Nous nous sommes entretenus avec le député Ouchar Tourgoudi, l’une des rares personnes qui a côtoyé tous les présidents tchadiens. Du 1er président Tombalbaye jusqu’au Maréchal Deby. A 85 ans, le doyen d’âge de l’Assemblée nationale a partagé avec nous ses expériences dans l’administration tchadienne.

Où et quand est né Ouchar Tourgoudi ? Qui est-il ?

Je suis le fils d’un paysan, Tourgoudi et d’une paysanne, Achta, né en 1936, après l’intronisation du sultan Mahamat Ourada. Je suis parmi les rescapés, parce qu’à cette période-là, il y avait beaucoup de calamités et d’épidémies. Il n’y a que les plus solides qui résistent. J’ai commencé l’école coranique à l’âge de sept ans. A 10 ans environ, j’ai accompagné ma grand-mère à Arada, pour nous enquérir des nouvelles de mon oncle, un garde nomade arrêté. Il était écroué parce que lorsqu’il était de garde, deux prisonniers se sont évadés.


Après un séjour à Arada, je suis revenu à Abéché. Un jour, mon oncle Bourma Hassan m’a dit : il faut que tu ailles à l’école. Il a dit à son ami de même nom que lui, Bourma Khalil : « Demain matin, tu diras à Kaltouma de passer me voir pour qu’on aille inscrire cet Ouchar là, et qu’il aille aider les Blancs au lieu qu’il perde son temps ». C’était la phrase que j’avais retenue. J’ai été inscrit à l’école le 8 juillet 1948.

A un moment donné, en classe de cours préparatoire 2ème année, il manquait d’élèves. Il fallait donc augmenter l’effectif. Ils ont décidé de faire des examens pour permettre à quelques redoublants, d’aller combler ce trou. Il y a six qui ont réussi, et le septième c’était moi. C’est comme cela que j’ai suivi ma formation.

Mais j’avoue qu’à un moment, j’étais pressenti par pour aller à Bongor faire le collège. J’ai vu que Bongor est très loin. Je suis venu en parler à ma grand-mère. Mon oncle venait de mourir. Elle a beaucoup de chagrins et si je la quitte, c’est encore un autre chagrin. Ma grand-mère est venue voir mon enseignant pour qu’il me laisse avec elle. C’est ainsi que je ne suis pas allé à Bongor.


J’ai poursuivi mes études sur place, jusqu’au certificat d’étude. À l’époque coloniale, il faut passer une année de cours moyen 2ème année. C’est un redoublement en quelque sorte, avant d’obtenir la voie d’aller en classe de 6ème.


Pendant ce temps-là, j’ai subi une injustice de la part de mon maître. Il nous a dit que désormais, celui qui vient en retard cinq minutes après 7h sera puni. J’ai bien compris. Je lisais déjà une montre. Dix minutes plus tard, les enfants blancs transportés dans un camion arrivent. Je pensais que mon maître va leur donner des claques comme moi, c’est le contraire qui s’est produit. Il s’est levé de son bureau, il est venu leur serrer les mains chaudement, le sourire jusqu’aux oreilles. C’est là que je n’avais pas apprécié.

A la récréation, je suis parti voir l’inspecteur élémentaire du Ouaddaï et je lui avais fait part de mon souhait de m’inscrire comme élève- maître. Il m’a accueilli à bras ouverts. Il m’a donné des documents et une bourse de 1 200F mensuellement. Alors qu’avant que je ne vienne là, j’étais comme élève orphelin vivant au dos de ma grand-mère. Je percevais une somme de 400F, ensuite 600F, ainsi de suite j’étais passé à 800F quand je suis venu m’inscrire comme élève moniteur.

La formation n’a duré qu’une année scolaire. A la fin de l’année, nous étions huit d’abord, ensuite ils ont pris un stagiaire envoyé à Adré. Deux ou trois ont refusé de fréquenter l’école. Ils ont demandé à leurs parents de rembourser la bourse. A la fin d’année, il y avait deux admis, pour la région du Ouaddaï : Abdraman Abakar et moi. Ainsi, je suis devenu enseignant.

A votre époque comment se faisait le recrutement à la Fonction publique ?

Une fois qu’on a passé le concours pour devenir moniteur stagiaire, on est déjà fonctionnaire. Trois mois plus tard, on sera titularisé. Après la titularisation, on est automatiquement dans le cadre régulier de la Fonction publique. Il n’y a pas de « J’ai l’honneur » (demande manuscrite). On ne pousse personne, chacun se débrouille.

Vous faites partie de ceux qui ont côtoyé presque tous les présidents tchadiens, c’est-à-dire du 1er président Tombalbaye jusqu’au Maréchal Deby. Parlez-nous brièvement de vos expériences.

