L’opinion l’aurait compris. Face à l’avalanche des critiques américaines, rares sont ceux qui prennent le risque de faire une riposte ouverte pour soutenir les autorités de transition. Et pourtant.

Le 4 juillet 2022, à l’occasion de la fête de l’indépendance de son pays, la chargée d’affaires à l’ambassade des Etats-Unis au Tchad a fait une sortie médiatique peu attendue par les autorités de transition pour les appeler à respecter la volonté du peuple et tenir leurs engagements. « Le nouveau départ du Tchad doit suivre la volonté du peuple, et il est de la responsabilité du Conseil militaire de transition (CMT) de tenir ses engagements envers les citoyens du Tchad, y compris que les membres du CMT ne se présenteront pas aux prochaines élections et que le CMT adhérera à une période de transition rapide, avec des élections démocratiques comme marque du succès du travail du CMT », a déclaré Ellen Thorburn devant les invités de circonstance, dont des représentants des Chancelleries occidentales au Tchad. 

Dans l’état-major du MPS, le parti de feu Maréchal Idriss Déby Itno, comme dans le cercle du pouvoir, les propos de la diplomate américaine ont été perçus comme une ingérence dans les affaires tchado-tchadiennes et n’ont, cependant, suscité qu’une seule contre-réaction officielle. « Au moment où les filles et fils du Tchad s’apprêtent, à l’occasion du Dialogue National Inclusif et souverain, à discuter sereinement de tous les maux qui handicapent le progrès économique et social, la stabilité des institutions de leur pays, la déclaration inopportune de Madame Ellen Thorburn s’apparente à une ingérence de nature à perturber la dynamique consensuelle et apaisée de la transition en cours », a ainsi répliqué Jean Bernard Padaré, porte-parole et secrétaire général 2e adjoint, chargé de  communication, mobilisation et sensibilisation du MPS dans un communiqué de presse.  

Alors que la polémique et le malaise provoqués par la chargé d’affaires à l’ambassade des Etats-Unis au Tchad ne sont pas encore retombés dans la capitale tchadienne, un sénateur américain les a ravivés en introduisant au Sénat, le 11 juillet, une résolution demandant plus de démocratie au Tchad. Dans son « appel à une transition démocratique en République du Tchad et soutien au peuple tchadien », Bob Menendez, tout en se disant fier d’affirmer le soutien des Etats-Unis à un dialogue national crédible et inclusif axé sur le retour à l’ordre constitutionnel et au rétablissement d’un leadership civil et l’inéligibilité des autorités de transition, a demandé au CMT d’organiser les élections en 2022 suivant le calendrier approuvé par l’Union africaine. Celui qui est le président du Comité sénatorial des affaires étrangères a proposé une sanction à l’appui, au cas où, une fois adoptée, la résolution ne serait pas suivie d’effet à N’Djaména : que les Etats-Unis suspendent l’aide bilatérale non humanitaire au Tchad jusqu’au rétablissement d’un pouvoir démocratique, issu des élections libres, équitables et pacifiques.

Comme il fallait si attendre, au Palais rose, la résolution introduite par Bob Menendez a vite été vue comme la dernière goutte d’eau qui fait déborder le vase du CMT, déjà quelque peu fragilisée par la sortie d’Ellen Thorburn. Mais qui pour répondre, avec précision, à Bob Menendez, à cette critique américaine, une deuxième en deux semaines ? Face à l’ogre américain, qui a choisi de s’exprimer par le truchement de ses hautes personnalités, tous les caciques du pouvoir se sont murés dans le silence, obligeant le président du CMT à faire lui-même un recadrage pesé et mesuré pour sauver ce qui reste de souveraineté à son pays. « Le temps des petits fonctionnaires travaillant dans les ambassades qui viennent donner des leçons et des orientations aux chefs d’Etats africains est révolu (…) En ce qui concerne la résolution (la résolution proposée par Bob Menendez, ndlr), le Tchad est un pays souverain. Ce n’est pas un sénateur qui ne sait même pas placer le Tchad sur une carte et poussé par des lobbies qui va nous orienter et dire quoi faire de notre pays », a répliqué Mahamat Idriss Déby Itno.

Il a fallu que le chef de la transition se défende des critiques qui le visaient personnellement pour que proches collaborateurs et sympathisants sortent sur les réseaux sociaux pour lui apporter leur soutien indéfectible…

Si les autorités de transition ont pu comprendre que les critiques américaines, compte tenu de leur répétition, n’ont rien d’anodin, elles ont permis de mesurer la dureté de cette transition. L’opinion aura compris que, comme sous Idriss Déby Itno hier, rares sont ces Jean Bernard Padaré qui se risquent, sans y être invités, à prendre la défense des autorités de transition lorsqu’elles sont acculées par une grande puissance. Alors qu’une riposte groupée aurait permis au PCMT de se sentir bien entouré et de se tenir derrière, un sourire rempli d’espoir aux coins des lèvres, tous attendent que celui-ci se jette à l’eau avant de sortir pour s’aligner et applaudir comme de dignes courtisans. Il est vrai qu’il est le garant de la souveraineté du Tchad. Mais que peut-il à lui seul devant une si grande puissance ?