À N’Djamena, la consommation de “bongo”, appellation locale du cannabis, devient une tendance inquiétante, notamment chez les jeunes. Pour mieux comprendre les dangers de cette pratique et ses implications, nous avons interviewé le Dr Djimtolnan Yeungar Étienne, psychiatre-addictologue et directeur général adjoint du Centre diocésain de recherche-action en alcoologie (Cediraa).
Qu’est-ce que le “bongo” et en quoi diffère-t-il des autres formes de cannabis ?
Le bongo est le nom donné au cannabis au Tchad. Il s’agit du même produit que celui appelé yamba au Sénégal ou chichon en France. Le cannabis se présente sous diverses formes ( herbe, résine, infusion ) mais le principe actif commun est le THC (tétrahydrocannabinol). Ce composant agit sur le cerveau en modifiant l’humeur, la perception et le comportement, et il peut entraîner une dépendance.
Avez-vous observé une augmentation de sa consommation chez les jeunes n’djaménois ?
Oui, de manière significative. Depuis cinq ou six ans, nous constatons une hausse nette du nombre de consommateurs, en majorité des jeunes âgés de 14 à 25 ans. Ce phénomène touche particulièrement les adolescents déscolarisés ou vivant dans des conditions précaires. Toutefois, les adultes commencent également à être concernés.
Quelles sont les principales conséquences du bongo sur la santé ?
Les effets sont multiples. Sur le plan physique, le cannabis nuit gravement aux poumons, au cœur et aux reins, ce qui entraîne une mauvaise oxygénation du corps. Les jeunes hommes voient leur qualité de sperme diminuer, tandis que les jeunes filles subissent des perturbations hormonales qui peuvent compromettre leur fertilité.
Sur le plan mental, le THC altère la mémoire, la concentration et peut provoquer des troubles psychotiques ou des états délirants.
Cette consommation a-t-elle un impact sur les résultats scolaires ?
Absolument. Les jeunes consommateurs perdent en motivation et en concentration, ce qui se traduit par une baisse des performances scolaires. Par ailleurs, leurs relations familiales et sociales se détériorent.
Le bongo est-il plus dangereux que la cigarette ?
Oui. Bien que la cigarette soit nocive pour les poumons et le cœur, le bongo a des effets plus immédiats et graves sur le cerveau. Le THC crée une dépendance rapide et altère profondément la perception de la réalité.
Est-il une porte d’entrée vers d’autres drogues ?
Tout à fait. Contrairement à ce que certains pensent, le bongo n’est pas une drogue douce. Il est déjà très puissant et provoque une dépendance réelle. De nombreux jeunes, en quête de sensations plus fortes, se tournent ensuite vers l’alcool ou des drogues synthétiques.
Quelles sont les principales raisons qui poussent les jeunes vers le bongo ?
Les causes sont variées : la pauvreté, le chômage, la déscolarisation, les tensions familiales ou l’influence des pairs. Certains consomment pour fuir un mal-être, d’autres par curiosité ou pour imiter leurs amis.
Existe-t-il un lien entre cette consommation et certains comportements à risque ?
Oui. Beaucoup de jeunes impliqués dans des actes de violence, de vol ou d’agression sont des consommateurs réguliers. Cela ne signifie pas que tous deviennent délinquants, mais le lien est bien réel.
Quelles actions concrètes mène le Cediraa pour lutter contre ce fléau ?
Notre centre intervient selon quatre axes : prévention, prise en charge des dépendants, interventions sur le terrain et plaidoyer. Nous formons et sensibilisons les communautés tout en soutenant les jeunes dépendants pour les aider à sortir de l’addiction.
Travaillez-vous avec d’autres acteurs ?
Oui, nous collaborons avec des écoles, des familles, des autorités locales et des leaders communautaires. Nous travaillons également en partenariat avec le ministère de la Santé publique et la Croix-Bleue, spécialisée dans la prise en charge psychologique.
Quel regard portez-vous sur l’avenir ?
Malgré l’ampleur du problème, je reste optimiste. Avec de la volonté, des actions concrètes et une mobilisation collective, il est possible d’inverser la tendance. La jeunesse tchadienne peut changer si elle est accompagnée et soutenue.
Un dernier message à adresser ?
Jeunes, le bongo n’est pas une solution à vos problèmes. C’est un piège qui vous prive de votre avenir. Fuyez-le. Et vous, parents, soyez proches de vos enfants, parlez-leur et guidez-les. Vous êtes leur premier rempart contre cette menace.