Après un énième coup d’Etat en Afrique en l’espace d’une année, celui au Burkina Faso, votre journal est allé à la rencontre de deux politologues pour analyser cette situation inquiétante pour l’Afrique. Il s’agit des politologues, Ramadji Alfred et Alfred Ngarmam, tous deux enseignants-chercheurs à l’université de N’Djamena.


Le dernier coup d’état en date est celui du Burkina Faso où les militaires ont annoncé le lundi 24 janvier, la fin du pouvoir du président Roch Marc Christian Kaboré, après deux jours de mutinerie.

Pour expliquer ce coup de force, Dr Ramadji Alfred, politologue, souligne que le président Kaboré a commis deux erreurs qui lui ont été fatales. Il s’agit d’abord de la réforme de l’armée qu’il a engagée qui est d’ailleurs “nécessaire” selon le politologue mais qui n’était pas du goût de ceux (militaires) qui sont restés encore fidèles à Blaise Compaoré. Puis l’incursion des djihadistes qui ont tué une cinquantaine de gendarmes récemment à Inata qui est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, croit Dr Ramadji Alfred. Si ces éléments ont concouru à la réalisation de ce coup de force, le politologue pense que le véritable acteur reste le peuple burkinabè. “Le facteur déclencheur reste le peuple burkinabè, le soulèvement de la population dans toutes ces villes (Bobo, Ouaga)… C’est la conjonction entre l’expression populaire et la colère des militaires qui a eu raison du président Kaboré. Le fait que les populations se sont levées a donné du grain à moudre aux militaires“, explique-t-il.

Dr Alfred Ngarmam, politologue lui-aussi, pense la même chose: “Les militaires ont accusé le président élu de laxisme et de ne pas financer les militaires pour lutter efficacement contre les djihadistes”. Mais pour ce politologue, quelles qu’en soient les raisons évoquées, un coup d’Etat en période de démocratie ne se justifie pas.

Un coup d’Etat de trop

Rien qu’en l’espace de moins de deux ans, les militaires ont pris le pouvoir dans cinq pays africains (Mali, Tchad, Guinée, Soudan, Burkina Faso). Dr Ramadji Alfred pense que “C’est une sorte de printemps des peuples africains“. Celui du Burkina vient une fois de plus mettre à rude épreuve la capacité des institutions sous-regionales et continentales à gérer ces coups de force. Les institutions comme la CEDEAO et l’Union africaine sont déjà sévèrement critiquées dans la gestion des cas qui ont précédé celui du Burkina. Les regards sont désormais tournés vers ces institutions dans ce cas précis. ” Ces institutions se sont embourbées pour avoir traité de manière partiale certains cas notamment celui du Tchad. Il y a eu deux poids, deux mesures. Maintenant on attend de voir comment ces institutions vont trouver la formule. Soit on fait de la démocratie soit on ne le fait pas. La crédibilité de ces institutions est clairement mise en jeu“, analyse Dr Ramadji Alfred.

Même si la CEDEAO réagit souvent en prenant des sanctions, comme le cas du Mali, Dr Ngarmam Alfred note que ces décisions ne sont pas suivis d’effet. “À un certain moment, la force de la CEDEAO, l’Ecomog, intervenait pour déloger les pustchistes. Ce n’est plus le cas”, relève-t-il. Pour lui, la CEDEAO ou l’UA doivent sévir pour condamner les présidents qui modifient les constitutions pour s’éterniser au pouvoir. “Modifier la constitution c’est également un coup d’Etat”, assène-t-il.

Dr Ngarmam Alfred essaye de comprendre le soutien qu’apportent aujourd’hui les populations aux putchistes. Pour lui, si “aujourd’hui, au Mali ou au Burkina, la population adhère aux coups d’Etat, c’est par rapport aux actes posés par les hommes qui sont au pouvoir“. Dr Ramadji pour sa part condamne la pratique de coup d’Etat et rappelle que depuis les indépendances des pays africains, les militaires se sont interférés dans la gestion du pouvoir entraînant un cercle vicieux. Il lance un appel aux militaires de s’occuper des tâches qui sont vraiment les leurs: “les militaires doivent s’amender à un certain moment. Décennies après décennies, ils continuent de déstabiliser et depuis 60 années aucun développement n’a été possible. Ni les conditions des militaires eux-mêmes ne se sont améliorées“.

Pour sortir le continent africain de ce cycle de coups d’Etat qui n’est pas de nature à promouvoir l’épanouissement du continent, Dr Ngarmam pense que les présidents au pouvoir ne doivent pas donner l’occasion aux militaires de revenir de temps en temps au pouvoir. “Et ne pas donner l’occasion c’est bien gérer et respecter les textes fondamentaux de l’État. Si un président arrive à la fin de son mandat qu’il se retire tranquillement“, conseille-t-il. Dr Ramadji Alfred de compléter que le continent s’en sortira que lorsqu’on parviendra à ce que chacun joue le rôle qui est le sien. “Quand on parviendra à remettre les militaires à leur place et que l’armée serait une armée républicaine; quand on parviendra à établir des régimes véritablement démocratiques avec des alternances démocratiques; quand on aura à bannir la corruption et que la justice s’appliquera à tous, l’Afrique pourra vivre la vraie démocratie“. Malheureusement on est pas encore à ce niveau, se désole-t-il.