A peine démarré, à peine suspendu ! Le pré-dialogue entre le gouvernement et les groupes rebelles, ouvert le 13 mars dernier à Doha, au Qatar, a été suspendu pour trois jours. Les travaux sont sensés reprendre ce matin du 16 mars. A la grande surprise, les travaux viennent encore d’être suspendu pour 48 heures.

Ouvrons une parenthèse pour recadrer cette invention tchadienne, ou plutôt cette incongruité : « mouvement politico-militaire ». Des individus ont pris des armes pour s’opposer à un pouvoir, ils forment un « groupe armé » ou une « rébellion armée ». C’est une aberration de dire qu’on peut faire la politique avec les armes ; et pour faire la politique, un militaire doit d’abord démissionner des effectifs de l’armée. Refermons la parenthèse.

Ceci dit, le couac de Doha n’étonne guère. Avec 52 groupes rebelles présents aux pourparlers, il fallait s’attendre à une cacophonie. 52 groupes rebelles ! Le Tchad est le champion au monde des groupes rebelles. Et pendant que le pré-dialogue de Doha s’ouvrait, un autre groupe rebelle était porté sur les fonts baptismaux. Dénommé « Union des Forces Démocratiques du Tchad » (UFDT), il se dit être « l’aboutissement d’une longue réflexion de plusieurs membres de l’opposition tchadienne issus des mouvements politico-militaires existants et de la diaspora ».

Au Tchad, la rébellion armée est devenue un fonds de commerce. Le métier des armes paie bien : cela rapporte des postes dans l’administration et des mallettes d’argent en cas de ralliement. Certains l’ont compris depuis belle lurette et s’en livrent à cœur joie. Parce qu’il a perdu des privilèges, un tel se lève un matin et crée un mouvement rebelle, parfois sans disposer des hommes ou d’une base arrière. Tenez ! L’UFDT, le dernier né, a été créé le 12 mars « à Paris et par visio-conférence ». On fabrique des rebellions à la pelle pour aller ou revenir à la mangeoire, comme on crée des partis politiques pour les subventions de l’Etat, ou des médias pour l’aide à la presse.

Ces groupes rebelles se font appeler « union », « alliance », « coalition », « concorde » ou autre, pourtant, on y trouve presque tous des gens d’un même village, d’une même province ou d’une même religion. Tous ces groupes prétendent lutter pour le Peuple ou pour un Tchad uni, égalitaire… Et pourtant, ce sont soit des individus qui ont pris les armes pour leurs intérêts.

En prélude au pré-dialogue de Doha, et pour montrer sa bonne foi, le gouvernement avait pris un certain nombre de mesures : notamment une amnistie générale et la restitution des biens et immobiliers des chefs rebelles. Mais tout cela n’est pas suffisant aux yeux de ces derniers ; ils veulent plus. Doha est une occasion en or pour faire monter les enchères. Soit pour obtenir des promesses de strapontins et des espèces sonnantes et trébuchantes, soit pour maintenir la pression et pousser Mahamat Idriss Déby Itno à ne pas se présenter à la prochaine présidentielle. Ce qui n’est pas gagné d’avance ; le refus de ce dernier de modifier la Charte de transition pour y faire insérer l’interdiction aux responsables de la transition de se présenter aux prochaines élections générales, malgré l’insistance des Transformateurs et autres, n’est pas fortuit.

Pendant des décennies, Timan Erdimi, Mahamat Nouri, Mahamat Mahdy Ali et ces autres chefs rebelles ont multiplié des assauts sur N’Djaména pour tenter de déloger Idriss Déby Itno du Palais rose. En vain. La dernière offensive rebelle, en avril 2021, s’est toutefois soldée par la mort brutale du Maréchal (paix à son âme), mais son fils, Mahamat « Kaka », a pris les rênes de la transition. Le calife Déby est mort, vive le calife Déby ! Ces chefs rebelles n’entendent pas laisser le fils régner sur le Tchad. Tous veulent être calife à la place du calife. Ces Iznogoud tchadiens, sont capables d’une chose : s’entendre pour ne pas s’entendre. Il ne faut donc rien attendre du Qatar ; on n’oublie pas le rôle trouble joué par l’émirat gazier dans la formation ou l’entretien de beaucoup de rébellions contre N’Djaména.

Le pré-dialogue de Doha est donc bien parti pour échouer. Même si, contre toute attente, un accord est trouvé, certains chefs rebelles vont, comme on le dit, regagner la légalité pour s’asseoir à la table de la transition et manger ; d’autres, les irréductibles Iznogoud, reprendront le chemin du maquis, en espérant un jour chasser Mahamat « Kaka » et être calife à la place du calife.

La Rédaction.