Après la mort tragique du Maréchal du Tchad, un Conseil militaire de transition a été mis sur pied le 20 avril 2021, pour conduire le pays et organiser des élections crédibles, libres et transparentes. Un an après, que peut-on retenir ? Max Kemkoye, président du parti Union des Démocrates pour le Développement et le Progrès (UDP), dresse le bilan de la transition et conseille le PCMT afin de sortir gagnant de ce processus.
Quel bilan dressez-vous d’un an du Conseil militaire de transition à la tête du pays ?
Comptablement, on ne peut pas parler d’un bilan mais plutôt d’actif parce qu’en une année, qu’est-ce que le CMT a, à son actif ? Mais s’il faut parler d’un bilan, je dirais que c’est un bilan macabre vu la situation des droits humains depuis un an. D’abord, une semaine après la prise du pouvoir par le CMT, l’on compte une dizaine de morts. Un mois après, encore des morts.
Dans le Ouaddaï, plus de cinquante personnes ont trouvé la mort, à Faya puis s’en est suivi Sandana. Cela reste à l’actif du Conseil militaire de transition. Et un jour, le premier responsable du CMT doit répondre de ses actes devant une juridiction dédiée à cela si jamais un jour, un pouvoir digne de ce nom vient à prendre le pouvoir.

L’impératif pour lequel le CMT a été mis sur pied concerne trois aspects précis : la réconciliation nationale, le dialogue national et la conclusion logique de ces deux impératifs, c’est l’organisation des élections libres, crédibles, démocratiques et transparentes dans les 18 mois et non après. Mais coup sur coup, il n’y a même pas un début de réconciliation entre les Tchadiens. Je rappelle ici l’exemple du Ouaddaï, de Faya et de Sandana. Et jusqu’aujourd’hui, aucune information judiciaire n’est ouverte pour tous ces massacres! Et depuis, nous attendons un schéma de la réconciliation mais aucune n’existe pour dire enfin, voilà les étapes pour lesquelles, on veut entreprendre la réconciliation nationale. Et nous sommes aujourd’hui à moins d’un mois dudit dialogue. On assiste juste à un bricolage, à un amateurisme criard des organisateurs du dialogue car que des actes qui puent l’haleine du bébé. Le Tchad est devenu un jeu de billard à plusieurs bandes puisque même la fonction présidentielle même n’est que l’ombre d’elle-même.
Un événement aussi important comme le dialogue ne doit pas être convoqué par voie de presse mais par un décret présidentiel. Qu’à cela ne tienne ! Mais aussi bizarre que cela puisse paraître, personne ne connaît le critère de participation, aucun document lié au dialogue partagé aux participants. Au vu de cela, on peut dire sans doute qu’on ne peut organiser ce dialogue le 10 mai 2022. Le pré-dialogue de Doha avec les politico-militaires est un échec aussi cuisant. Il faut dire qu’en une année du règne du Conseil militaire de transition, le pays a reculé de ¾ sur le plan investissement économique, le pays est au bas niveau du plancher. L’argent utilisé pour la transition aurait pu servir à construire au moins deux hôpitaux de référence. La question d’énergie que nous déplorons, cet argent aurait dû servir à augmenter la capacité de la Société nationale d’électricité (Sne). On aurait construit des écoles, des routes. Sur le plan de l’Investissement direct étranger (IDE), le Tchad en une année, a perdu ce qu’il avait gagné en dix ans. Sur le plan social, au-delà de friser la fracture sociale, nous sommes dans la fracture communautaire. On peine à avoir la cohésion, la cohabitation sous CMT.
Quelle appréciation faites-vous du pré-dialogue avec les politico-militaires à Doha au Qatar ?
Le pré-dialogue avec les politico-militaires est un gâchis car rien n’a été fait dans la méthode. J’ai dit et je le répète encore que le pré-dialogue de Doha est ce qu’on appelle un pré-dialogue en situation offensive. Ce qui veut dire que les gens sont en état de belligérance permanent car ce sont des personnes en arme. Il n’y a aucun décret de cessez-le-feu qui est la condition première et le préalable pour discuter avec des politico-militaires. Aussi, il faut noter que c’est un type de dialogue polyfactoriel parce que ce qui a obligé ces personnes à prendre les armes contre leur pays est lié à plusieurs choses.
