Tchadinfos est allé à la rencontre de l’ancien président Goukouni Weddeye, nommé récemment président du comité technique spécial relatif à la participation des politico-militaires au dialogue national inclusif. Nous nous sommes entretenu avec lui sur le décès d’Hissein Habré, qui fut son ancien collaborateur et adversaire, et évoqué avec lui sa nomination à la tête du comité en charge des discussions avec les politico-militaires.


Monsieur le président, votre ancien collaborateur et en même temps ancien adversaire, avec qui vous avez eu un passé aussi tumultueux que reluisant, Hissein Habré a rendu l’âme il y a quelques jours. Comment avez-vous accueilli la nouvelle ?


J’ai accueilli avec beaucoup de tristesse la mort d’Hissein Habré, avec qui j’ai effectué de longues marches à l’époque du Front de libération nationale du Tchad (Frolinat). Nous avons connu tant de difficultés en Libye, entre Tripoli et Benghazi, avec le leader du Front de libération nationale du Tchad (Frolinat), Abba Sidick.


Avec Hissein, pendant nos péripéties, il était expulsé de la Libye. Et j’étais détenu en prison avec un collaborateur, puis libéré et mis en résidence surveillée. Quelques mois après, Hissein s’est déguisé en un marabout nigérien, il m’a rejoint à Tripoli. Nous avons effectué un processus de longue marche pour la libération du Tchad.


Nous avons quitté Tripoli, Sebha, Benghazi, de là nous avons marché jusque dans les montagnes du Tibesti. Nous avons également continué, après avoir désigné Hissein Habré, comme notre leader. Sinon j’étais auparavant, le responsable politique de la région du Borkou-Ennedi-Tibesti, de la 2ème armée du Front de libération nationale du Tchad.


Vous savez au Tchad, il y a deux fronts : la 1ère armée et la 2ème armée. Je dirigeais donc sur le plan politique et militaire la 2ème armée dans la région. Au Centre Est, il y a la 1ère armée. Notre chef était Abba Sidick, avec qui nous avons eu des problèmes, Hissein Habré fut expulsé.


Au Tibesti, dans les montagnes de Yebibou, à Gomour, nous avons tenu un congrès pour relever le défi, qui nous est imposé. Nous avons désigné Hissein Habré. Et là, nous avons encore entamé une deuxième marche. Nous sommes arrivés au Borkou, continuer encore à pieds jusque dans les montagnes de l’Ennedi. Là, nous avons eu tant des difficultés et combats, avec nos frères qui étaient auparavant sous mes ordres, qui ont fait la défection et se sont arrangés du côté d’Abba Sidick.


Ceux-là, sont équipés, armées par le leader du Frolinat, Abba Sidick, qui était notre Secrétaire général. Dans ces montagnes de l’Ennedi, nous avons été vaincus. Repli sur Borkou. De là, nous avons organisé notre armée et effectué une marche en arrière pour arriver au Tibesti jusqu’à aboutir à Aouzou. Là encore le malheur nous poursuit, puisque nos combattants, sur place, se sont arrangés avec les Libyens et ont donc basculé de l’autre côté.


Le Libyens sont venus pour nous imposer l’implantation de leur drapeau. Ce jour, Hissein était notre chef à Aouzou. J’étais son chef d’Etat-major, Ali Sougoudou était notre vice-président. Il y a beaucoup de cadres qui sont aujourd’hui en vie. Mahamat Nouri était dépêché en Libye à la tête d’une délégation. Nous autres sommes restés à Aouzou. Les Libyens sont venus implanter le drapeau. Si on refusait, ça allait être le combat encore entre nos combattants d’Aouzou et nous qui sommes venus de Zoumri.
Sous l’ordre insistant de notre chef Hissein Habré, nous avons tous accepté puisque l’ordre qui nous a donné est sincère. Et que nous sommes convaincus de la justesse. Sinon ça sera la destruction de notre cause. Les Libyens ont hissé leur drapeau. De là, on a quitté pour venir à Zoumri.

C’est pour dire qu’avec Hissein nous avons connu des difficultés. Nous étions à Tibesti, vous connaissez très bien le Tibesti est une région austère qui n’a pas des ressources extérieures. Bardaï, Zouar, Faya sont occupées par l’armée tchadienne. La Libye est devenue notre ennemi, d’où il faut trouver une solution. Nous avons dit qu’il faut tendre la main à Malloum, pour sortir de cette situation. Si on ne fait pas cela, il faut se réconcilier avec les Libyens et faire face au régime au Tchad en place. Pendant les discussions nous nous sommes entendus, il faut envoyer une délégation à N’Djaména. Nous nous sommes retrouvés à Gouro pour tenir un congrès.

Après avoir tenu le congrès, Hissein Habré a sorti ses creux, ses ambitions puisqu’il ne voulait pas se réconcilier avec Tombalbaye. Mais il n’ose pas nous dire clairement. Sans trop de bruit, sans combat entre nous, intelligemment il nous a quitté avec le détachement du Borkou. En clair, il laisse ceux du Tibesti et nous autres. Un bon nombre de cadres, dont Adoum Togoï sont restés avec moi. Nouri était absent mais l’a rejoint. Tout ça pour dire, nous nous sommes séparés dans des moments difficiles. L’ambition de l’homme nous a séparé.

