Après 17 ans d’une quête présidentielle inachevée, Timan Erdimi se rend disponible « pour construire la paix ». Mettra-t-il de côté si facilement ses desseins présidentiels ou alors, tel un joueur d’échec, il est à N’Djaména pour jauger le terrain avant de se déclarer ?

« Si Timane est revenu au Tchad, ce n’est pas pour couler de beaux jours de retraité», confie un observateur de la vie politique en ce jeudi 18 août dans la matinée, quelques instants après la descente d’avion du Président de l’UFR (Union des forces de la résistance), un regroupement de 6 mouvements rebelles fondé en 2009. Soit une année après l’entrée, le 2 février 2008, des troupes du RFC (Rassemblement des forces pour le changement), déjà dirigées par Timane Erdimi, et de 3 autres mouvances afin de renverser Idriss Déby Itno. L’énigme Timane Erdimi a fait couler beaucoup d’encre dès le 8 août, ce jour ou « 43 mouvements politico-militaires » signaient un accord de paix avec le gouvernement tchadien.

« Je veux être calife à la place du calife »

Vous connaissez sans doute les aventures du grand calife de Bagdad Haroun El Poussah, fiction créée par les bédéistes/scénaristes René Goscinny et Jean Tabary dans les années 1960. Le sens de ces histoires était la quête permanente du pouvoir : le calife qui voulait le conserver et son grand vizir qui voulait le supplanter. A travers cette intrigue bon enfant, ces caractères de fiction ressemblent à s’y méprendre à Idriss Déby Itno et Timane Erdimi. Autant le calife avait une confiance quasi aveugle en son vizir, autant le vizir n’avait qu’une seule envie, c’était de devenir « calife à la place du calife ».

Au début des années 1990, Idriss Déby Itno, tout frais Président de la République, nomme Timane Erdimi au poste stratégique de Directeur de cabinet avant de l’envoyer quelques années plus tard à la direction générale de la très prolifique Coton-Tchad. Le natif du village bidéyat de Kéoura (dans l’Ennedi) est un proche parmi les proches d’IDI. Sa voix était écoutée et il avait une influence qui grandissait de jour en jour. Au point que le journaliste Stephen Smith, dans une de ces chroniques sur la gestion du pétrole tchadien publiée dans le quotidien Le Monde en 2001, le qualifie, lui et son frère jumeau Tom Erdimi, de « cornaques du président Déby ».

Si proche du pouvoir. Mais bien loin de l’avoir entre ses mains. C’est le sentiment qui découlait d’un fameux conciliabule qui s’est tenu entre les 3 hommes (car oui, le jumeau était tout aussi proche d’IDI que son frère Timane) aux lendemains de l’élection présidentielle de 1996. Ces derniers avaient conseillé au Président Déby de ne plus se présenter en 2001, afin de laisser la place à un autre. L’un d’entre eux peut-être… Le président-fondateur du MPS avait lu dans leur jeu et ne l’entendait pas de cette oreille. La confiance était dès lors rompue. La brouille consommée.

Cette démarche était principalement motivée par un ressenti de Erdimi vis à vis de l’ancien Président. Être si proche du pouvoir sans l’exercer pleinement a créé chez Timane une sorte d’émulation négative. Un proche de la famille raconte : « Il a toujours méprisé son oncle Idriss Déby Itno et pensait dans son for intérieur que si ce militaire sorti de nulle part est devenu président, il le pouvait aussi. Il a le sentiment d’être le plus intelligent de tous les Tchadiens. »

Amertume et sentiment d’inachevé

Quittant en 2005 les ors de la République et les honneurs qui y étaient liés pour conquérir le pouvoir en son nom, Erdimi aura vécu depuis, entre amertume et sentiment de lutte inachevée, dans une « prison dorée » au Qatar depuis 2010.

De manière factuelle, sa course dans le maquis n’aura duré que le temps d’un lustre. Jusqu’à son assignation à résidence au Qatar après les attaques avortées de 2006 et 2008 sur N’Djaména et les échecs des accords de Tripoli puis de Syrte.

Amertume tout d’abord car il aura perdu dans sa quête de pouvoir tour à tour son fils, sa sœur et son frère. En décembre 2006, lorsque ses troupes du RFC combattaient l’armée gouvernementale dans la bataille de Guereda, il a vu tomber au front son fils Hamdoun Timane, alors âgé de 21 ans. Le 24 janvier 2009 c’est sa sœur cadette, Ghani Nassour, qui a été sauvagement assassinée à N’Djaména certainement en représailles à sa désignation la veille à la tête de l’UFR. Et en décembre 2015 c’est son frère, Mahamat Erdimi, qui a subi le même sort. Cette amertume doit certainement être accentuée quand il pense à ces/ses hommes tombés sur les différents fronts.

Sentiment d’inachevé ensuite. Consacrer 17 ans de sa vie pour toucher à un graal que l’on estime à sa portée et abandonner n’est pas chose aisée. Surtout pour un homme, et son parcours le démontre, aussi déterminé. Voilà pourquoi son retour au Tchad n’est pas jugé anodin et éveille toutes les supputations, des plus loufoques aux plus probables, en passant par les plus alambiquées. Le chercheur Jérôme Tubiana, cité par l’AFP, croit savoir qu’Erdimi, en signant à Doha, cherche à rattraper le temps perdu et saisir une aubaine qui le remplace au centre du jeu : « On ne peut pas s’attendre que Timan Erdimi se contente de se rallier au pouvoir, il va certainement jouer sa propre partition, on peut même s’attendre à ce que les tensions, qui sont importantes en ce moment au sein de la communauté zakhawa, soient alimentée par Timan, plutôt qu’il ne les calme. »

A la lecture de cette analyse, on se demande forcément si Mahamat Idriss Déby n’a pas laissé le loup entrer dans la bergerie… S’il veut s’appuyer sur les différends qui existent « ce n’est pas gagné pour lui. Car les gens aujourd’hui ont une autre approche. Quand on est en guerre c’est une chose, quand on est au Tchad dans le jeu politique, c’est différent», explique le proche de la famille cité en infra.

L’attitude d’Erdimi sera scruté, son positionnement sur l’échiquier du dialogue sera étudié et ses accointances seront surveillées. Il est résolument le facteur X de la transition. La grande inconnue qu’il faudra résoudre.

Chérif Adoudou Artine