Le Président de la Commission de l’UA a séduit les Tchadiens par son éloquence, sa posture et ses propos qui le placent au-dessus de la mêlée. Dans quel but et surtout pour quelle finalité ? Analyse de la portée politique d’un discours aussi dense qu’inattendu.

Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l’Union africaine, a bien manœuvré ce samedi matin lors du lancement du Dialogue national inclusif et souverain (DNSI) à N’Djaména. A travers ce discours aussi long que parfaitement calibré (certainement avec la contribution du Mauritanien Mohamed El Hacen Lebatt, son directeur de cabinet) pour toucher les points sensibles et attirer la sympathie des Tchadiens qui suivaient dans leur grande majorité cette cérémonie solennelle, l’ancien Premier ministre s’est présenté à ses compatriotes comme une alternative à envisager pour l’après transition.

Au-delà de l’érudition du propos et de la grandeur que cette intervention souhaitait imposer (une réussite au vu des commentaires dithyrambiques lus sur les réseaux sociaux) une lecture en filigrane s’impose.

Le piège de l’ultra-présidence

Lorsque Moussa Faki se fend d’une mise en garde sur la longévité au pouvoir, qui a été fatale à 2 de nos présidents, quel message souhaitait-il faire passer ? Précisons qu’il s’adressait directement à Mahamat Idriss Déby. En prenant de la hauteur dans son analyse de la situation sur fond de faits historiques, il signifie à l’actuel occupant du Palais présidentiel qu’il y une ligne à ne pas franchir ; à savoir se concocter une future constitution taillée sur mesure. Il ne faudrait pas que le PCMT tombe, comme son père, dans le piège de l’ultra-présidence qui lui présage une fin malheureuse. Est-ce à dire qu’il lui signifie de rester loin de la politique ou alors d’user de ses pouvoirs de manipulation du DNIS avec parcimonie ? Dans tous les cas il s’est présenté comme un sage au chevet d’un pays, d’une nation qu’il souhaite (peut-être) sauver… dans un futur proche. Dans cet élan de bonnes intentions il a signifié, d’une certaine manière, l’écart qu’il y a entre lui et son jeune cousin.

Ce discours était-il une manière de se positionner pour les futures échéances ? Tout semble l’indiquer. Moussa Faki sait qu’il y a un vide à combler dans le paysage politique national, il profite par conséquent pour se positionner au-dessus de la mêlée avec des mises en garde digne d’un Churchill au chevet des populations britanniques lors des heures les plus sombres de leur histoire. Il a déroulé cette partition avec brio. Et en en surprenant plus d’un.

De l’adversité

« Il ne plane plus aucun doute sur sa future candidature à la présidentielle » assure un analyste dès son allocution terminée.

A supposer que ce dernier ait raison, les choses seront-elles aussi simples que ça dans ce landernau politique qui aiguise ses armes et se positionne tout comme lui ?

Pour sûr, il trouvera de l’adversité. Tout d’abord auprès des personnes qui gravitent autour du pouvoir (qui ne sont plus les mêmes depuis son départ pour Addis-Abeba et surtout depuis la mort d’Idriss Déby Itno). Une jeune garde peut-être moins encline à lui prêter la déférence que son rang et son CV pourraient l’exiger le combattra au profit de leur nouveau champion qui n’hésite pas à attirer les bonnes sympathie avec espèces sonnantes et trébuchantes. L’odeur de l’argent est souvent ce qui décide du positionnement des uns des autres dans un pays vicié par la corruption et sans fondement idéologique.

Au titres des adversités, il faudra qu’il compose également avec cette tendance imprévisible que sont Les Transformateurs, les seuls à l’heure actuelle à s’opposer franchement avec une stratégie présidentielle limpide et capables de mobiliser. Ils sont patients, encaissent en attendant des jours meilleurs.

Mais Mahamat Faki, qui est loin d’être un bleu en politique, saura également trouver des alliances au sein des anciens membres du système Déby : 1) des déçus par le CMT tels que Abdoulaye Sabre Fadoul, Ahmad Bachir, Adoum Younousmi, Mariam Mahamat Nour, Mahamat-Zene Bada, etc., 2) parmi ceux qui se sont mis au service de Mahamat Idriss Déby depuis 15 mois mais qui se retrouvent aujourd’hui sur la touche, à l’exemple d’Aziz Mahamat-Saleh, 3) en noyautant l’appareil du MPS. L’ancien parti au pouvoir brille par son manque d’imagination, n’arrive pas à renouveler son discours révolu de parti-Etat et surtout ne laisse aucune ouverture à une jeunesse en mal d’expression et enfin 4) en faisant les yeux doux à cette opposition plus consistante idéologiquement que le reste et regroupée autour GRAS-Appel avec les Bedoumra Kordjé, Hassaballah Soubiane ou encore Djona Avockousouma.

Il a des arguments pour regrouper. A lui plus tard de trouver le discours idoine et le projet politique le plus fédérateur possible pour séduire toutes ces forces hétéroclites.

En dehors du Tchad, l’ancien Premier ministre pourra s’appuyer sur un réseau puissant qu’il tisse depuis plus de 6 ans à travers son mode de management sans vague au siège de l’UA.

Moussa Faki a frappé un grand coup en maximisant la portée et le sens de cette prise de parole aux élans/relents électoralistes. Il est dorénavant (supposons-nous) sorti du bois. Comment conciliera-t-il ses fonctions de président de l’UA avec les intentions qui lui seront prêtées désormais de vouloir à terme présider aux destinées du Tchad ?

Chérif Adoudou Artine