Le président tchadien Idriss Déby dirige le pays depuis près de 25 ans. Durant ce quart de siècle, il s’est trouvé engagé, directement ou indirectement, dans la plupart des conflits de la région. Il explique à Euronews les raisons de l’implication du Tchad dans cette guerre contre le djihadisme. Une question de survie.

Euronews: Monsieur le président, quelle est l’ampleur de la menace Boko Haram actuellement pour le Tchad ?

Idriss Déby: Jusqu’en 2013, les actions de Boko Haram visaient le Nigeria. A partir de fin 2013, Boko Haram a commencé a étendre ses actions au-delà, en particulier au Cameroun et au Niger. Et Boko Haram a fini évidemment aussi par s’attaquer au Tchad. C’est une organisation extrêmement dangereuse, qui a eu le temps de s’organiser, de recruter des jeunes qui n’ont pas de travail. Elle a aussi des liens très étroits avec Daech et avec AQMI. Boko Haram a décidé d’asphyxier le Tchad en coupant l’axe unique qui nous rattachait au port de Douala, au Cameroun, menaçant ainsi nos intérêts vitaux. C’est un danger potentiel pour toute la
sous-région. Aucun de nos pays ne peut s’en sortir seul face à cette nébuleuse, d’où la nécessité de mettre en commun nos moyens, maigres bien sûr, en ayant foi en notre capacité de parvenir à réduire sa nuisance.

Euronews : Quels sont les objectifs précis de cette action militaire. S’agit-il de détruire Boko Haram ou de la maintenir éloignée de vos frontières ?

Idriss Déby : C’est de détruire Boko Haram. Par tous les moyens.

Euronews : Votre pays a participé en 2013 à l’Opération Serval au Mali et en 2014 à l’Opération Barkhane au Sahel, contre les groupes intégristes. La France vous fournit des renseignements sur Boko Haram, comme d’autres pays aussi. Désireriez-vous une implication plus poussée de la part de l’Europe et des Etats-Unis ?

Idriss Déby: Non. Je crois qu’il faut bien comprendre que cela fait 60 ans – depuis pratiquement les indépendances des pays africains – que nous devrions être capables de nous prendre en charge, de gérer nos crises et de faire face à des mouvements terroristes, en unissant nos efforts, les efforts africains.

Euronews: Début mars, Boko Haram a juré fidélité à l’autoproclamé Etat Islamique (EI). Cette allégeance en fait-elle un groupe terroriste plus dangereux ?

Idriss Déby: Notre action a cassé la puissance militaire de Boko Haram. Nous avons désorganisé son état-major. Boko Haram n’est pas, comme on le dit, une organisation locale au niveau de l’Afrique, au niveau du Nigeria, mais une organisation qui a des liens avec d’autres organisations terroristes de par le monde, en particulier l’EI. Voilà son visage réel. Il faut se demander qui est derrière Boko Haram…

Euronews: Nous n’avons pas beaucoup d’informations sur le nombre de combattants de Boko Haram, ni sur ses sources de financement. On sait que le groupe obtient de l’argent via les kidnappings et les vols. Mais pensez-vous qu’il en reçoive aussi de pays étrangers ?

Idriss Déby: Boko Haram est soutenu, Boko Haram est financé, Boko Haram a reçu du matériel, y compris du matériel blindé sur le terrain. De qui ? Je ne le sais pas.

Euronews: Mais vous êtes convaincu que Boko Haram reçoit un financement extérieur ?

Idriss Déby: Comment pouvez-vous imaginer qu’une organisation terroriste arrive à conquérir aujourd’hui un tiers d’un grand pays comme le Nigeria avec une armée organisée, avec des blindés, avec des modes d’action qui ressemblent à ceux d’une armée régulière ? On ne fabrique pas de blindés au Nigeria, on ne fabrique pas d’armes. Donc, tout ça n’est pas tombé du ciel.

Euronews: On a vu que des groupes proches de Daech sont aussi opérationnels en Libye. Cela pourrait-il ouvrir un nouveau front dans le Nord, à la frontière ?

Idriss Déby: En 2011, quand l’Occident et l’Otan ont déclenché leurs opérations militaires en Libye, j’avais mis en garde. Je n’avais pas un amour particulier pour Kadhafi, mais on n’a pas pris la précaution de gérer l’après-Kadhafi de telle sorte que les armes ne sortent pas de la Libye. Or, ce pays était super équipé du point de vue militaire, super armé. Donc, depuis l’assassinat de Kadhafi, nous sommes sur le pied de guerre, au Nord comme à nos autres frontières. Les armes circulent en Libye, Daech s’y développe. Il y a réellement une menace physique sur les pays africains au sud du Sahara.

Euronews: Le Tchad est un pays à majorité musulmane, vous-même, vous êtes musulman. En tant que musulman, que pensez-vous de l’appropriation que fait Daech de votre religion, l’Islam ?

Idriss Déby: Daech ou Boko Haram sont loin, loin, loin de l’Islam. C’est pour moi inacceptable, et les musulmans ne doivent pas simplement regarder, observer et laisser faire. On les a laissé faire depuis longtemps et il est temps que les musulmans s’organisent eux aussi pour faire face à cette organisation terroriste qui n’a rien, rien, rien de musulmane. Ce ne sont pas des musulmans et nous devrions combattre ces gens, les musulmans doivent combattre ces gens.

Euronews: Monsieur le président, merci.

Idriss Déby: Merci à vous, et merci de vous intéresser à mon pays.

La coalition anti-Boko Haram a enregistré de réels succès en expulsant les islamistes des villes qu’ils occupaient au nord du Nigeria. Mais peut-on pour autant entrevoir la fin proche de cette organisation ? Ou bien, au contraire, Boko Haram va-t-elle rebondir ?
Notre émission spéciale se termine sur ces interrogations.
Merci de nous avoir suivis.

Source: euronews