« Ensemble pour sauver le Lac Tchad », tel est le slogan des différentes rencontres internationales qui se sont tenues au sujet du Lac Tchad. Un intitulé en forme d’un appel au secours pour restaurer ce  Lac qui n’est pas seulement un héritage commun des pays de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT), mais aussi un patrimoine mondial de l’humanité. 

DICKMI  Charles BADJAM, journaliste Indépendant

L’homme respire la peur ! Arc-bouté à l’arrière de sa frêle pirogue, les mains agrippées à une longue perche, il tente de se frayer un chemin dans le mélange de joncs et boues alors que le soleil couchant devient de plus en plus avare de ses rayons. De grosses gouttes de sueurs perlent sur son visage raviné par les rides. Plus les grosses mouches lui piquent le torse nu, plus le cri des bêtes sauvages dans les roseaux deux fois plus grands que la taille d’un homme. Mais l’homme craint par-dessus tous les sbires de Boko Haram. « Chaque aventure de pêche est devenue aujourd’hui trop dangereuse. Au risque de revenir bredouille, nous préférons souffrir. Plusieurs d’entre nous ont péri ou raccroché les filets ; mais malgré l’interdiction de la pêche édictée par le gouvernement, si je continue encore par pêcher, c’est parce que je ne sais rien faire d’autre que ce métier ; aussi ; je ne veux pas finir dans un camp de réfugiés, en tendant la sébile… », Explique Mahamat Adam, en retournant son maigre butin.

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Pêcheur au large du lac

Comme cet habitant de Kinassoroum, un village de pêcheurs, en bordure du Lac Tchad, à environ cent vingt kilomètres de N’Djamena, ils sont des milliers et des milliers de pêcheurs, d’éleveurs ou d’agriculteurs à abandonner leur métier, victimes des exactions de la secte Boko Haram qui cherche à instaurer un califat de terreur dans le lit du Lac Tchad, ou plus généralement du changement climatique qui assèche cette véritable mer intérieure partagée par quatre pays : Cameroun, Niger, Nigeria, Tchad. « Moins d’eau, c’est moins de poissons, moins d’agriculture et moins d’élevage dans un bassin duquel, dépend la survie d’une cinquantaine de millions d’habitants… » Explique-t-on du côté de la CBLT, créée par les quatre pays riverains, au lendemain des indépendances, dans le but de promouvoir l’exploitation optimale des ressources du bassin du lac Tchad (Article : IV et V du Statut) et  la solidarité  dans  la  participation  des  Etats  au  financement  des  programmes  de  la  Commission. Pour Ibrahim Senoussi, la soixantaine révolue, président du collectif des pécheurs de Kinassoroum sur les eaux du Lac Tchad, la diminution des eaux du Lac due à l’absence des pluies a fait que les poissons ont disparu : « Avant, quant le niveau d’eau était élevée, on attrapait presque deux tonnes de poissons par nuit de pêche ; mais maintenant, ce n’est plus possible. Les poissons ont disparu, on n’arrive même pas à remplir une pirogue en deux jours de pêche ». S’est-il lamenté.

Véritable oasis en plein cœur du désert, le Lac Tchad voit sa superficie se rétrécir comme une peau de chagrin, au fil des années : 25 000 km2 en 1960, à 2 500 km2 à nos jours, soit une réduction de plus de 90%. A côté de ce principal problème de baisse de la superficie, le Bassin du Lac-Tchad est aussi confronté à d’autres menaces qui sont entre autres : la pollution de l’eau, l’ensablement dû à l’avancée du désert, la pression démographique (30 million en 1990 et 37 en 2013), la diminution de la viabilité des ressources biologiques, la perte de la biodiversité, la sédimentation des fleuves, la disparition des espèces, etc. Pour Michel DIMBELE-KOMBE, Directeur de l’Observatoire du Bassin du Lac-Tchad, les activités anthropiques ont des effets négatifs sur le Lac-Tchad et les fleuves qui l’alimentent. Et pour restaurer son niveau initial, il faut « améliorer l’hydraulicité des eaux des fleuves qui coulent vers le lac en aménageant les canaux d’irrigation de ces eaux ». Car, « la pression démographique constatée dans les deux dernières décennies a aussi augmenté le taux de la demande en poissons et des ressources culturales et pastorales », a-t-il expliqué.

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Un fumoir de poisson

Si les effets du changement climatique dans le bassin du Lac-Tchad sont particulièrement ressentis dans l’agriculture, l’élevage et la pêche, il n’en demeure pas moins qu’ils sont aussi source de l’insécurité alimentaire, des tensions sociales et de la pauvreté renforcées par les flux migratoires parmi les populations concernées. De par son rôle économique incommensurable  qui est la création d’emploi, la lutte contre la pauvreté, l’augmentation de l’assiette fiscale de la population environnante, la promotion de l’entreprenariat des jeunes, le Bassin du Lac-Tchad fait face aujourd’hui à un enjeu sécuritaire non négligeable.

