Mercredi, le procureur de la République près le tribunal de grande instance d’Oum Hadjer, Ahmat Mahamat Hamba, a été mortellement poignardé par un individu. Dans son bureau, en pleine journée. Son tort : la mort d’un prévenu mis sous mandat de dépôt, puis malade et transféré à l’hôpital où il a rendu l’âme. Et ce proche du prévenu défunt est venu réclamer la « dia » au magistrat, puis lui a asséné deux coups de poignard en plein cœur.

Ces dernières années, le quotidien des magistrats tchadiens est fait de menaces et intimidations. Et les exemples d’agression sur les magistrats et auxiliaires de justice sont légion.  Ces agressions sont souvent le fait des forces de l’ordre qui violent régulièrement les locaux de tribunaux. En mai 2018, à Doba, des gendarmes ont tiré sur un avocat et ses trois clients qu’il venait de faire relaxer.

En juin 2018, le procureur d’Iriba, Dherdian Bab Jonas, procédait à l’audition de deux présumés assassins quand des hommes armés ont débarqué et tiré des coups de feu sur les prévenus. Ces derniers sont morts sur le champ ; leurs proches sont arrivés et ont tenté d’assassiner le magistrat qu’ils avaient accusé d’être complice du meurtre de leurs parents. Le magistrat a été exfiltré in extremis et placé sous haute protection.

En décembre 2020, un général est entré au prétoire, à N’Djaména, pour exfiltrer du box des accusés un proche, sous l’œil impuissant des forces de l’ordre et disparaître avec lui dans la nature, avant d’être appréhendé.

Après chaque incident, les magistrats tiennent des assemblées générales, parlent, cessent le travail pendant quelques jours. A l’appel des deux syndicats de la corporation, une grève de trois jours est observée depuis l’assassinat de mercredi. Et la vie reprendra son train-train, comme toujours. Et on se demande si les magistrats eux-mêmes sont réellement conscients de l’insécurité qu’ils vivent… Pourtant, avec l’assassinat du procureur d’Oum Hadjer, on a franchi le rubicon et ils doivent mener des actions radicales pour contraindre le gouvernement à changer la donne.

Le Tchad n’est qu’un peuple de barbares qui mette au-dessus de la loi, de la République, leurs coutumes, parfois anachroniques ou en contradiction avec le droit positif. L’État est absent, et quand il est là, il ne défend que le plus fort ou le riche. L’insécurité est de plus en plus galopante, jusque dans les commissariats et dans les tribunaux, les deux endroits par excellence où l’on devrait se sentir en sureté. Les forces de l’ordre sont en sous-effectif, même dans les tribunaux. La réponse judiciaire est insatisfaisante, du fait d’une justice laxiste, du fait de magistrats et d’avocats avides d’argent, corrupteurs et corrompus.

C’est tout ce cocktail qui a conduit à l’assassinat du procureur d’Oum Hadjer, loin de justifier cet acte lâche et crapuleux. La mort de Hamba sonne le glas de la justice tchadienne. Si rien n’est fait, d’autres magistrats seront lâchement abattus. Si rien n’est fait, de plus en plus de Tchadiens, se sentant plus forts que l’État ou dégoutés de cautionner les dérives, risqueront de s’organiser ou de se rendre justice.

Le président du Conseil militaire de transition, le général Mahamat Idriss Déby, qui préside aussi le Conseil supérieur de la magistrature, et le ministre de la Justice, Ahmad Alhabo, ne devraient pas se contenter de « condamner » l’assassinat ignoble du procureur d’Oum Hadjer du bout des lèvres. Ils doivent immédiatement agir pour crédibiliser la Justice et protéger les magistrats qui ne bénéficient d’aucune sécurité, ni à leurs bureaux ni à leurs domiciles.

D’une part, recrédibiliser l’institution judiciaire en la débarrassant des brebis galeuses et en mettant des hommes et de femmes épris de justice et qui disent le droit. Recrédibiliser la Justice en améliorant la qualité des décisions rendues et exécutées conformément au Droit et non aux intérêts des parties en conflit. Recrédibiliser la Justice en réduisant le nombre d’arrestations arbitraires et de détentions illégales et en accélérant les procédures.

Il faut protéger les magistrats, en renforçant et équipant les forces de l’ordre au sein des tribunaux d’une part; doter les magistrats d’armes à poing pour qu’ils se défendent face à des barbares qui ne comprennent que le langage de la violence, d’autre part. L’État tchadien doit mieux protéger sa Justice, ses magistrats, ses greffiers et tous les auxiliaires de justice.

La Rédaction