Ils ont dirigé la diplomatie tchadienne entre 1997 et 2019. Ils continuent aujourd’hui à la faire briller sur la sphère continentale et internationale. Portraits croisés des ambassadeurs Moussa Faki Mahamat, Hissein Brahim Taha, Mahamat Saleh Annadif, Nagoum Yamassoum et Ahmad Allam-Mi.

Le 30 janvier 2017, Moussa Faki Mahamat est élu président de la Commission de l’Union africaine (UA) au cours du 28ème sommet de l’organisation à Addis-Abeba. Ce polyglotte (il parle parfaitement le français, l’anglais et l’arabe) a succédé à la sud-africaine Nkosazana Dlamini-Zuma. Le chef de la diplomatie tchadienne prenait la présidence de l’exécutif continental le même jour où le président Déby cédait la présidence tournante de l’UA, qu’il a assumée pendant un an, à son homologue guinéen Alpha Condé.

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Ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères pendant plus de neuf ans, il a suivi tous les dossiers stratégiques dans lesquels le Tchad était engagés: République Centrafricaine (RCA), Soudan du Sud, Libye, Mali, Sahel et bassin du lac Tchad. A sa prise de fonction, il a fait le rêve d’une Afrique «où le bruit des armes» serait étouffé par «les hymnes de la culture et le grondement des usines». Il a ainsi placé le développement et la sécurité au rang de ses priorités. Il a également promis de «rendre l’UA moins bureaucratique, moins procédurière», de rendre également la libre circulation des biens et des personnes effective.

Il a tenu son pari. Contrairement à sa prédécesseure qui avait construit son cabinet avec essentiellement des ressortissants d’Afrique australe, sa région, il s’est entouré d’hommes et de femmes venus de toutes les régions du continent. Contrairement à Dlamini-Zuma, Faki n’a pas hésité d’aller sur le terrain: auprès des 20 000 hommes de l’Amisom, la mission de l’UA en Somalie, à Juba, au Soudan du Sud, etc. Il a toujours fait preuve d’un engagement politique fort.

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Un nouveau souffle à l’UA

C’est sous la présidence de cet homme d’Etat pragmatique, frugal, réservé et qui écoute beaucoup, que la Commission de l’UA a impulsé, de manière décisive, l’achèvement des négociations sur la libre circulation des personnes sur le continent et l’établissement d’une zone de libre-échange continentale (ZLEC), deux vieux projets définis du temps de l’OUA (Organisation de l’unité africaine, ancêtre de l’UA). Il a également redynamisé la coopération entre l’UA et l’Union européenne.

Ce 23 janvier 2021, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires est entré en vigueur. Une grande satisfaction pour Faki qui a noté que «ce jalon historique mondial réaffirme l’engagement de l’UA en faveur de la réalisation d’un monde sans armes nucléaires».

Le mandat de Faki devra finir ce mois-ci. Le maréchal Déby multiplie les tractations pour qu’il soit maintenu. Les quatre prochaines années devront ”normalement” se faire encore avec l’ancien chef de la diplomatie tchadien (61 ans en juin prochain) qui aura été à la hauteur des attentes placées en lui lors de son premier mandat.

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Faki parti pour diriger l’exécutif africain, c’est Hissein Brahim Taha que le président Déby a rappelé de Paris, en février 2017, pour conduire la diplomatie tchadienne. L’ex-ambassadeur du Tchad en France est également un diplomate chevronné. Il a passé près de dix ans dans la capitale française où il a fini par devenir le «grand frère» des diplomates africains en poste.

Au sommet du monde islamique

L’ambassadeur Brahim Taha a mis à peine deux ans aux Affaires étrangères. En 2019, il a été nommé secrétaire général adjoint à la présidence. Là aussi, l’expérience a été courte (à peine onze mois). Le 29 novembre 2020, il a été élu secrétaire général de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) au cours de la 47ème session des ministres des Affaires étrangères de l’organisation à Niamey, au Niger. Quatre ans après Faki à l’Union africaine, le Tchad est hissé au sommet du monde islamique. «C’est une immense fierté pour le pays», a écrit le président Déby dans un tweet, souhaitant à son directeur de cabinet «plein succès dans l’exercice de cette exaltante mission».