Depuis trois ans, le Bassin du Lac-Tchad fait face à un défi sécuritaire sans précédent. La montée en puissance de la secte islamique Boko Haram constitue aujourd’hui une menace sécuritaire aiguë pour le Bassin du Lac-Tchad. Car, non seulement elle impacte négativement sur les transactions économiques entre les pays membres de la Commission du Bassin du Lac-Tchad (CBLT), mais elle menace aussi la sécurité intérieure de ces pays.

Si la secte islamique Boko Haram a pu gagner du terrain au tour du bassin du Lac-Tchad, c’est justement à cause de la pauvreté généralisée qui s’est installée autour de ce bassin causée certainement par la diminution progressive des ressources et la forte croissance démographique remarquée ces dernières années. Lors du sommet de Paris sur la sécurité, le Président nigérien Mahamadou Issoufou a mis l’accent sur la relation entre la pauvreté et le terrorisme en ces termes : «Au niveau des pays de la Commission du Bassin du Lac-Tchad (CBLT), nous avons mis sur pied un système pour lutter contre la pauvreté ; parce que vous savez tous que le principal allié du terrorisme c’est la pauvreté. Alors, si nous parvenons à endiguer la pauvreté, nous pourrons aussi enrayer le terrorisme ».

Même si, par une sorte de sursaut de dernière minute, les Etats membres de la CBLT se sont réveillés, avec la création d’une force multinationale de lutte contre le terrorisme dans le bassin du Lac Tchad, il n’en demeure pas moins que les questions sécuritaires semblent avoir remisées les importantes actions de développement. Il n’y a certes pas de « développement sans sécurité », comme s’évertuent à le chanter les chefs d’Etats des pays membres qui multiplient les sommets et les déclarations, mais le temps que la paix reviennent et que se poursuivent les salvatrices actions de sauvetage du Lac Tchad, il n’y aura peut-être plus de pêche, d’agriculture ou d’élevage.

Aussi paradoxale que cela puisse paraître, selon les résultats des études menées par l’Instituts des Recherches pour le Développement (IRD), il est possible de sauver ce paradis en sursis. Cependant, les experts se déchirent sur cette possibilité. Pour les uns, il faut renflouer le Lac à partir notamment du Logone et du Chari, les deux principaux fleuves qui l’alimentent. Un projet qui recueille les faveurs de la Commission régionale, laquelle, depuis des lustres, échafaude et asticote les plans.

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Un capitaine pêché dans le Lac

« Trop titanesque », répondent les autres qui pointent les inconvénients notamment le coût excessif du projet, les risques environnementaux, les déplacements de populations etc. A la place, ils préconisent plutôt de tenir compte des spécificités du Lac. Ainsi, « Il vaut mieux drainer les eaux de pluies vers le Lac et améliorer l’écoulement du Chari et du Logone afin de rehausser le niveau du Lac », estiment certains ingénieurs de la CBLT. Ils expliquent par exemple que « si la pêche est gravement menacée, c’est parce que la demande en poisson est très forte et qu’une nouvelle agriculture a vu le jour sur les rives du Lac ».

En effet, l’état actuel du Lac-Tchad, son rôle économique incommensurable, les menaces d’assèchement auxquelles il fait l’objet et l’insécurité généralisée qui s’y développe, constituent aujourd’hui un véritable défi pour les pays membres de ce Bassin. Pour cela, ils doivent rapidement agir pour redonner à ce bassin ses couleurs de noblesse. Car, le Lac-Tchad est aussi une zone stratégique de la biodiversité mondiale. Selon une étude réalisée au Tchad en 2005, par des chercheurs américains et britanniques sur le site  de  Bodélé  dans le DJOURAB, la dépression de  Bodélé, principale source de poussière transportée par le vent jusqu’en Amérique du Sud et notamment en Amazonie. Cette dépression de Bodélé composée d’éléments  minéraux très riches, transporte environ 100 millions de tonnes de poussières par an vers l’Amazonie en Amérique du Sud et participent à la fertilisation du bassin forestier de l’Amazonie considéré jusqu’à là comme premier poumon  écologique mondial. Une partie de ces poussières tombe dans l’océan qui en profite comme nutriment essentiel et stimulant de la reproduction des phytoplanctons, base de la chaine alimentaire océanique. Et les résultats de ces mêmes études indiquent que cette dépression de Bodélé tire son origine du Lac-Tchad.

Le Lac-Tchad est l’un des rares Lacs du monde qui a plus de 120 espèces  de  poissons  et 372 espèces d’oiseaux. La plaine riveraine constitue une importante zone de pâturage pour l’élevage. La préservation  du  SITATUNGA,  une  antilope  des marécages vivant au lac et aujourd’hui menacée doit être une préoccupation de tout le monde. La pêche sur le lac, importante source de protéines pour les populations locales est également menacée. Le climat autour du lac est chaud et sec, avec des précipitations très variées entre 94 et 565 millimètres de pluies par an et dont les 90 % tombent entre juin et septembre. La rive sud du Lac-Tchad est plus humide que la rive nord. Bien que l’évaporation soit considérablement remarquable surtout durant la saison sèche, la salinité du lac n’augmente guère.