Interview-Son retrait de l’Alliance Victoire, son passé dans les élections présidentielles, ses chances à la présidentielle de 2021, les conditions qu’il pose pour y participer. Interview à cœur ouvert avec Saleh Kebzabo, le président de l’Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR) qui nous a reçu, ce samedi 13 février 2021.

Président Saleh Kebzabo, le 2 février 2021,  vous avez signé le manifeste portant création de l’Alliance Victoire de l’opposition en vue de présenter un candidat unique à l’élection présidentielle du 11 avril 2021. Le 9 février, un vote a eu lieu pour désigner ce candidat. Il s’est avéré que c’est Me Théophile Bongoro qui a été élu. Trois jours plus tard, votre parti vous investit comme candidat à l’élection présidentielle. Qu’est-ce qui peut justifier ce revirement ?

Lorsque le PLD (Parti pour les libertés et le développement de Mahamat Ahmad Alhabo, ndlr) est venu nous consulter en août sur la théorie de la candidature unique, nous avons hésité. Puis nous avons accepté. Lorsque nous avons accepté, je crois que j’ai été très clair. Dans les déclarations récentes encore, l’UNDR s’est engagée totalement, avec tout son savoir-faire électoral, tout son matériel, toutes ses ressources financières, humaines…derrière la personne qui sera désignée. Nous y sommes allés en toute sincérité.

Mais j’avoue que moi, n’étant pas un adepte des magouilles ou des crocs- en-jambe, je n’ai entrepris pendant tous ces derniers mois, aucune action quelconque en direction de qui que ce soit pour postuler quoi que ce soit. Je n’ai donc en particulier, entre le 2 et le 9 (février, ndlr) appelé personne, en me disant que l’enjeu est de taille, qu’il ne faille pas qu’on demande à qui que ce soit de voter pour qui que ce soit. Et que le niveau de responsabilité étant important, chacun des chefs de partis présents devait prendre la bonne mesure des choses pour prendre la bonne décision.

Justement, dans vos déclarations, vous insinuez qu’il y a eu corruption. De quelles preuves disposez-vous et qui a corrompu qui ?  

Je ne reviens plus dessus. C’est une histoire tout à fait nauséabonde. C’est la seule déclaration, je crois que j’ai faite, je n’en ferai plus d’autre.

C’est quand même assez  grave comme accusation ?

Vous êtes de la police ou de la justice ?

Est-ce que vous disposez de preuves pour étayer ce que vous avez dit ?

Je vous dis que je  ne reviens plus dessus. Chacun poursuit son chemin. Nous, on a tourné la page. On a désigné un candidat, notre candidat s’est lancé et il ne va plus perdre son temps sur cette histoire. Nous avons beaucoup de choses à faire. On verra aux résultats. Vous verrez aux résultats quel est le meilleur candidat ? Quel est celui qui fera un bon score ? On le verra. Sur le plan où on est, Déby lui-même sera battu. Nous sommes partis pour gagner la présidentielle, comme en 2016. Donc on ne va pas perdre du temps sur ces futilités qui nous ont perturbés, qui ont perturbé le parti et qui aujourd’hui pour nous représentent le passé. 

Si vous saviez le nombre de messages, des centaines et des centaines, voire des milliers de messages ont circulé depuis le 9 au soir, jusqu’à hier encore. Ce sont des messages maintenant de soulagement, que ce soit des militants de l’UNDR, que ce soit des citoyens lambda, que ce soit même des militants d’autres partis politiques, y compris le MPS. C’est avec soulagement que le Tchad tout entier jusqu’à l’étranger a appris que nous sommes revenus sur cette faute qui a été commise.

Quand à chaque fois vous faites faux bond à l’opposition, 1996, 2001 et cette fois-ci encore, est-ce que cela n’entame pas votre crédibilité ?

1996, qu’est-ce que j’ai fais ?

Quand vous soutenez le président sortant au deuxième tour au détriment du candidat de l’opposition…

Quel est le faux bond ?

En tant que candidat de l’opposition…

Non, il n’y avait aucun accord entre le président Kamougué et moi. Il n’y avait absolument aucun accord entre nous. Le président Kamougué n’a fait aucune démarche dans ma direction. Le parti UNDR s’est réuni pendant deux semaines, du matin au soir. Toutes les catégories du parti se sont réunies et ont discuté en détail sur cette affaire avant de prendre une décision en toute connaissance de cause et en responsabilité. Le parti fonctionne de façon très libre et démocratique, je ne peux rien imposer.

