L’agression sur la personne d’Ahmat Larry est le énième épisode d’une violence qui se banalise tandis que nos gouvernants chantent à longueur de discours des antiennes sur la paix et la sécurité. Ceux-là sont dans le déni. Le fait par contre que les journalistes traitent de manière quasi générale ces graves agissements à travers le prisme des faits plutôt que sur le symbole que cela représente et que les intellectuels sont aux abonnés absents est le symbole de la défaillance des élites, qui sont le reflet de la société.

« La violence rabaisse l’homme en-dessous de l’humanité (…) quels que soient les arguments qu’on déploie » Bitang Jean-Eric, « Quand la philosophie sert la violence civilisationnelle, sur la lecture towaïenne de Hegel », https://adouloubitang.wordpress.com, 29 novembre 2015.

Ne trouvez-vous pas étrange que l’opinion publique, et pire, les journalistes, se soient juste contentés depuis vendredi soir de dire « Abbas et Larry se sont boxés » plutôt que de mettre la pression sur le responsable politique qui gravite autour de cette rixe ? L’essentiel des commentaires a porté sur ce pugilat puéril et non sur ce qui aurait dû interpeller toutes les personnes censées, à savoir la banalisation des armes à feu et le sentiment d’impunité.

L’intention vaut l’acte

Les Tchadiens sont-ils devenus si creux au point que seuls les faits importent alors que ce sont les fondements même d’une société civilisée qui s’étiolent ? Nous crions comme des chalands qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez en reléguant la réflexion nécessaire à la préservation d’une vie en communauté. Nous réagissons comme des chiens enragés assoiffés de sang dans des réflexes pavloviens, primaires. A l’aune de la fusillade de vendredi soir, le constat est effrayant et inquiétant sur la voie qu’emprunte notre pays.

Pas une seule voix ne s’est élevée pour dénoncer l’attitude égoïste du premier édile de la capitale qui se terre dans un silence irresponsable alors que l’un de ses plus proches collaborateurs et son fils sont directement impliqués dans ce qui s’apparente à une tentative de meurtre. Quelles que soient les intentions de la personne qui a dégainé une arme à feu, il a fauté en se comportant comme un gangster… l’intention valant l’acte.

Aucun politicien ne s’est ému de cette énième entorse au contrat social. Le sens du devoir a laissé place à une attitude complice et égoïste pour ne pas risquer de perdre sa position. Loin de l’exemple qui doit guider un politicien qui gère les biens publics.

Nos cerveaux sont en léthargie. Notre réflexion est au point mort. Notre humanité est réduite à sa portion la plus congrue. Comment pourrait-il en être autrement quand on constate ce silence assourdissant à chaque meurtre ou tentative de meurtre, à chaque fois que la justice sociale est bafouée. Le bon sens citoyen aurait voulu que les acteurs de la société civile (les journalistes en font partie), les oppositions et les citoyens (si prolixes sur les réseaux) imposent une pression telle sur le Maire de N’Djaména au point que celui-ci soit obligé de prendre des décisions. Si ce n’est sur sa personne (en démissionnant), au moins en écartant les membres de son équipe impliqués dans cette passe d’arme pathétique et digne d’une série B. Par devoir, par responsabilité, Pour l’honneur de sa propre personne et des institutions qu’il représente. Par principe car sa présence en tant que responsable de la ville parasitera, qu’on le veuille ou non, le travail de la police. On sait tous avec quelle déférence et quelle légèreté sont traitées les affaires impliquant un membre de la cohorte politique en fonction. Tout va à vau-l’eau !

Ambiance de favélas

La banalisation des armes à feu est le résultat direct d’un sentiment d’impunité qui prend de l’ampleur dans les hautes sphères de notre société. Certains, dans des tentatives d’explications pseudo sociologiques, nous diront que c’est dans la nature du Tchadien. Que nenni… De jour en jour un fossé se creuse inexorablement entre les biens nés, leurs affidés et le reste de population.

Finalement, nous ne sommes plus très loin de l’ambiance délétère, meurtrière qui prévaut dans les favélas brésiliennes ou les barios mexicains. Mais le pire est que dans ces lointaines contrées, cette violence répond principalement à une guerre entre des trafiquants de toutes sortes. De la grande délinquance car le bien matériel en est la cause. Chez nous, il y a certes aussi des délinquants, mais cette violence décrite ci-dessus s’apparente pour certains à un devoir, une manière d’imposer sa force. La raison du plus fort… Quelle perte de repères !

De jeunes immatures qui se menacent par arme à feu. Silence radio !

Des communautés qui s’entretuent aux 4 coins du pays. Silence radio !

Où sont passés nos intellectuels et nos journalistes quand il s’agit d’alerter, de se muer en façonneurs de conscience sur ces situations. Où sont ceux qui ont les connaissances nécessaires pour aiguiller les décideurs afin de construire sur le long terme une société délester de ces maux. Où sont passés ces citoyens qui n’acceptent plus que leur pays continue à s’enfoncer dans les abimes de la violence ?

Chérif Adoudou Artine