Le 21 mars dernier, les magistrats ont entamé une grève sèche et illimitée pour protester contre la sempiternelle insécurité dans laquelle ils vivent et travaillent, tant dans les locaux de la justice qu’à leurs domiciles. Les agressions physiques sur les magistrats et auxiliaires de justice sont devenus de plus en plus récurrentes, certaines débouchant même sur la mort, comme l’assassinat à coups de poignard du Procureur de la République près le tribunal d’Oum Hadjer, dans la province du Batha, par un justiciable en juin dernier.

La dernière goutte d’eau qui a fait déborder le vase est l’agression d’un autre magistrat à Mao, dans le Kanem, il y a deux semaines. En guise de protestation, le Syndicat des magistrats du Tchad (SMT) et le Syndicat autonome des magistrats du Tchad (SYAMAT) avaient lancé une grève de trois jours, entre les 17 et 19 mars. En vain. Leurs revendications étaient un cri dans le désert. Et ils ont donc décidé d’accrocher les toges et de ranger les codes et autres lois dans les tiroirs. Conséquence : les palais de justice sont vides dans tout le pays. Les dossiers, qui débordent déjà dans les tribunaux, continuent à s’accumuler dans les commissariats.

Et comme si les malheurs des magistrats ne suffisaient pas, des militaires ont violemment torturé, le 27 mars, le Procureur et le juge d’instruction de Kélo (dans la Tandjilé), ainsi que l’épouse du Procureur, enceinte de sept mois. Un véritable pied de nez aux magistrats, mais aussi au Conseil militaire de transition dont la capacité à imposer la discipline aux hommes en treillis et à assurer la sécurité des magistrats et de tous les Tchadiens, est mise à rude épreuve.

La justice a ainsi déserté nos tribunaux, transformés en champs de tirs. Mais cela n’émeut personne. Cela n’émeut pas le ministre de la Justice, Mahamat Ahmat Alhabo. Il a beau s’insurger, dans une récente circulaire, contre la présentation par les services de sécurité des personnes appréhendées pour des présomptions d’infractions, la pratique continue, imperturbablement. On continue de mettre des Tchadiens en détention, souvent illimitée, sans aucune forme de procès. Et le ministre qui était venu « changer les choses de l’intérieur », ne dit rien de la grève des magistrats.

Quand ceux qui sont investis de rendre justice, sont régulièrement battus, voire tués par des individus qui se croient au-dessus de la loi, quand les tribunaux (et les commissariats), censés être les lieux les plus sûrs, sont des « no man’s land » où un quidam peut entrer et tuer un homme de la loi ou sortir un proche détenu pour une infraction, c’est la preuve que le Tchad est devenu un « no justice’s land », une terre sans justice. Ce qui devrait émouvoir les plus hautes autorités de la transition.

Si rien n’est fait rapidement, le Tchad, ce « no justice’s land » où les plus forts appliquent leurs lois sur les plus faibles, où les plus riches même quand ils ont tort obtiennent toujours gain de cause sur les pauvres, risque de révulser les investisseurs étrangers.

Il est temps que le président du Président du Conseil militaire de transition (PCMT) prenne ses responsabilités et montre aux hommes en treillis qu’ils ne sont pas des sur-citoyens, qu’ils doivent respecter les lois de la République. Il est temps que le PCMT, par ailleurs président du Conseil supérieur de la magistrature, s’assume et assure l’inviolabilité des tribunaux, la sécurité des magistrats en tous lieux et une justice équitable à tous les Tchadiens.

Les agressions contre les magistrats de Kélo et la conjointe de l’un d’eux, étaient commises au cours d’une prétendue opération de désarmement. Non seulement, les militaires sont incapables de protéger les magistrats, mais pire ils viennent les torturer à cause d’une arme de poing qu’ils ont le droit de détenir par devers eux. L’ordonnance n°007/PR/2012 du 21 février 2021 portant statut de la magistrature au Tchad est pourtant très claire : « Pour la garantie de leur sécurité eu égard aux menaces auxquelles ils sont exposés, les magistrats sont dotés d’armes de poing dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leur fonction » (article 23). Il faut mettre un terme à la loi de la force et que la force, toute la force revienne à la loi !   

La Rédaction.