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«C’est une opportunité pour notre pays de s’affirmer encore plus sur ce terrain du monde islamique. Je crois que ça va être une grosse opportunité pour notre pays», a déclaré, à son retour triomphal au pays, l’ancien ambassadeur à Taïwan (69 ans aujourd’hui). Il prendra fonction le 17 novembre 2021, à la fin du mandat du saoudien Yousef bin Ahmed Al-Othaimeen. Au cours des cinq prochaines années, il tentera de relever des défis énormes, tels que la lutte contre le terrorisme. Le dernier sommet des chefs de l’OCI, dans la capitale nigérienne, avait pour thème: «Unis contre le terrorisme, pour la paix et le développement».

Le diplomate des missions difficiles

Un autre ancien ministre des Affaires étrangères œuvre inlassablement, depuis cinq ans, contre le terrorisme au Mali: Mahamat Saleh Annadif. Le chef de la Mission multidimensionnelle des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma, déployée en juillet 2013) est un habile négociateur, avec des talents diplomatiques avérés et une forte expérience dans les processus de paix au Niger, en Centrafrique et en Somalie.

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Ministre des Affaires étrangères pendant six ans (1997-2003), soit la plus longue durée après Faki, l’ambassadeur Annadif a une grande connaissance des problèmes internationaux et une remarquable expérience. Ce sont ces atouts qui ont convaincu le malien Alpha Oumar Konaré, alors président de la Commission de l’UA, de le nommer, en mai 2006, au poste très sensible de représentant de l’organisation continentale auprès de l’Union européenne. Le président Déby l’a rappelé en mars 2010 pour le nommer secrétaire général à la présidence. Après une descente au purgatoire (un emprisonnement entre avril et juillet 2012 pour des prétendues malversations financières dans lesquelles son implication n’a jamais été démontrée), il a été récupéré par le président de la Commission de l’UA qui l’a envoyé en Somalie comme son représentant spécial et chef de l’Amisom. Un poste qu’il a assumé avec succès pendant près de deux ans et qui lui a permis de taper dans l’œil du secrétaire général de l’ONU. En janvier 2016, l’ambassadeur Annadif a été nommé représentant spécial du secrétaire général de l’ONU au Mali et chef de la Minusma. A Bamako, il a contribué largement à réconcilier les Maliens avec la Mission onusienne, d’une part, et entre eux-mêmes, d’autre part.

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Le mandat du diplomate des missions difficiles (65 ans) prend fin en avril prochain. Arrivera-t-il à obtenir cinq autres années? Rien n’est très sûr, contrairement à Faki. Car s’il a le soutien des Français, l’administration Biden serait pour son remplacement.

Le gendarme du marché financier de la CEMAC

Successeur d’Annadif à la tête de la diplomatie (entre juin 2003 et août 2005), Nagoum Yamassoum a eu une très riche carrière:  secrétaire général du Mouvement patriotique du salut et directeur de campagne du candidat Déby à la première présidentielle de 1996; directeur de cabinet adjoint à la présidence; plusieurs fois ministre; premier ministre (du 14 décembre 1999 jusqu’à sa démission le 12 juin 2002); ministre des Affaires étrangères et de l’intégration africaine dans le gouvernement dirigé par… Moussa Faki; président du Conseil constitutionnel (à deux reprises), secrétaire général de la présidence, etc. C’est cette expérience exceptionnelle que ce docteur en Sciences politiques et diplômé en Diplomatie et administration des organisations internationales met aujourd’hui au service de la CEMAC.

