Notre compatriote Abbas Kayangar policier de son état, ancien cadre de la police tchadienne s’est fendu d’une lettre ouverte à l’attention de Mr Abderahim Bireme ministre de l’administration du territoire et de la Sécurité Publique. Lettre dont la pertinence, l’intelligence de l’analyse de la situation qui prévaut, ainsi que les pistes de solutions relevées interpellent au premier niveau nos dirigeants, mais aussi l’ensemble de nos concitoyens. C’est sur le jugement de tous ces points que nous avons choisi de la partager avec vous.

Monsieur le Ministre,

Objet : lettre ouverte à Monsieur le ministre de l’administration du territoire et de la Sécurité Publique,

Vous conviendrez avec moi que notre pays fait face à un défi sécuritaire sérieux, et pouvoir apporter des solutions adéquates face aux phénomènes de terrorisme et d’insécurité, demande la conjugaison de tous les efforts et une participation citoyenne pour mettre hors d’état de nuire tous ceux qui veulent s’en prendre à nos populations et à nos institutions. Des réponses aux problèmes de terroristes dans notre pays ne peuvent se faire qu’en prenant des mesures draconiennes a la mesure des menaces. En premier lieu, notre police doit être dépoussiérée et remise a neuve. Contrairement aux déclarations triomphalistes et l’optimisme démagogique du Premier ministre, je pense à mon humble avis que la guerre contre Boko Haram ne fait que commencer, la vigilance doit être de mise et la mobilisation a la hauteur de la barbarie et des menaces qui pèsent sur notre pays, notre peuple et nos institutions.

En votre qualité du chef du département de la sécurité, vous êtes au parfum des maux qui minent notre police, notamment la corruption, le clanisme, le clientélisme, l’amateurisme, l’amalgame et les nominations de complaisance. Beaucoup de cadres et des techniciens de la police sont laissés de côté au détriment des individus peu qualifiés et ne répondant aux critères de poste qu’ils occupent par complaisance. On ne peut demander à un individu sans connaissance de piloter un avion, ce le cas pour la police et ses différentes branches. Lutter contre le terrorisme nécessite l’association de la population dans le processus de renseignements pour la lutte contre le terrorisme. Sans l’apport de la population, la lutte contre le terrorisme ne portera pas les fruits escomptés. Lutter contre le terrorisme, c’est laisser aux spécialistes en la matière de faire leur preuve, et non confier le destin d’une unité, des hommes et d’une population a des personnes n’ayant aucune qualification.

Comment accepter qu’une promotion d’élèves policiers de 1000 cadets soit composée de 700 membres d’une même ethnie et les 300 autres représentent le restant des autres tchadiens? Comment refuser de dire que ce 29 juin 2015, à l’école de police, il y avait 1000 élèves policiers dont 700 sont issus d’une même ethnie et que les 300 autres étaient glaner de gauche à droite dans les autres ethnies pour tromper la galerie. Comment accepter que le concours d’entrée à l’école de police ait été banni au détriment de mode de recrutement complètement basé sur des considérations purement subjectives et claniques? Est-ce la voie royale de chercher l’excellence? Est-ce de cette manière qu’on fera de notre police, un service rompu et saturé de professionnels de la police? Est-ce de cette façon que notre police parviendra-t-elle à répondre aux nombreux défis sécuritaires?Somme toute…

Monsieur le Ministre, notre police a un système de transmission et réception radio très désuet qui ne répond plus aux défis actuels, beaucoup de personnes ne faisant pas partie de la police ont accès aux communications de la police car, avoir une radio talkie-walkie et se connecter sur la fréquence de la police est aussi facile pour certain que le fait d’aller acheter du pain. Il suffit de se procurer un poste émetteur-récepteur, la corruption aidant, on peut aisément se faire connecter sur le canal de la police grâce aux « bons offices » des services de télécommunication de l’armée et suivre toutes les activités de la police. Le moment est tout indiqué de mettre sur pied une structure de communication sécuritaire et cryptée en vue de protéger les communications et préserver la réussite des opérations.

Monsieur le Ministre, l’urgence est à son summum, les plus hautes autorités de la république doivent apporter tous les moyens nécessaires en vue de la création, de la formation et de l’équipement des unités tactiques d’élite de la police chargées de lutter contre le terrorisme. Vous devez songer à créer dans les plus brefs délais, une unité de coordination de la lutte anti-terroriste, laquelle doit être composée de responsables de la gendarmerie, de la police nationale, de la police municipale, de l’armée et subséquemment des services de renseignements.

Les éléments devant faire partie de ces policiers d’élite doivent subir des tests de recrutement basés sur les capacités morales, l’aptitude, l’habilité, l’endurance et la probité.Un policier des forces spéciales loin d’être un surhomme:

Être un policier formé ayant au moins trois ans d’expérience opérationnelle;
Être « mûr », responsable, pondéré, et caractère égal;
Être en excellente forme physique et avoir un mental de fer pour atteindre et maintenir un niveau élevé de conditionnement physique;
Être un bon tireur (s’entrainer régulièrement pour améliorer ses aptitudes tactiques et au maniement d’armes;)
Avoir démontré au cours de sa carrière un bon sens de discernement et de maîtrise de soi dans des situations extrêmement stressantes;
Avoir une excellente vue et, de préférence, ne pas porter de verres;
Ne pas avoir un handicap physique (audition, vision, moteur…)
En plus de l’entrainement physique épuisant, portant sur les systèmes cardiovasculaire et respiratoire, la force physique, l’endurance et la flexibilité;
Subir également des entraînements situationnels comme la planification d’urgence, la descente en rappel, la communication par signes (cela est important lors des approches furtives : on n’a pas besoin de radio, ni de crier d’ordre),
Savoir le maniement des engins de diversion, la couverture et la dissimulation, le pistage et la recherche, les approches furtives en milieux urbain et rural
Avoir une bonne connaissance des munitions et de la balistique;
Connaitre l’approche furtive et dynamique(un élément clé lors de certaines opérations comme la tentative de démantèlement de la cellule terroriste du 29 juin à N’Djamena qui, s’était soldée par la mort de plusieurs agents);
Il urge de dépoussiérer la police pour atteindre les objectifs de sécurité face aux terroristes;
Note : je suis très sûr que les policiers et les enquêteurs présents sur les lieux (ce fatidique 29 juin), au lieu de faire une approche furtive et dynamique visant à surprendre les terroristes, nos policiers ont fait tout le contraire au vu des résultats de l’opération. Monsieur le Ministre, une opération de ce genre doit se faire avec célérité et doigté. Tout doit être chronomètre.

