Dans The life of reason, essai sur les différentes phases des progrès humains édité en 1905, le philosophe Georges Santayana affirme que « Ceux qui ne peuvent tirer des leçons du passé sont condamnés à le répéter et à commettre les mêmes erreurs. ».

Ne pas tirer les leçons du passé. C’est l’impression que les observateurs avisés de la vie politique tchadienne ont eu mercredi, jeudi et vendredi derniers, lorsque Mahamat Idriss Déby a convoqué tout à tour le comité d’organisation du Dialogue national inclusif, les partis politique, les organisations de la société civile (OSC) et les organisations syndicales. Ces rencontres rappellent celles qu’Idriss Déby Itno organisait à travers le Cadre national de dialogue politique (CNDP) avec l’opposition. Ce CNDP qui était pour l’ex occupant du Palais présidentiel juste un instrument ad hoc pour se jouer des partis politique et les maîtriser d’une certaine manière.

Mahamat Idriss Déby, qui est depuis son arrivée en tant que chef de la transition dans la continuité de son prédécesseur, souhaite sans doute en faire de même.

Sur la forme, il conjuguera le même exercice qui prévalait, à l’aspect rituel qui prévaut aujourd’hui. Le PCMT a voulu signifier aux parties prenantes, comme son père le faisait vis-à-vis des Kebzabo, Kassiré et autres figurants politiques de l’époque, qu’il est le chef. Mais le chef d’une transition qui ne tire aucune légitimité populaire et qui ne répond à aucune des conditions édictées par l’Union africaine en mai 2021 (mais qui est malgré tout choyée par cette même Union africaine).

Il commande, et ils y vont. Ils y accourent même. En cela, ça ne touche pas juste le PCMT, mais aussi ces partis politiques, ces syndicats et ces OSC qui existent du fait de la loi. Ils sont reconnus par des textes qu’ils n’ont pas imposés eux-mêmes. Mais malgré cela, il se livrent à un spectacle des plus désolants en se massant devant les portes de la Présidence suite à un simple appel téléphonique ou un sms. Ils sont venus, non pas pour discuter, pour proposer encore moins pour débattre, mais juste pour écouter un homme qui ne doit sa présence en ces lieux et à cette fonction qu’à un coup du destin. En l’espèce, c’est Mahamat Idriss Déby qui devrait chercher à avoir leur assentiment pour jouir d’une certaine légitimité. Mais malheureusement, nous avons depuis bien longtemps tout inversé dans ce pays.

Des vocables anachroniques

Le fond du discours de Mahamat Idriss Déby face à ses interlocuteurs était à la foi déplacé et anachronique. Est-ce que cette dialectique sera celle qui guidera les assises prévues ce 20 aout 2022 ?

La courtoisie qui sied à une personne qui s’est donnée comme mission de réconcilier ses concitoyens empêche d’insulter les uns et les autres. Respecter ce savoir-vivre républicain qui interdit de prononcer des propos déplacés. « Malgré nos efforts inlassables pour parvenir à ces objectifs les difficultés rencontrées et la mauvaise foi de certains dans les discussions ont fait trainer en longueur les négociations avec les politico-militaires (…) » tançait-il lors de son adresse aux représentants des partis politique le 29 juillet. Même type d’écart langagier lors de la rencontre avec les OSC la veille : « Nul n’ignore qu’au sein des organisations de la société civile, à côté de la majorité animée de bonne foi, taraude, malheureusement, une minorité des charognards, qui ne prêche que l’évangile de la division. ».

L’anachronisme de ces propos est le résultat d’une dialectique manichéenne. Bien que se positionnant au-dessus de la mêlée, le Général d’armée à cette tendance à vouloir distinguer le « eux » et le « nous ». Lisez donc : « Sachez bien que les ennemis de la réconciliation sont là parmi nous ; ils rôdent autour de nous et scrutent la moindre faille pour nous diviser. » met-il en garde ses « convoqués ». Ce côté partisan ne convient pas une personne qui doit réunir les autres une fois de plus. L’utilisation de ces vocables qui appartiennent à un temps que l’on pensait révolu est peut-être à l’origine de l’ambiance délétère qui guide les discussions de Doha. Cela ne présage rien de bon sur le ton général qui attend les participants au Dialogue national inclusif.

Mahamat Idriss Déby convoque et fait la morale à des politiciens qui ont un vécu de loin supérieur au sien, somme les syndicats d’appliquer le pacte social du 04 octobre 2021 sans connaissance des difficultés du quotidien que vivent les femmes et les hommes qui composent notre administration et donne des leçons de gouvernance à une société civile confrontée à des injustices de toute sorte dans ses actions au quotidien.

Avons-nous seulement retenu les leçons du Forum national inclusif de 2018 et de l’ultra-présidence qui en a résulté ?

Chérif Adoudou Artine