Le Royaume-Uni a décidé de devenir le premier pays non-musulman à lancer un emprunt public, d’une valeur de 234 millions d’euros, conforme aux principes du droit musulman. Une manière de faire profiter la City du boom de la finance islamique.

C’est une première pour un pays non-musulman. Le Royaume-Uni a annoncé, mardi 29 octobre, que le gouvernement allait émettre un “sukuk”, un titre financier conforme aux principes du droit musulman, afin de lever 200 millions de livres sterling (234 millions d’euros).

Une initiative qui vise à faire de la City “le centre incontesté de la finance islamique dans le monde occidental”, écrit George Osborne, le ministre des Finances dans le quotidien économique “Financial Times”. L’émission de ce premier “sukuk” doit être confirmée et précisée par le Premier ministre, David Cameron, lors du World Islamic Economic Forum (le Davos de la finance islamique) qui se tient à Londres du 29 octobre au 31 octobre.

Pour l’heure, Londres n’en est, en effet, encore qu’à la déclaration d’intention. Il manque un élément essentiel à ce “sukuk” : savoir à quel actif il va être adossé. Les principes du droit musulman interdisent aux produits financiers de générer des intérêts. Un “sukuk” doit donc s’appuyer sur un actif réel qui ne serait pas “haram” (illicite). Il peut ainsi s’agir d’un bien immobilier ou “d’un projet d’infrastructure comme la construction d’une autoroute qui permettrait à tous les investisseurs ayant souscrit au ‘sukuk’ d’en détenir une part”, précise à FRANCE 24 Kader Merbouh, directeur du master Principes et pratiques de la finance islamique à l’université Paris-Dauphine.

Redorer le blason de la City

Si les contours de cette initiative britannique doivent encore être précisés, elle n’en demeure pas moins “un signal fort pour les investisseurs du monde musulman”, assure Kader Merbouh. En ce sens, l’annonce du gouvernement Cameron est avant tout une opération de communication pour redorer le blason de la City, écorné par les scandales à répétition comme celui du Libor. “En s’ouvrant officiellement aux principes de la finance éthique, la City cherche, en partie, à se dédouaner aux yeux d’éventuels investisseurs de ses autres pratiques”, confirme Kader Merbouh.

Et pour Londres, les enjeux de cette opération de séduction sont importants. Le poids de la finance islamique a explosé depuis le début du XXIe siècle. “La valeur des ‘sukuk’ émis au niveau international est passé de 3,5 milliards de dollars [2,5 milliards d’euros] en 2003 à 44,8 milliards de dollars [32,5 milliards d’euros] en 2012”, rappelle le “Financial Times”.

La France dans le viseur

Mais on ne s’improvise pas “centre incontesté de la finance islamique dans le monde occidental” du jour au lendemain. Pour l’instant, les principales places européennes pour la finance islamique sont “dans l’ordre, la France, le Luxembourg, l’Allemagne et la Belgique”, rappelle Kader Merbouh.

Le Royaume-Uni, encore à la traîne, “essaie en fait de détourner l’attention des investisseurs du monde musulman des centres traditionnels en Europe continental”, estime cet expert. Une sorte de déclaration de guerre qui vise, donc, au premier chef Paris. “C’est une manière de pointer du doigt l’attentisme de la France en la matière et de dire ‘regardez, nous nous agissons’”, précise Kader Merbouh.

Pour lui, la vraie question est maintenant de savoir comment la France va réagir. L’universitaire souligne que l’Hexagone dispose d’indéniables avantages comme “l’expertise reconnue à l’étranger des banques françaises en matière de finance islamique, des actifs – notamment dans l’immobilier – de grande qualité et une importante communauté musulmane qui pourrait être intéressée par ce genre de placements.” Reste qu’il ne faut pas, d’après Kader Merbouh, se reposer sur ses lauriers et négliger l’importance, très bien comprise par Londres, du message politique pour créer de la confiance chez les éventuels investisseurs.

source:  france24