D’abord, l’exclusion et l’injustice que ces personnes ont vécues sous Idriss Déby, le problème de l’absence d’alternance et de partage du pouvoir. Mais comme il n’y a pas de méthode, personne ne dit qu’est-ce qui a opposé ces personnes à leur pays afin de chercher les voies et moyens pour une solution définitive. Pire, les politico-militaires ne sont pas dans la lutte syndicale pour parler de revendications. Doha est un échec parce que ces personnes qui sont allées, aucune d’entre elles n’a une expérience minime soit-il dans la conduite ou les négociations des pourparlers de paix. Après tout, c’est pour dire que le Qatar qui est le médiateur a imposé un accord alors que son rôle est de rapprocher les points de vue. Il n’y a aucun différend identifié jusque-là et malgré cela, les discussions continuent. Doha est un échec, une perte de temps, un investissement inutile.
Croyez-vous à la date du 10 mai 2022 pour le début du dialogue national inclusif tant attendu ?
Aujourd’hui personne ne sait qui doit participer au dialogue, sur quoi les discussions vont porter…Le comité d’organisation du dialogue national inclusif qui est le CODNI n’a pas non plus déposé son rapport général. C’est grâce à ce rapport que le décret de convocation du dialogue doit être pris mais malheureusement rien. Alors quel dialogue veut-on organiser le 10 mai ? Peut-être du miracle. Bref, les gens préparent tactiquement et stratégiquement la prorogation de la transition mais là aussi ces gens se trompent. Aujourd’hui, s’il y aura la prolongation de la transition, cela doit faire l’objet du consensus national y compris la classe politique, société civile. S’ils veulent, on peut proroger mais s’ils ne veulent pas, le CMT doit s’effacer et on va redéfinir les conditions d’une nouvelle transition.
Quelles étaient vos attentes après la mise sur pied du Conseil militaire de transition le 20 avril 2021 ?
Pour ceux qui ne sont pas dans le secret des dieux, le 20 avril 2021 était la date du décès d’Idriss Déby Itno. Puisqu’on suivait cette situation de près, le 24 avril 2021, nous avons envoyés des propositions programmatiques dans lesquelles on a demandé l’ouverture immédiate d’une consultation nationale. Ce qui n’a pas été fait. Vous voyez que le président du Conseil militaire de transition n’a pas prêté serment jusqu’aujourd’hui donc il est passible de haute trahison.
Etes-vous optimiste quant à la sincérité de ce dialogue national en cours d’organisation ?
Ce dialogue ne sera jamais sincère ! Regardez ce qui se passe à Doha. C’est le noyautage, l’une des tactiques des pourparlers en situation offensive. Les gens ont crée 52 groupes de politico-militaires comme si le Tchad est entouré des rebelles. En plus, des gens qui acceptent de venir dialoguer, on détourne leurs éléments pour le ralliement. Où est la sincérité dans cela ? la souveraineté d’un dialogue ne se décrète pas mais à travers une résolution spéciale au sein des assises.
Avez-vous un mot à l’attention de Mahamat Idriss Déby Itno, président du Conseil militaire de transition…
Un conseil… Je lui dirais simplement qu’il est jeune, il a de l’avenir devant lui. Il ne faut pas que ses thuriféraires le trompent. Il ne faut pas que les mouches du coach le trompent pour leurs propres intérêts. Car ils veulent que la situation reste telle qu’elle est pour leurs intérêts égoïstes. Mais c’est lui seul qui en pâtira au dernier jour car ces gens prendront leur clic et clac, sécuriser leurs investissements et lui seul sera poursuivi devant un tribunal pénal international. S’il a des bonnes intentions comme il le réclame depuis quelques jours, qu’à la fin de ses 18 mois, qu’il lâche pour avoir essayé. Et si les Tchadiens ont confiance en sa bonne foi, lui feront appel le moment venu. Mais attention, qu’il ne se laisse pas tromper par les thuriféraires et les idiots, qu’il regarde devant lui et son avenir.