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C’est sur la scène régionale que l’ambassadeur Nagoum Yamassoum continue à s’illustrer sur la scène régionale. Il avait été nommé le 31 octobre 2017 par la conférence des chefs d’Etat de la CEMAC à la présidence de la Commission de surveillance du Marché financier de l’Afrique centrale (COSUMAF) pour un mandat de cinq ans. Sous sa direction, la fusion du marché financier décidée par les chefs d’Etat et de gouvernement, est devenue effective: fusion des régulateurs en mars 2019 et des entreprises de marché en juillet 2019. Ce qui a ouvert la voie à la dynamisation du marché financier à travers la structuration et l’optimisation fonctionnelle et l’efficacité opérationnelle des différentes structures du marché.

Cette double fusion a remis le compteur des mandats à zéro et l’ambassadeur Nagoum Yamassoum a débuté, en mars 2019, ses fonctions de président de la «nouvelle» COSUMAF pour cinq nouvelles années.

La COSUMAF, basée à Libreville (Gabon) a pour missions de superviser le marché financier régional et protéger l’épargne investie. Elle s’active à fournir un meilleur accompagnement des acteurs, un encadrement volontariste de l’approfondissement du marché en produits financiers, et une plus forte implication dans la promotion de l’éducation et de la culture boursières auprès des acteurs directs et indirects.

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«Nous restons convaincus qu’ensemble, grâce à l’unification du marché financier, nous relèverons le défi du développement économique et durable de la zone CEMAC», croit mordicus le gendarme en chef du marché financier de la CEMAC (67 ans).

Le ”sauveur” de la CEEAC

L’ambassadeur Allam-Mi (73 ans aujourd’hui), lui, a pris les rênes de la diplomatie tchadienne après Nagoum Yamassoum en 2005. Comme son illustre prédécesseur, il a contribué au rayonnement de l’Afrique centrale. Il a été en effet le grand architecte de la réforme historique de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC), adoptée en décembre 2019 à Libreville (Gabon) et qui a modifié sensiblement l’architecture institutionnelle de l’organisation. La réforme de la CEEAC (avec ses vieux textes adoptés en 1983) avait été soulevée depuis 2009, mais les différents responsables qui se sont succédé n’ont pas réussi à la mener à bien. La CEEAC naviguait donc à vue, n’arrivait pas à assumer ses nouvelles responsabilités dans les domaines de la paix et de la sécurité. Sans ressources, elle était dans une situation lamentable et dans une inertie terrible, faisant piètre figure de dernière communauté économique régionale (CER) du continent.

Il a fallu l’arrivée d’Allam-Mi, en août 2013, pour que les choses commencent à bouger. L’ancien ministre des Affaires étrangères (2005-2008) était rappelé de New York où il représentait le Tchad auprès des Nations Unies depuis cinq ans, pour venir sortir la CEEAC de la torpeur et de la routine dans lesquelles elle stagnait. Avec l’appui du président gabonais Ali Bongo Ondimba, président en exercice de la CEEAC, il a réussi le pari. Les nouveaux textes ont été adoptés ou révisés: le traité constitutif, le cadre organique, le règlement financier et le statut du personnel. Une contribution communautaire d’intégration (CCI) a même été instituée. La CEEAC s’est ainsi relancée sur de nouvelles bases.

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Le traité révisé est entré en vigueur le 28 août 2020. Le lendemain, Allam-Mi a passé le flambeau à Gilberto Da Piedade Verissimo, tout premier président de la Commission de la CEEAC, selon la nouvelle réforme et le principe de rotation. C’est une CER dynamique et performante que l’ancien ambassadeur du Tchad auprès de la France, de la Suisse, de l’Espagne et de l’Unesco (au début des années 80 puis entre 1992 et 1994) a léguée à son successeur.

Le président Bongo a choisi la même date historique d’entrée en vigueur du nouveau traité pour décerner à Allam-Mi la médaille du Commandeur dans l’ordre du mérite national. Tout un symbole ! Et une récompense bien méritée pour un grand commis que l’Afrique centrale n’oubliera jamais.