chicha

N’DJAMENA, 31 mai (Xinhua) — Au Tchad, de plus en plus de jeunes deviennent accrocs du “chicha”, un tabac nouveau dont les lieux de vente et de consommation prolifèrent dans la capitale en dépit de la législation en vigueur.

Aux abords des rues de N’Djaména, la capitale du Tchad, aux alentours des marchés et écoles, des salons de “chicha” poussent comme des champignons. Sous des hangars ou dans des maisons parfois insalubres, en plein air, des jeunes gens, parfois encore mineurs, aspirent de la vapeur de “chicha”.

Le “chicha” est produit à base de “Nakla Tobacco”, contenu dans un emballage semblable à un paquet de cigarettes contenant vingt sachets et vendu à 4.000 francs CFA (environ 8 USD). Il est composé de dépuratif, de fromage, de nicotine, etc. On le consomme à l’aide d’un long tube appelé “troumba” (mot de l’arabe local qui signifie “pompe” ou “aspirateur”) quasi-pleine d’eau. Cette eau, qui joue le rôle de réfrigérant, est remplacée au fur et à mesure qu’elle s’échauffe. Au bout du tube est relié un tuyau d’environ 50 cm servant à aspirer la volute du tabac.

“Le “chicha” est originaire des pays arabes, notamment de la Turquie, de l’Egypte ou du Soudan. Il a été introduit chez nous depuis une dizaine d’années”, déclare Issa Ahmed, qui tient un salon aux alentours des bureaux de la Délégation du gouvernement auprès de la commune de N’Djaména.

Le “chicha” était cantonné depuis plusieurs années à l’Est du pays, frontalier avec le Soudan ou dans des salons privés de N’ Djaména, mais depuis deux ans, le produit pullule dans la capitale et dans certaines villes du Sud.

Selon Issa Ahmed, le “chicha” a plusieurs vertus: il est à la fois un apéritif et un digestif. “J’en consomme depuis un an et je dépense tout mon argent de poche, en moyenne 2.000 francs CFA par jour (4 USD). Le “chicha” me donne tellement de l’appétit et du plaisir”, affirme un de ses clients, Ali Ibrahim, un élève en classe de Première.

Pour une autre catégorie de consommateurs, le “chicha” est un antidote au souci. “Nous le préférons à la cigarette manufacturée, parce qu’il permet d’oublier les soucis à longueur de la journée”, soutient Laou Djim en tirant sur le bout du tuyau. “Le “chicha” rend ivre en un temps record”, renchérit un de ses compagnons.

“Certains consommateurs mettent du whisky frelaté dans l’eau, d’autres des comprimés tel le “tramol”, explique Issa Ahmed. Le ” tramol” est un produit pharmaceutique interdit qui rend ivre en un temps record et qui est à la base de beaucoup d’accidents de la circulation dans lesquels sont impliqués les “clandomen” ou conducteurs de mototaxis.

Pour Djidda Moussa, enseignant de la langue arabe, les salons de “chicha” servent tout simplement de lieu de détente et de brassage au même titre que les débits de boisson. “C’est intéressant de venir ici écouter les gens débattre de tous les thèmes après qu’ils aient tiré un coup sur l’aspirateur”, affirme- t-il.

Les salons de “chicha” prolifèrent ainsi à travers N’Djaména, la capitale du Tchad. Certains poussent même à proximité des écoles.

Pourtant, la loi antitabac promulguée le 10 juin 2010 mais en vigueur un an après, interdit expressément la vente du tabac dans un rayon de 300 (trois cents) mètres autour des établissements d’enseignement et de formation professionnelle, publics ou privés et des formations sanitaires, ainsi que l’installation des points de vente du tabac au sein des établissements d’enseignement et de soins, des infrastructures sportives, des administrations publiques,parapubliques et privés.

Au bord du fleuve Chari qui traverse la capitale, non loin de l’Ecole nationale de police, un espace a été aménagé sous des nems pour accueillir les élèves des établissements riverains. “Cet endroit empêche les élèves de rester en classe. Certains y passent tout leur temps, avec leurs uniformes d’école, et ne regagnent leurs domiciles qu’à la fin de l’heure”, déplore dame Hélène Dobou qui habite à une vingtaine de mètres de là.

Au Tchad, “l’ouverture et l’exploitation de salons publics destinés à la consommation du tabac sous toutes les formes sont interdites” par la loi anti-tabac. Le texte précise en outre que sera puni d’un emprisonnement de un à quinze jours et d’une amende de 500 à 30.000 francs (1 à 60 USD), quiconque encourage les mineurs de manière ostensible à fumer ou à violer l’interdiction.

La police nationale et la police municipales restent passives face à la prolifération des salons de “chicha”. Les autorités communales semblent même encourager le phénomène, en percevant des taxes sur les exploitants de “chicha”. “Je suis en règle avec les autorités car, je paie à la commune ses 3.000 francs par mois (6 USD, Ndlr)”, se défend Dogo Martin en brandissant les reçus de paiement.

Le jeune homme, titulaire d’une Licence en Droit, s’en frotte les mains. Pour lui, le “chicha” est un business qui permet de réaliser des profits au même titre que les autres affaires. “Dans mon salon, le “chicha” se vend entre 250 et 500 francs CFA ( entre 0,5 et 1 USD, Ndlr). Il y a des jours où j’accueille une centaine de consommateurs, ce qui me permet de tenir face à la cherté de vie”, confie-t-il.

Chez Hadjé Mariam, l’une des rares femmes qui tiennent un salon de chicha, le prix varie entre 1.000 et 3.000 francs CFA (2 et 6 USD).

Cette consommation effrénée du “chicha” n’est pas sans conséquent sur la santé de ces jeunes. “L’usage d’un même aspirateur qui passe d’une bouche à une autre, peut être à la base de contamination de certaines maladies du genre tuberculose ou hépatite”, explique Assane Oumar Tosgoto, surveillant général du service de la pneumologie de l’Hôpital général des références nationales, la plus grande structure sanitaire du pays.

“Nous avons recensés 2.462 cas de tuberculose en 2012 et plus de la moitié des cas sont liés à la consommation de tabac”, ajoute- t-il.

A force de consommer presque quotidiennement du “chicha” depuis six mois, le jeune Ali Ibrahim affirme ressentir des douleurs au niveau du thorax. Mais il n’est pas prêt d’abandonner, “même si ça pourrait [le] tuer”.