Monsieur le Ministre, le mois du ramadan est un mois sacré pour les musulmans, a l’approche de la fin du jeun, beaucoup de familles iront, du moins pour celles qui en ont les moyens, faire des emplettes pour la fête. L’affluence dans nos marchés et le relâchement pourront offrir une faille sécuritaire profitable aux terroristes de passer à l’action, en faisant couler le sang d’innocentes personnes. La question est de savoir si nos services de sécurité ont pris des mesures visant à éviter des actes terroristes dans nos marchés et autres lieux publics, nos infrastructures routières (ponts, etc.)?

Monsieur le Ministre, le gouvernement dans sa volonté de lutter contre le terrorisme a pris un certain nombre de mesures dont celles sur les cartes d’identité nationales et les documents de voyages mais, une chose importante manque dans cette volonté. Pour avoir une carte d’identité, un passeport…il faut un acte de naissance. L’acte de naissance est facile à obtenir dans notre pays, notamment par le biais des jugements supplétifs, où les répondants (témoins) sont faciles à trouver. Au niveau même du palais de justice, les kiosques de photocopies et autres démarcheurs qui ont en main, un lot de cartesd’identité nationales de provenance douteuse, sans même que le juge réclame la présence physique des répondants pour signer le jugement supplétif. L’argent fait tout, et c’est grave pour la sécurité de notre pays.

Monsieur le Ministre, permettez-moi en tant que citoyen soucieux de la sécurité de son peuple et de son pays de faire un certain nombre de modestes suggestions provenant du fond de mon cœur et de mon expérience personnelle :

Mettre en place une méthode rigoureuse pour la délivrance des actes de naissance pour les adultes demandant leur premier document de naissance;
Exiger la présence physique des répondants (avec leur pièce d’identification, leur antécédent judiciaire), leur filiation avec le demandeur, lieu et date de naissance du demandeur, son casier judiciaire;
Une base de données nationale des empreintes digitales et données biométriques;
Informatiser le fichier des casiers judiciaires;
Créer un comité de contrôle des délivrances de documents de voyage;
Revoir les méthodes d’attribution des permis de conduire (la majorité des usagers de la route, obtiennent leur permis sans passer par la voie légale);
Rendre obligatoire les plaques numérologiques qui doivent être délivrées par des organismes bien désignés et sous contrôle de l’état;
Urgence pour le gouvernement de mettre sur pied un centre d’écoute et de veille avec numéro vert, visant à recueillir les appels des citoyens;
Installer dans tous les arrondissements des centres de contact-citoyen où tous les chefs de carré et de quartier doivent travailler avec le service de sécurité;
Éviter de mettre dans les prisons, les terroristes appréhendés avec les autres prisonniers de droit commun;
Ne jamais hésiter à faire appel aux conseils de policiers en retraite ou ayant quitté volontairement le corps de la police, pour bénéficier de leur conseil et expérience;
Ne jamais signifier aux hommes de rang et aux autres policiers, plusieurs jours ou heures d’avance de l’éminence d’une opération antiterroriste…
Récupérer tous les radios émetteur-récepteur (tokai), reformater et attribuer une autre fréquence;
Notre centre de communication doit être un véritable centre de commandement (alliant informatique et mode radio numérique; notre système actuelle est analogique et a ses limites pour une police moderne);

Important : Vous devrez songer à former des snipers capables d’utiliser des armes de précision lors des opérations comme celle du 29 juin 2015.Leur rôle n’est pas seulement d’éliminer ou de neutraliser un ennemi (une cible) mais aussi d’acquérir des renseignements d’origine imagerie en renseignant les unités d’investir un lieu. Un snipeur est avant tout un observateur avisé et aguerri.

Monsieur le Ministre, c’est en mettant de côté, les pratiques qui nuisent à notre police, en conjuguant les aptitudes, en mettant en exergue l’excellence au détriment de l’incompétence et de l’incurie que jaillira l’éclair, le glaive de la loi qui mettra hors d’état de nuire, les barbares de Bokoharam et tout autre groupe nébuleux.

N.B : Monsieur le Ministre, je vous en conjure au nom du peuple tchadien d’instaurer un numéro vert unique auprès de tous les opérateurs de téléphonie mobile et fixe, de créer également un centre de « Hotline » chargé de recevoir et de traiter a temps réel, les informations transmises par le numéro vert.Vous m’en serez reconnaissant un jour.

De tout cœur, j’espère que vous prendrez toutes les mesures nécessaires pour que les terroristes ne puissent plus agir au Tchad et endeuillés encore des familles tchadiennes.

Abbas Kayangar

Ancien chef de la Brigade Anti-criminalité (BAC)
Ancien membre de la commission d’enquêtes sur les crimes
Ancien chef du Centre des opérations de la police de l’ONU (Haïti)