple. Il y a une nette différence par rapport à notre époque. Si la justice répond aux aspirations du peuple, ça ne doit être scandaleux comme les gens crient maintenant. Sous prétexte, qu’ils sont chef d’une entité quelconque ils règlent leurs comptes avec certains justiciables. Il faut que les citoyens soient sur le même pied d’égalité. Qu’ils arrivent à se comprendre. S’il y a des failles quelque part, il fallait chercher à résoudre. Il faut que le gouvernement revoit le système judiciaire.

Quelles solutions proposeriez-vous sur la question des conflits agriculteurs- éleveurs ?


A l’époque, les gens vivent en communion. Le mariage entre les différentes communautés marchait très bien. En cas de conflit, ils se retrouvent sous l’arbre à palabre pour régler le problème à l’amiable en peu de temps sans se quereller.

Maintenant, les armes circulent librement. Ça vient de la Libye. Certains corps habillés et autorités locales sont en partie responsables. Prenons l’exemple du Cameroun, depuis le président Amadou Ahidjo jusqu’à Biya, ils n’ont jamais nommé un gouverneur militaire. Ils ne nomment que les administrateurs civils. Leur système marche très bien.

Chez nous, si les gouverneurs arrivent à prendre la situation en main, il n’y aura pas ce que nous subissons. Les gens meurent comme des sauterelles.

Il faut que le phénomène de nouvel éleveur cesse. C’est-à-dire être à la fois autorité locale et même temps éleveur.

La solution est entre les mains du gouvernement. Il faut qu’il démilitarise la fonction de gouverneur. Qu’il nomme des administrateurs. Ils sont à la hauteur de leur mission, ce sont des personnes qui ont une formation.


Que pensez-vous de l’avenir du Tchad ?


Il y a Dieu seul qui peut sauver le Tchad. Parce que, si nous allons dans tous les domaines à ce rythme là, sauf l’Eternel peut nous secourir. Si les Tchadiens refusent de se regarder en face pour dire la vérité, se pardonner, bannir le communautarisme, l’avenir du Tchad est sombre.

Enfin, une question assez particulière. D’où vient votre surnom Nassara ?


(Sourire) A l’époque, je m’habillais comme les Français. Je portais de culotte, de chemise, de casquette blanche. Je mange sur la table. Quand mes invités arrivent chez moi, on mangeait sur la table. Comme j’avais le comportement des Blancs, les amis m’ont surnommé Goudja Nassara (Goudja le blanc) .

Goudja Nassara avec Badour