C’est vrai j’ai connu Tombalbaye, ensuite Malloum. On ne s’entendait pas avec Malloum, puisqu’il avait tué les Ouaddaïens. Sur le terrain, on était opposé. J’étais catégorique. Dès qu’il est arrivé, j’ai quitté le Tchad pour Paris. Je suis allé continuer mes études.

Le président Malloum cherchait les cadres à l’époque. Puisqu’un bon nombre de cadres ont déserté le Tchad. Je me souviens en ce qui me concerne, j’étais à l’école internationale de Bordeaux. Nous avons un stage appliqué, invités par la Tunisie.

Ensuite Malloum est allé en Suisse. C’était Alingué l’ambassadeur du Tchad à Paris. Il m’a appelé chez les amis. J’habitais un appartement, mais je n’avais pas de téléphone. Alingué m’avait dit : le président est en ce moment en Suisse, il est parti à la rencontre d’Abba Sidick, il aimerait bien te rencontrer. Qu’est-ce que tu en penses ? J’ai dit : un chef d’Etat m’appelle, je n’ai pas le droit de refuser. On m’a demandé de venir à Paris. Ils étaient deux : Malloum à gauche et Kamougué à droite. L’un est président et l’autre ministre de la Défense. Accompagnés de toute une équipe de journalistes. « Ouchar, tu as quitté sans me prévenir » me lance-t-il. J’ai répondu: « monsieur le président, vous avez beaucoup de choses à faire. Il n’y a pas qu’Ouchar. Je suis parti en silence et vous m’avez retrouvé aujourd’hui. Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?» Il m’a dit :« tous les cadres ont déserté le Tchad. Nous, on est militaire, nous ne connaissons pas toutes les règles pour gouverner un pays. Il y a des gens comme vous qui peuvent nous éclairer et tu es parti. » J’ai dit que je voudrais terminer cette année ma formation avant de rentrer. J’ai respecté ma parole d’homme et je suis rentré.


Mon arrivée coïncide avec l’application de l’accord de Khartoum, pour mettre les choses en place. Voilà que les gens se clashent. J’arrive en pleine guerre. Après cela, j’étais nommé Directeur général du ministère de l’Information.

Goukouni, je l’aime bien. J’étais ministre de son gouvernement de l’exil. C’est un homme que je respecte. Il est très gentil. Pas seulement la gentillesse, il est franc quelquefois. S’il ne connait pas quelque chose il s’adresse à vous : ‘’aidez-moi’’. Et il a beaucoup évolué.

Avec Hissein Habré, c’était éphémère. Quand j’étais en France dans l’opposition, la seule chose que j’ai dite à propos de Hissein Habré lui a plu. Un journaliste français m’a demandé “si vous avez à choisir entre Kadhafi et Habré” ? Je dis bien sûr c’est Hissein Habré. Il tue mes parents, mais c’est un Tchadien. L’autre, il n’est pas Tchadien, je ne le connais pas. Ça leur a fait plaisir. Ils ont dépêché quelqu’un chez moi jusqu’à Bordeaux. On a fait un acte ouvert. Celui qui veut venir au Tchad, s’il manque quelque chose qu’il ajoute. Et on avait un peu même de trop. Parce qu’on avait demandé à ce que Hissein Habré libère tous les prisonniers politiques. Ça a été fait. On avait pris la France et le Gabon comme des pays ayant donc appuyé cet accord.


Idriss Deby m’a trouvé sur le tas. Quand il est rentré, j’étais député. Nous étions la seule administration qui est restée. Tout a volé en éclat. Je me souviens, il est vêtu d’une chemise kaki et ses galons de colonel aux épaules. Il dit “Tchadiens mes frères, je ne vous apporte ni or, ni argent, mais je vous apporte la liberté, d’opinion, syndicale… “. J’étais encouragé, j’ai essayé de réfléchir autour de quelques idées et j’ai associé d’autres qui nous ont rejoint et on a créé l’UN (Union Nationale). Sans nous cacher on travaillait dans ma maison. Sans me vanter je dirais que j’étais le fondateur.

Avez-vous un conseil à donner à la jeunesse ?

Oh la jeunesse ! Les gens en parlent beaucoup ! Il n’y a que des jeunes. Ce que je reproche aux jeunes, ils ne font que tout le temps casser, embêter les gens. Ce sont des citoyens à part entière comme eux. Il faut les respecter, il faut leur dire clairement, sans méchanceté et sans bousculade. Un jeune qui n’a pas été à l’école n’est pas parfait. C’est l’école qui le complète. Mais tricher par ci tricher par là, ça me fatigue.