365 jours de coupure des réseaux sociaux, c’est ce que viennent de traverser les Tchadiens et la mesure n’est toujours pas levée. Tchadinfos a réalisé, pour cette commémoration, un entretien avec le représentant de la division Afrique centrale de l’organisation Internet sans frontières (ISF), Abdelkerim Yacoub Koundougoumi.

Bonjour, c’est quoi Maala_Gatétou ?

La campagne Maala Gatétou est la suite logique de plusieurs initiatives qui ont été prises par les internautes tchadiens et par la représentation d’Internet sans frontières au Tchad. C’est pour combattre la censure des réseaux sociaux au Tchad, la cherté d’accès à l’internet au Tchad, la qualité médiocre d’internet et des fournisseurs d’internet qui ne font pas l’effort pour déployer les infrastructures nécessaires pour offrir aux internautes tchadiens un internet ou une bande passante de qualité et aux normes internationales.

Cette campagne est la suite de la mobilisation citoyenne au Tchad par le collectif des avocats qui ont fait un référé auprès du tribunal de grande instance de N’Djamena dont ils n’ont pas eu gain de cause. Elle fait suite à la saisie du Conseil constitutionnel par les membres d’Internet sans frontières Tchad pour protester auprès de cette juridiction contre cette censure qui viole le droit des citoyens en matière de liberté d’expression et aussi en matière de liberté d’accès à des sources d’information, à des outils qui leur permettront justement de pouvoir réaliser leur droit de citoyen.

Les autorités tchadiennes ont-elles peur d’internet et des réseaux sociaux ?

Oui, vu l’attitude qu’elles ont face à cet outil, vu les mesures qu’elles ont prises pour limiter l’accès et le fait que ce gouvernement ne s’empresse pas d’investir dans ce domaine, à encourager le développement des outils numériques à la pénétration de l’internet mobile au Tchad. Le fait que le gouvernement a plusieurs fois censuré l’internet et les réseaux sociaux montre très bien que ce gouvernement a peur que les citoyens puissent vraiment avoir un espace d’expression, d’organisation. Car le gouvernement ne maîtrise pas, ne contrôle pas cet espace. Si le gouvernement n’a rien à cacher, si le gouvernement est transparent, s’il dit qu’il y a liberté d’expression, il devrait laisser la population avoir accès à cet espace. Aujourd’hui la porte d’entrée d’internet au Tchad ce sont les réseaux sociaux. 90% d’utilisation de la bande passante ce sont les réseaux sociaux. Les Tchadiens ont été déconnectés de la conversation globale et nous on se bat pour pouvoir reconnecter les Tchadiens dans la conversation globale et aussi pouvoir utiliser ces outils et être présents dans le monde de demain. Le gouvernement a vraiment peur des réseaux sociaux.

Pourquoi ont-elles ainsi peur ?

Elles ont peur parce que le pays est dans un état tel qu’il n’y a pas d’espace politique, d’expression et internet est devenu cet espace qui permet au citoyen d’aller au-delà de cette censure et témoigner de son calvaire, dénoncer ce qui se passe dans le pays et exprimer son opinion. Donc cette voie a été censurée parce que les autorités ont peur que les citoyens puissent dire la vérité sur ce qui se passe au Tchad.

Quel est le coût de cette censure ?

Nous avons calculé, rien que la censure des réseaux sociaux depuis le début c’est près d’un milliard de FCFA et ça augmente tous les jours. C’est beaucoup. Pratiquement un milliard de FCFA de perte par an, c’est énorme pour l’économie. Ça ce sont des chiffres estimés. Etant donné que notre économie est à 70% informelle, il fallait multiplier ce chiffre là par deux, trois, quatre pour estimer le coût réel. Mais l’estimation actuelle n’est faite que sur l’économie formelle qui est de l’ordre de 30%. Ce qui fait qu’au moindre coût c’est vraiment dans les 1 milliard de perte depuis un an de censure des réseaux sociaux.

Cela a un coût pour l’entrepreneur tchadien, pour les investisseurs étrangers qui utilisent beaucoup les réseaux sociaux pour communiquer avec leurs partenaires, leurs filiales. C’est un coût énorme, c’est un coût qui a freiné de potentialité et de créativité des Tchadiens. Le coût n’étant pas seulement économique, si on évalue la perte en terme de créativité, en terme de potentialité de développement des entreprises, c’est énorme. La perte n’est pas seulement économique, elle est culturelle, sociale, politique ; la perte sur les droits humains, sur la sensibilisation, sur la citoyenneté, la perte sur l’avancée de la démocratie. C’est une grande perte.

Est-il possible d’envisager une économie numérique au Tchad ?

Absolument non. Pour parler d’économie numérique, il faut développer le numérique. La Banque mondiale, la Bad, tous les experts ont dit aux autorités tchadiennes que la diversification de l’économie passe par la numérisation, la digitalisation de l’économie, qu’elle passe par la maîtrise et la pénétration de cet outil. Aujourd’hui, le secteur tiers et d’autres secteurs sont numériques donc on ne peut parler d’économie numérique dans un pays ou même le numérique est politiquement considéré comme un danger. Ce n’est pas possible. On est loin de ça, très loin et le gouffre s’agrandit de jour en jour. Le gouvernement, malgré les conseils des experts de ces institutions, pour des raisons politiques, sacrifie notre économie. On ne peut pas parler de l’économie numérique dans ce contexte actuel et si cela continue, on sera les derniers.

Est-ce la censure qui a poussé le groupe Millicom à quitter le Tchad ?

Oui, vous savez les opérateurs sont là pour le business. Si aujourd’hui, ils ne peuvent pas faire de business, ils partent . S’ils voient que le Tchad n’est pas fiable, ils partent. Si les entreprises quittent un pays comme le Tchad parce que le gouvernement coupe internet, ça veut dire que leur business est censuré alors elles sont obligées de partir. Il n’y a pas de climat d’affaire favorable pour le numérique, il n’y a pas d’avenir numérique au Tchad. Les entreprises le quitte parce qu’elles ne peuvent pas développer et investir dans ce secteur qui est l’avenir de l’économie de demain.

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