Vous ne regrettez pas qu’en tant qu’opposant…

En 1996 en l’occurrence, nous avons pris une décision, à l’époque c’était sous le thème de sauver le parti. Le parti a été effectivement sauvé. Nous avons, dans les législatives qui ont suivi, gagné 15 postes de députés que nous avons remportés à la loyale. Donc on nous demandait, parce que nous sommes du sud, parce que je ne sais pas sur quel autre critère automatiquement de voter pour Kamougué qui avait manifestement la cote basse. Le président Déby devait avoir dans les 43%, il n’avait besoin que de 7%. Donc ce n’était même pas les voix de Kebzabo qui lui auraient permis de gagner. Mais il fallait désigner quelqu’un, nous avons choisi en toute responsabilité et je ne le regrette pas aujourd’hui. Ce d’autant que le président Kamougué lui-même menait ses négociations à l’extérieur, au Gabon en l’occurrence par le président Bongo. C’est dans leur cercle initiatique qu’ils ont pris la décision. Le président Bongo a rassuré le président Kamougué qu’il n’y avait absolument rien à perdre, même s’il perdait l’élection il allait avoir une compensation à l’Assemblée nationale. C’est ce qui s’est passé. Vous voulez que moi je sois le dindon de la farce ? Je le savais.

Et en 2001 avec Yorongar ?

En 2001, nous avons signé, avant l’élection, un accord de désistement au second tour. A l’époque on était sept je crois, il y avait Ibni et tous les autres, y compris Yorongar. C’est un accord de désistement au deuxième tour. Nous nous sommes mis nous-mêmes la corde au cou parce que c’est cet accord-là qui a fait peur au MPS pour qu’il amplifie la fraude afin de gagner au premier tour. Déby a gagné au premier tour, par la fraude bien entendu mais il a gagné au premier tour. Vous voulez que Kebzabo fasse quoi là dedans ? Il faut cesser vraiment de remuer un couteau dans une mauvaise plaie parce qu’il ne s’est rien passé en 2001. Yorongar avait gagné ?

C’est ce qu’il dit, lui…

Il a perdu par ma faute ? Moi en quoi est-ce que j’aurai contribué à son échec ? Non, il faut être sérieux.

A plusieurs reprises, vous avez participé à l’élection présidentielle. En 2016, vous étiez arrivés second. Cette fois-ci, qu’est-ce qui vous fait croire que vous allez battre le président sortant ? 

Mais parce que tout simplement, la dernière fois, il était battu. Je l’ai battu mais pas suffisamment pour gagner l’élection. Mais quand vous prenez les chiffres du troisième et du quatrième, en l’occurrence de Laoukein et de Alhabo, il était largement battu. Nous avons sorti nos propres résultats, Déby venait en quatrième position, 10%, c’est ça la vérité. On a fait même toutes les gymnastiques possibles d’inversion des chiffres, d’amplification et tout pour voir s’il peut gagner. Dans aucune probabilité, il ne pouvait gagner. Il a perdu l’élection et tout le monde le sait.  Aucun tchadien ne se reconnait dans sa victoire. Et c’est bien pour cela qu’il a échoué dans la gestion du pays. Parce que lorsque vous passez votre temps à tripatouiller les chiffres et que vous fassiez des fraudes pour gagner les élections, le peuple n’est pas derrière vous. Et à partir du moment où le peuple ne se reconnait pas dans votre victoire, comme vous étant président, vous ne réaliserez rien du tout. C’est ce qui s’est passé. Voilà cinq ans qui viennent de se passer, il n’a rien fait. Malgré toute la manne pétrolière, qu’est-ce que le Tchad a ? Aujourd’hui, il va nous raconter des histoires en parlant d’un réseau routier de 6 000 kilomètres. Allez donc pratiquer ce réseau pour voir s’il est bon. Il a fait quoi d’autre ? Dans quel domaine ? Tous ces chantiers qui sont abandonnés…Mais par contre des comptes sont garnis à l’étranger. Ça, on ne peut pas dire le contraire, c’est une honte.

