Minoritaires, les enfants handicapés s’estiment marginalisés voire écartés du système éducatif. Ils appellent l’Etat à fournir davantage d’efforts pour qu’ils puissent accéder à l’école et surtout bénéficier d’un cadre et outils adaptés à leur handicap.
Pour l’année scolaire 2023-2024, le ministère de l’Education nationale a recensé 52.391 enfants vivant avec un handicap au cycle primaire et 3 311 au cycle moyen. Ils représentent 1,84% des effectifs. Parmi ce faible taux, se trouve Keynodji Charline, âgée de dix ans. En cet après-midi ensoleillé du 15 juin, nous la rencontrons chez ses parents à Boutalbagar, un quartier reculé du 7e arrondissement de N’Djaména et difficilement accessible en cette saison pluvieuse.
Informée de notre présence, Charline, avec l’aide de son guide, prend place. Sa mère, intéressée par le sujet, assiste à l’entretien. Eveillée, elle commence à nous raconter son histoire. Non-voyante dès la naissance, elle est en classe de CE2, à l’école catholique associée de Kabalaye, dans le 3e arrondissement. « On m’amène à moto à l’école. J’ai plein d’amis là-bas. Quand je descends, ils viennent me tenir la main », se remémore-t-elle. Charline a su créer son cercle d’amis. Ce qui ne l’a fait pas se sentir seule. Mais, très vite, elle est rattrapée par son handicap. « Quand ma camarade censée me dicter les cours est malade, je les rate parce qu’il y a des élèves qui ne connaissent pas bien lire », déplore-t-elle. Au sein de cette école, un transcripteur se charge de l’encadrement de Charline et de 15 autres non-voyants. A son absence, c’est le désarroi. « S’il n’est pas là, on écrit et nos enseignants gardent jusqu’à son retour. Ça ne nous facilite pas la tâche. J’ai d’autres amis non-voyants qui n’ont pas de gens pour les dicter. Ça me fait de la peine », s’attriste-t-elle.
Malgré les difficultés, elle garde espoir et rêve grand. « On m’a dit que c’est possible d’étudier la médecine au Canada », confie-t-elle, plaidant pour l’ouverture d’un établissement spécialisé pour les non-voyants. « En attendant, que le gouvernement nous donne des machines à dessiner ; car, actuellement, on ne dessine pas », lance-t-elle.
Nicole est la mère de Charline. Deux de ses enfants sont non-voyants. Leur éducation lui revient chère. « Il faut 60.000 par mois uniquement pour leur déplacement. Il leur faut des feuilles synthétiques qui ne se trouvent pas ici. On leur achète parfois des feuilles doubles AA qui ne gardent pas longtemps les écritures. Comme les matériels manquent, ils sont beaucoup plus orientés en L qu’en S », s’offusque-t-elle.
Minguede Mayo est le proviseur du lycée-collège spécialisé des déficients auditifs d’Ardep-Djoumal, dans le 3e arrondissement. Il témoigne bénéficier du soutien de l’Etat qui se traduit par des affectations d’enseignants et des dotations de matériels. Cependant, il souligne que les enfants handicapés sont négligés. « Si un parent a plusieurs enfants, il aura tendance à négliger le sourd. Après inscription de leurs enfants, ils les abandonnent entre nos mains et ne payent pas régulièrement les frais de scolarité. Nous terminons l’année avec des dettes », regrette-t-il.
Si l’établissement qu’administre Mayo bénéficie du soutien de l’Etat, ce n’est pas le cas du Centre de ressources pour jeunes aveugles (CRJA). Créé en 1988, ce Centre a accueilli et formé des milliers de déficients visuels. Aujourd’hui, il n’est plus que l’ombre de lui-même. « Nous n’avons pas une autonomie financière. On glane çà et là les fonds pour supporter les formations. Actuellement, on se retrouve avec un nombre réduit d’activités », se désole Lappel Martin, son responsable. Il n’y a donc plus de formation aux instruments de musique ; à la vannerie ; au tricotage ou à la reliure. « Nous nous sommes astreints au volet éducatif qui consiste à former les enfants en écriture braille et à les suivre (…) Nos bâtiments sont en ruine. Nous sommes obligés de mettre les filles avec les garçons dans une même chambre, chose qui n’est pas normale », admet-il. Pour sa survie, le Centre appelle l’Etat à l’aide. « Nous plaidons pour que des moyens soient mis à notre disposition. Qu’on ne traite pas les personnes handicapées sous l’angle de charité. Cela n’aide pas la société tchadienne », lance-t-il.
Au ministère de l’Education nationale, Remadji Nangodjal, directeur général de l’Alphabétisation et de l’Education inclusive, assure que la situation est prise à bras le corps. « L’élaboration en cours d’une stratégie inclusive vise les enfants vivant avec un handicap, les enfants des nomades, etc. La stratégie porte sur l’amélioration de l’accès par des intrants infrastructurels, la dotation d’intrants pédagogiques spécifiques, l’amélioration de la gouvernance, la subvention de certaines écoles », détaille-t-il.
En réponse aux doléances, il appelle à la patience. « En créant une école spécifique, ces enfants vivant avec un handicap vont se sentir davantage marginalisés. Ils doivent être dans la même classe que les autres enfants. Ce qui va changer, c’est la pédagogie différenciée. Le même enseignant va enseigner tous les enfants (…) On espère qu’avec la refondation de l’école, il y aura une inclusion totale », croit-il.