Depuis lors on s’est rencontré à Kalaït, le compromis n’a pas été trouvé. Le hasard a fait qu’en 1979 on se trouve ici (N’Djaména), on a participé à toutes les conférences. La dernière est celle de Lagos I, j’étais désigné président de la République, Hissein Habré, ministre de la défense. Au bout de quelques mois, il y a eu une guerre qui a ruiné le pays pendant neuf mois, a l’issue de laquelle Hissein était repoussé. Un an après, c’est naturel dans le monde, quand un chef d’État constate qu’il est difficile de défendre son territoire par ses propres forces, il doit faire un appel à un ami. C’est dans ce cadre que j’ai fait appel à la Libye.
La Libye est intervenue dans des conditions difficiles, la distance est très longue. Les Français sont par-là et les Américains sont par ici. Malgré tout, Kaddafi a engagé ses forces à mes côtés. Hissein Habré est bouté hors du pays.
Comme vous saviez le maître absolu c’est l’Amérique. A l’époque la guerre froide, si nous sommes communistes ou non, du moment que notre allié est libyen, nous sommes classés de ce côté. Les Américains, les occidentaux, un grand nombre de pays arabes, à leur tête l’Arabie Saoudite, le Soudan se sont rangés du côté d’Hissein Habré avec le mercenaire Bob Denard, j’ai été vaincu.

Aujourd’hui, il n’est plus de ce monde, je n’oublie pas le passé. Je suis un homme reconnaissant. Je reconnais que Hissein Habré a fait du bien pour le pays, et il a fait du mal à ce pays. Il y a des centaines et des centaines des victimes qui se sont rendues au Sénégal. J’ai été invité à prendre part parmi ces gens-là, pour témoigner contre Hissein Habré. Mais j’ai dit non. Certes, il est mon adversaire, je suis disposé à combattre contre lui face à face, mais pas aller lui créer des problèmes quand il est en difficulté. Les émissaires de la cour d’appel se sont rendus chez Idriss Deby, pour l’inciter à m’envoyer au Sénégal. Un ami confident, m’a soufflé : Idriss Deby a dit qu’il ne peut pas obliger Goukouni d’aller au Sénégal pour témoigner. S’il fait cela les gens d’Hissein et Goukouni vont l’accuser.


Habré a eu un passé sombre, les victimes attendent d’être dédommagées. Que diriez-vous aux parents des victimes ? Êtes-vous pour ou contre le rapatriement du corps au pays ?


Hissée Habré, n’est plus parmi nous. J’aurais souhaité que le pouvoir en place puisse résoudre les problèmes des victimes qui réclament l’indemnisation avec l’appui des bailleurs de fonds et de l’Union africaine. Et par la suite, il faut gracier Hissein Habré, rapatrier son corps et l’enterrer là où ses parents le souhaitent.


La plupart des acteurs politiques majeurs de votre génération sont en train de partir un à un. Ne pensez-vous pas qu’au vu du contexte et de notre actualité que le moment soit venu pour votre génération de témoigner et éclairer la génération actuelle sur notre passé et les erreurs à ne plus commettre ?


J’invite les jeunes générations à lire mon livre (Le Parcours d’un Combattant). Les jeunes d’aujourd’hui qui ont le contact facile entre eux à travers l’Internet, plus encore ils sont informés sur les événements qui arrivent et qui se sont passés, doivent prendre conscience. Qu’ils s’interrogent, est-ce qu’ils continuent toujours à vivre dans la guerre ? Il faut résoudre les petites querelles. L’essentiel c’est la viabilité de notre pays le Tchad. D’aucuns disent il faut la fédération. Je ne dis non ! Le Tchad reste uni et indivisible. Si on avance dans une même direction, nous serons forts, capables de tout faire. La nouvelle génération doit réfléchir dans l’intérêt de notre pays.


Cette avant–dernière question nous mène forcement à votre récente responsabilité qui est celle de conduire les discussions avec les politico-militaires. N’est-ce pas une belle occasion pour vous, l’homme du consensus de réussir à réconcilier les Tchadiens ?


C’est un problème complexe et très difficile. Normalement, je ne devais pas accepter de m’engager. Notre pays est dans cette condition. Aujourd’hui le Maréchal n’est plus. Le CMT cherche à regrouper tous les Tchadiens en vue d’un dialogue national inclusif. Quelles que soit nos difficultés et faiblesses, chacun doit apporter sa contribution pour la réussite de ce dialogue qui va regrouper l’ensemble des Tchadiens. C’est dans cet esprit que je dis que c’est difficile et complexe. Mais pourquoi ne pas essayer quand on nous demande. Je veux aller vers tous les politico-militaires, accompagné de mes collaborateurs, appuyé par d’autres sages discuter avec eux, écouter ce qu’ils nous disent. Ensemble si possible, nous allons nous entendre pour faciliter la tenue du dialogue national inclusif. Les politico-militaires sont nombreux, on n’exclut personne. On ne minimise personne. On va les rejoindre où qu’ils se trouvent, même s’ils se trouvent au fin fond de l’Amérique pour les écouter et leur demander d’assister au dialogue. S’ils acceptent on viendra rendre compte à qui de droit. S’ils refusent on n’oblige personne, on reviendra informer qui de droit.


Avez-vous un message pour la nation et la génération actuelle ?


Nous sommes dans une phase cruciale, le monde nous observe. Tous nos voisins sont dans des situations difficiles. Les armes crépitent partout. Est-ce que nous sommes des vrais Tchadiens, responsables ? Si oui entendons-nous pour participer à ce dialogue et sauver notre pays. Sauver notre pays, mais pas sauver une personne.