Aujourd’hui que le président Déby aille en précampagne pour faire des annonces de réalisations par ci ou par là, en oubliant que parfois, il l’a répété deux ou trois fois déjà. Donc vous voyez bien que c’est de la démagogie et du mensonge. Déby sera battu, bel et bien battu.

Vous parlez de fraude alors quelles garanties avez-vous que cette fois-ci les élections seront transparentes, libres et justes ?

On n’a pas de garanties. Et ne me laissez pas dire que j’ai dit qu’on va y aller à n’importe quelle condition.

Quelles sont donc les conditions préalables ?

La première étape que nous allons poser, c’est les conditions. Nous avons un chapelet des conditions fortes qui sont des préalables.

Les plus importantes sont lesquelles par exemple ?

Les plus importantes c’est ce qui est simple. Le MPS est en campagne, est-ce que c’est normal ? On va demander à la CENI (Commission électorale nationale indépendante, ndlr) d’ordonner à tous les candidats de retirer tout ce qu’ils ont affiché et de ne rien laisser jusqu’à la date officielle de la campagne électorale. Ça c’est un message qui est fort. Si on ne le fait pas, pourquoi voulez-vous que j’aille à une élection où les gens ont pris un mois d’avance sur moi pour battre campagne et que la CENI elle-même est incapable de faire appliquer quoi que ce soit et continue à gérer cette élection ? Elle est fausse, l’élection qui vient parce que la CENI est incapable de faire quoi que ce soit. La CENI ne se réunit plus en plénière depuis longtemps. Toutes les décisions sont prises au niveau de quelques individus seulement. Or le règlement intérieur de la CENI dit que c’est la plénière qui valide toute décision de la CENI. L’opérateur qui a été désigné par la CENI, où est-il aujourd’hui ? Quand vous voyez son nom HBS/avec d’autres lettres (ndlr, HBS/Zamko. HBS est des Pays-Bas et Zamko son partenaire local). Ça veut dire que cette société est allée s’accoler à une autre contrairement au contrat. Donc ça c’est une nullité du contrat, la CENI est incapable de le dire. Tout simplement parce que la deuxième société a des accointances tchadiennes, locales. Et donc la CENI est dépassée.

Je n’entre pas dans la CENI elle-même, les membres, ceux qui ne doivent pas y être qui y sont. La loi dit ceci, on fait cela. Ceux qui doivent y être n’y sont pas, ce n’est pas normal. Quand on a demandé la dissolution pure et simple de certaines sous-CENI dans certaines régions, parce que l’opposition y est mal implantée, on a tout simplement remplacé les gens de l’opposition par les gens du pouvoir. Donc il n’y a pas de parité. Par conséquent ce n’est pas valable. Et ça on va le dire. On va apporter des preuves pour dire que la CENI, les sous-CENI des provinces ne sont pas partout paritaires. Ce ne sont que deux ou trois exemple que je vous donne. Il y en a d’autres. Laissez-moi garder mes cartouches…

En conclusion peut-on s’attendre à votre retrait du processus si jamais ces conditions ne sont pas prises en compte ?  

Pour le moment je ne vais absolument rien dire. J’attends de voir. J’espère que la CENI va se ressaisir. J’espère qu’on ne va pas continuer à nous lâcher des loups ou des chiens pour nous insulter comme certains chefs traditionnels le font…Vous savez qu’on a un dossier qui est sérieux et sur lequel nous allons nous baser pour demander une élection transparente. Nous voulons des élections transparentes, des élections apaisées. Nous voudrions que les Tchadiens se sentent dans un pays en paix. Qu’on n’interdise pas les manifestations à tout bout de champ. On est en train de provoquer la jeunesse en particulier en interdisant les manifestations. Parce que les jeunes, de plus en plus, vont les affronter. Nous sommes derrière les jeunes, on va les encourager, on va les soutenir. Parce que c’est illégal, le gouvernement est en plein dans l’illégalité en interdisant cela.

Vous savez, le MPS a touché ses frais de campagne il y a longtemps. Pourquoi est-ce que Laoukein et Kebzabo ne peuvent pas toucher leurs frais de campagne ? C’est prévu par la loi, c’est des centaines de millions qu’on nous refuse. Il faut qu’on nous les donne. C’est pour dire que nous en avons, nous avons les conditions à poser et c’est des préalables.