Pertes en vies humaines, enlèvements, déportations,… Des familles font leur deuil ou sont dans l’angoisse après les manifestations violemment réprimées (plus de 50 morts, selon le gouvernement) du 20 octobre contre la prolongation de la transition de deux ans. Me Kagonbé Alain, avocat au Barreau du Tchad, attire l’attention du gouvernement sur certaines violations des droits humains et demande que les responsabilités soient établies.

Quelle appréhension aviez-vous des évènements du 20 octobre ?

Les événements du 20 octobre sont décevants à plusieurs niveaux. Décevants parce que nous avons déploré beaucoup de morts ; décevants parce qu’il y a eu beaucoup de blessés ; décevants parce qu’il y a eu des attaques communautaires ; décevants parce que ce qui était une manifestation pacifique s’est mu en un acte de vandalisme. La journée du 20 octobre était l’une des plus décevantes de l’histoire récente de notre pays.

A la suite de ces évènements, des personnes ont été déportées pour la prison de Koro Toro. Que prévoient les textes dans une telle situation ?

Je n’ai pas personnellement la preuve du transfèrement ou de la déportation de ces personnes vers Koro Toro. Mais l’administration, pour des raisons de disponibilité, peut transférer des gens dans n’importe quel lieu carcéral. En principe, la Maison d’arrêt de N’Djamena qui est une prison de haute sécurité est assez grande pour contenir ces personnes. Et puis, plus proche de N’Djamena, il y a la prison de Moussoro, Bongor, Kelo, Moundou .

Mais, les conduire directement à Koro Toro, ça peut poser question. Alors, quels sont ceux qui ont été déférés à Koro Toro? c’est là où il faut aussi se poser des questions. Parmi ceux qui ont été envoyés, est-ce que tous sont coupables ? est-ce que tous ont été pris les mains dans le sac ? des gens qui ont formellement reconnu les faits ? Ou bien des gens qui ont été appréhendés par ci et là pour des raisons d’enquête et qui ont été directement déférés à Koro Toro ?

Il est préférable que ces personnes soient ramenées à N’Djamena. Parce que le tribunal territorialement compétent est le lieu de la commission de l’infraction qui est donc N’Djaména. Mais, il y a une commission ad hoc qui est partie de N’Djaména. L’Etat peut avancer des motifs, notamment liés aux troubles à l’ordre public et les juger sur place.

Il serait plus raisonnable que ces personnes soient ramenées au lieu de la commission de l’infraction. Parmi ces personnes, il y a certainement des innocents. Il faut raison-garder et garder son sang froid. Avant de les envoyer à Koro Toro, il va falloir qu’ils soient entendus sur un procès-verbal régulier. Après cela, il faudra qu’ils passent devant le procureur de la République. A son niveau, il peut procéder à des tris. Il a l’opportunité de poursuite.

Si le procès se passe Koro Toro, je crains que les choses se fassent dans la précipitation. Que la procédure soit biaisée et qu’on confonde les innocents aux véritables coupables qui ont endeuillé pour rien nos populations.

Certaines personnes ont été enlevées à des heures tardives. Que prévoit la loi même quand il y a des situations exceptionnelles ?

La loi est claire. Il y a des heures où ne peut pas violer le domicile d’un citoyen. Et lorsque les enlèvements se font nuitamment et à des heures tardives, ça peut servir de précédents très dangereux. Des bandits peuvent s’organiser et se faire passer pour la police. Des gens peuvent profiter de ces méthodes pour se régler les comptes et mettre sur le dos de l’Etat.

Si les faits se sont passés à chaud et que les forces de sécurité sont arrivés au moment où les faits se déroulent, elles peuvent intervenir et arrêter ces personnes. Mais s’il y a des soupçons, des renseignements, des indices et que des maisons sont identifiées, elles peuvent venir la nuit et cerner la maison et attendre les heures légales (5h à 18h).

Selon des témoignages, certaines personnes arrêtées seraient mortes à la suite de tortures. N’est-ce pas là des dérives au moment où l’on s’apprête à ouvrir une enquête ?

Les soupçons, ce qui se dit sans preuve, un avocat ne peut pas se fonder sur ça pour faire une déclaration. Aucun parent se s’est rapproché de moi pour me dire que son enfant a été enlevé tel jour, torturé, exécuté et on a retrouvé son corps.

Avant l’ouverture de l’enquête du gouvernement, des partis politiques et organisations de la société civile qui ont appelé à ces manifestations ont été suspendus pour trois mois. On qualifie ces événements à une insurrection armée. Peut-on croire à la sincérité de cette enquête ?

Tout le monde a besoin de cette enquête. Tout le monde attend une enquête sincère, honnête pour mettre les gens en confiance. Pourquoi ne pas créer une Commission d’enquête et y associer l’Union africaine ou des personnes neutres et arriver à une conclusion qui puisse convaincre tout le monde ? pour être un plus sérieux et honnête, on peut parler d’une révolution. Les révolutions ont toujours été violentes. Mais, elle a été assez irréfléchie, démesurée et incontrôlée. Parce qu’il y a eu beaucoup de bavures.