Par décision No 055 qui suscite une vague d’indignation parmi les professionnels des médias, la Haute autorité des médias et de l’audiovisuel (HAMA) a annoncé le 4 décembre 2024, l’interdiction de diffusion et de publication par les médias de contenus «non originaux dans des formats non autorisés». En clair, les médias électroniques se voient refuser la possibilité de produire et partager des contenus audiovisuels tels que vidéos et podcasts et les médias traditionnels (presse écrite, radio et télévision) de diffuser en ligne. Une décision qui, au-delà de son caractère rétrograde, constitue une atteinte grave à la liberté de la presse et au droit à l’information dans un monde interconnecté.

Dans une époque où les technologies numériques transforment les modes de communication et les habitudes de consommation, la décision de la HAMA semble ignorer les opportunités qu’offrent ces innovations. Partout dans le monde, les médias traditionnels ont su profiter de l’univers digital pour élargir leur audience, diversifier leurs formats et enrichir les contenus. Interdire à ces organes de diffuser en ligne revient non seulement à freiner leur évolution, mais aussi à les condamner à un déclin progressif face à des consommateurs de plus en plus tournés vers le numérique. D’ailleurs, il est très rare, pour ne pas dire existant, de trouver de nos jours, un média qui soit resté «traditionnel» sans aucune ouverture sur le numérique.

Les médias électroniques, quant à eux, se retrouvent privés de l’essence même de leur existence. Les vidéos et podcasts, formats plébiscités pour leur accessibilité et leur richesse, sont désormais proscrits. Une telle restriction prive le public de contenus diversifiés et engageants, à un moment où l’information, pour être pertinente, doit être omnicanale et s’adapter aux besoins variés des citoyens.

Une atteinte à la liberté d’expression

Cette décision reflète une méfiance injustifiée envers le secteur médiatique, souvent perçu comme une menace par certains régulateurs. En réalité, limiter les plateformes et formats de diffusion ne fait que museler des voix indépendantes et empêcher le débat public, pilier fondamental de toute démocratie.

En restreignant les médias traditionnels et électroniques, la HAMA s’arroge un droit de censure déguisé, sapant la liberté d’expression pourtant consacrée par les textes nationaux et internationaux auxquels le Tchad est partie. L’organe régulateur bafoue même délibérément la loi et piétine le sacro-saint principe de parallélisme de formes si cher aux juristes. En effet, c’est par une «simple» décision que la HAMA porte gravement atteinte à la liberté de presse reconnue par la Constitution et bien précisée par la loi 31 de 2018 qui régit la presse. L’article 25 de cette loi est, on ne peut plus clair, quand il précise que «le service de presse en ligne offre un contenu utilisant essentiellement le mode écrit et audiovisuel, faisant l’objet d’un renouvellement regulier, daté non pas seulement de mises à jour ponctuelles et partielles».

Le rôle des médias ne se limite pas à informer, il s’étend à critiquer, analyser et exposer les dysfonctionnements sociétaux. Leur imposer des barrières aussi drastiques équivaut à restreindre la capacité des citoyens à participer activement à la vie publique.

Un recul pour le Tchad sur la scène internationale

Au moment où de nombreux pays africains investissent dans la numérisation pour accélérer leur développement économique et social, le Tchad choisit de prendre une voie opposée. La décision de la HAMA envoie un signal négatif aux partenaires internationaux, investisseurs et acteurs du numérique qui pourraient hésiter à engager des projets dans un pays où les libertés numériques sont bafouées.

Ce choix met également en péril le développement des médias tchadiens, qui peinent déjà à rivaliser avec leurs homologues régionaux. En coupant l’accès au numérique, la HAMA freine l’innovation et risque d’isoler encore davantage le pays dans un monde globalisé.

Appel à la mobilisation

Face à une décision aussi liberticide, les acteurs des médias doivent se mobiliser. Les organisations professionnelles, les défenseurs des droits humains et les citoyens doivent unir leurs voix pour dénoncer une mesure qui réduit considérablement l’accès à une information de qualité. L’Association des médias électroniques du Tchad (AMET) a déjà tiré la sonnette d’alarme et appelé ses membres à ne pas céder à cette décision en continuant à produire et diffuser des contenus audiovisuels. Elle va encore plus loin en appelant à une journée sans presse en ligne pour le samedi 7 décembre 2024.

Dans un contexte où le Tchad a besoin de renforcer ses institutions démocratiques et de favoriser la transparence, cette décision apparaît comme une entrave au progrès. Il est urgent que la HAMA revoie sa position et opte pour une régulation inclusive, qui accompagne plutôt qu’elle ne freine l’évolution des médias.

En fin de compte, restreindre les médias numériques dans un monde où tout converge vers le digital revient à tourner le dos à l’avenir. Le Tchad mérite mieux que ce choix rétrograde.