Un adage africain dit ceci : « Quand la mémoire va chercher du bois mort, elle ramasse le fagot qui lui plait ».

Un article du journaliste Christophe Boltanski paru dans le magazine français L’OBS du 20 juillet 2015 et titré « Tchad : Hissène Habré impliquera-t-il Idriss Déby ? » confirme bien cet adage, tant son contenu est truffé d’allusions malheureuses et de raccourcis sans lien avec la réalité historique.

On peut comprendre que l’ouverture, le même jour à Dakar, du procès de Hissène Habré, ancien président du Tchad, poursuivi pour « crimes contre l’humanité, crimes de guerre et tortures » puisse occuper les devants de l’actualité au point de cristalliser toutes les passions, voire susciter de nouvelles

vocations pour certains en matière d’investigation, sans pour autant s’abreuver à bonne source.  Ainsi, de là à assoir des certitudes sur la base d’éléments tronqués et d’amalgames insidieuses, le pas de l’analyse facile et de la falsification des faits historiques est vite franchi.

Nous ne reviendrons pas sur les péripéties qui ont abouti à la tenue, enfin, d’un procès pour lequel le Tchad, et en premier lieu, le président Idriss Déby Itno, a œuvré, en toute responsabilité, pour que le Droit soit dit, et la justice rendue pour tourner définitivement une page sombre de notre histoire récente.

De quoi s’agit-il précisément ? Le chapeau de l’article précité nous donne, d’emblée, une indication claire de l’orientation de l’article voulue par son auteur. « Le président tchadien, dit-il, pourrait (retenez le conditionnel) être mis en cause lors du procès de son prédécesseur, à Dakar, au Sénégal. Au moment des crimes commis sous le régime de Hissène Habré, il était chef d’état-major ».

Et alors ? En quoi précisément cette fonction que le journaliste en question attribue au président Idriss Déby Itno peut-elle impliquer une quelconque responsabilité aux crimes reprochés à Hissène Habré et dont aucune victime – depuis le début de la procédure judiciaire initiée contre Habré – n’a, une seule fois, cité ou évoqué le nom pour tel ou tel autre fait ?

Il faut savoir raison garder. Le président Idriss Déby Itno, comme beaucoup d’autres valeureux officiers ou cadres tchadiens, a tout autant souffert des crimes et exactions de Hissène Habré. Comment comprendre alors que M. Boltanski veuille mettre dans le même box (d’accusés) la victime et le bourreau ?

Sur le procès que le Tchad, l’Afrique toute entière et la communauté internationale réclamaient avec insistance, sa position n’a jamais varié. Inutile donc de parler de « frilosité de la part des autorités tchadiennes », un propos qu’aurait tenu l’avocat américain Reed Brody qui, tout au long de la procédure menée par l’ONG Human Rights Watch, s’est toujours félicité de la parfaite collaboration de ces mêmes autorités !

Cependant, derrière les insinuations malveillantes et les allégations approximatives, se cachent d’autres préoccupations. Procédant à la narration fort imagée de l’expulsion du journaliste de RFI Laurent Correau, et sur la base du « témoignage » d’un supposé membre d’un mouvement rebelle sudiste, il établit un lien entre les « terribles exactions de l’armée » et, encore une fois, le rôle prétendument joué par l’actuel chef de l’Etat, qui, selon lui, « dirigeait les opérations militaires ».

Certes, le journaliste rappelle, au détour d’une phrase, la coopération exemplaire du gouvernement tchadien, en faisant parler M. Brody, avec « l’aide qu’il a toujours apportée à la justice internationale, la levée de l’immunité de Hissène Habré dès 2002, l’autorisation des victimes à consulter les archives de la DDS, celle accordée à la justice belge à enquêter sur son territoire, etc. Mais, c’est pour mieux rebondir et proférer des inexactitudes, preuve de sa mauvaise foi ou, tout au moins, d’une légèreté inexcusable.

« La télévision d’Etat tchadienne, qui s’est arrogé l’exclusivité de la couverture du procès de l’ancien président, affirme- t-il de manière péremptoire, a décidé de retransmettre les images en différé ». Une décision dont il dit qu’elle est « critiquée par des journalistes tchadiens qui redoutent des actes de “censure” ». Faux sur toute la ligne. Il suffit de se rapprocher des Chambres africaines extraordinaires, ou de la télévision nationale sénégalaise RTS, pour se rendre compte que les modalités de couverture du procès de Habré ont été définies selon des critères précis et qu’en aucune manière, la retransmission des images en différé ne résulte d’une décision d’une autorité quelconque.

Pour ce qui est de la « censure » redoutée par M. Boltanski, nous l’invitons bien volontiers au Tchad pour se rendre compte, de visu, du dynamisme et de la pluralité des titres qui paraissent dans notre pays. Avec très souvent des analyses et commentaires autrement plus critiques à notre égard que sa sortie malheureuse. Et qui, pourtant, ne sont pas allés aussi loin dans ce manque notoire et caractérisé de professionnalisme.

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