Le Tchad a perdu son ancien président Hissein Habré, décédé à Dakar au Sénégal le 24 août 2021. Sa mort a suscité la réaction des hommes qui ont vécu avec lui avant et pendant son règne à la tête du Tchad. Parmi ceux qui ont travaillé avec le défunt HH, l’actuel ministre chargé de la Réconciliation nationale et du Dialogue, Acheikh Ibn-Oumar. « Hissein Habré est un intellectuel d’une hauteur exceptionnelle », d’après lui. Interview.

Comment avez-vous connu Hissein Habré ?

Sur le plan purement humain j’avais rencontré Hissein Habré la première fois en 1970 en France. Je venais d’arriver comme jeune étudiant et lui il était en fin de cycle de science-Pô dont il occupait le poste de responsable des relations extérieures dans l’association des étudiants tchadiens. C’est lui qui s’occupait de l’accueil de nouveaux arrivants et de leur présenter l’association et la vie en France. C’est à cette occasion que j’ai rencontré Hissein Habré et on a cohabité a peu près une année et demi. Par la suite, on s’est retrouvé une seconde fois en mai 1978. C’était 1 an et demi après la grande rupture qui est arrivée entre lui et le Président Goukouni Weddeye.

D’autres rencontres purement politiques à la guerre de février 1979 quand il était Premier ministre du gouvernement dirigé par feu Général Malloum. On a géré un peu cette période trouble ensemble. D’abord de façon informelle. Après sous une première tentative du gouvernement de transition sous l’autorité du défunt Président Lol Mahamat Choua et ensuite le gouvernement de transition disons proprement dit qui a été mis en place après les accords de Lagos plus tard dans cette même année de 1979. Dans le gouvernement du défunt Lol Mahamat Choua j’étais Secrétaire général adjoint et le titulaire était Abakar Zaïd.

Avez-vous travaillé avec Hissein Habré ?

Après les péripéties, on se retrouvait en novembre 1988 où le groupe que je dirigeais, le Conseil Démocratique Révolutionnaire (CDR), avait fait un accord de réconciliation en même temps que d’autres partis opposés à Habré qui est déjà au pouvoir. A l’issue de cet accord en 1989, j’ai été son ministre des Affaires étrangères de mars 1989 jusqu’à la prise du pouvoir par le Mouvement patriotique du Salut (MPS) dirigé par feu Maréchal Idriss Deby Itno en décembre 1990.

A l’annonce de la mort d’Hissein Habré, quelle était votre réaction ?

Sur le plan humain, on a beau dire que la mort est naturelle mais on se rend compte lorsqu’on est confronté à la mort que c’est un précepte durement abstrait. En général, la mort n’est toujours pas naturelle surtout quand elle concerne quelqu’un qu’on a connu. Personnellement, j’ai été touché non seulement sur le plan personnel mais sur le fait qu’Hissein avait dirigé le Tchad avec des hauts et des bas.

J’étais même assez perplexe, je dis est-ce que le Bon Dieu veut nous envoyer un message pour qu’en espace à peine quatre mois, les deux Présidents qui étaient des compagnons, des rivaux meurent en espace d’un temps aussi court. Dans la tradition musulmane, le retrait du deuil intervient à peu près dans les quatre mois après la mort. Le retrait du deuil de la veuve du maréchal correspond presque jour pour jour à l’entrée en deuil de la veuve d’Hissein Habré.

Vraiment sans aller dans le spiritualisme, j’ai le sentiment sur le plan humain qu’il y a peut-être un message divin que nous devrons saisir à travers la succession de ces évènements.

Quel souvenir gardez-vous d’Hissein Habré ?

J’ai toujours dit et répété que le Président Habré était une espèce de Janus qui est un personnage mythique de l’antiquité qui avait un dieu qui a deux faces : une face diurne et une face nocturne. D’abord sur le plan personnel je l’ai connu, c’est un intellectuel vraiment d’une hauteur et d’une capacité d’analyse et d’une intelligence de situation, je pèse mes mots, exceptionnel pour ne pas dire unique. J’ai très peu côtoyé des gens de cette trempe non seulement de la culture générale et de la connaissance théorique alliée à une intelligence et une habilité tactique sur le plan pratique, ça il impressionnait de ce côté-là.

De façon générale, des Tchadiens qui l’ont vu savent qu’il était extrêmement rigoureux sur le plan de la gestion, la corruption était presque inexistante sous son règne et sa famille à l’époque impressionne par sa sobriété d’abord quand il était Président. Très peu de gens connaissaient sa famille peut-être à part sa femme, un ou deux de ses enfants, personne ne connait les frères et sœurs de Habré. N’en parlons plus des cousins et autres, il y avait une sobriété, une hostilité et une rigueur dans la gestion assez efficace, ça c’est son côté jour. Côté nuit d’Hissein Habré c’est la fameuse DDS. La répression souvent à grande échelle et de façon indiscriminée un peu avec une philosophie de la responsabilité collective, quand quelqu’un était en faute c’est presque tout le groupe familial ou communautaire qui paye le prix.

Sur le plan humain, rendre hommage à tous nos chefs d’Etat décédés est un devoir moral mais le bilan est une nécessité politique. Et dans le cadre de bilan, je pense qu’il sera injuste de réduire le bilan d’Hissein Habré uniquement à sa facette violation des Droits de l’Homme aussi repoussante qu’on puisse paraitre encore et moins faire son éloge en tant que bâtisseur en faisant l’impasse sur le dérapage en terme des Droits Humains.

J’en appelle à tous les Tchadiens de faire preuve de modération et de pondération le temps de deuil parce qu’il faut respecter la famille aussi.