“Le fruit est mûr.” Tel est le mot de code donné par la France pour déclencher le coup d’Etat du 13 avril 1975 contre Ngarta Tombalbaye, 1er président de la République du Tchad, élu démocratiquement. Ainsi témoignait le colonel Nguéna Ressa aux obsèques du député général Ngartokété Tatola, pour disculper son frère d’arme sur les supputations contre lui, qui ont entourées la mort de Feu Tombalbaye.

On a grandi avec le général Ngartokété. D’abord nous avons été ensemble élève gendarme, puis sous-officier, ensuite on a passé deux ans ensemble en France pour sortir sous-lieutenant. Nous sommes rentrés au Tchad et le président avait dit qu’on n’avait pas de temps à perdre ici.” “Toi Ngartokété tu suis Kamougué à Abéché et toi Ressa tu vas à Mongo”, leur a instruit Tombalbaye dira-t-il. Par la suite Ngartokété a été appelé à N’Djaména auprès de Tombalbaye.

Les trois mousquetaires de Tombalbaye

Beaucoup de choses se disent sur le coup d’État contre Tombalbaye, mais nous sommes trois à connaître ce qui s’est réellement passé. Ngartokété, Saleh Biani et moi-même Ressa. Trois mois avant le coup d’État, Tombalbaye nous appelait tous les jours. Il suivait tout ce qui se passait de bout en bout. Et il nous disait qu’il y aura un coup d’Etat. Or les gens disent que ce sont les Tchadiens qui l’ont tué ce n’est pas vrai. Tombalbaye nous disait “les Français s’en prennent à moi, si demain je tombe ce sont les Français. Ce n’est pas parce que les Tchadiens ne veulent plus de moi’’. Il nous avait donné le code par lequel ils vont l’abattre : Le fruit est mûr !“, rapporte Ressa.

Il nous disait “quand vous entendrez dire le fruit est mûr, ça veut dire que les Français sont prêts à m’abattre”. Il nous a dit qu’il est temps qu’il aille pleurer son frère Mitta le chef de canton de Bodo (province du Logone oriental). Puis il est allé à Bodo en disant : “Ma moy da yom a totite yo kindja”, entendez “A ma mort, ma dépouille sera comme celle d’un poulet abandonné”. Donc tous les trois proches du président, Saleh Biani, Ngartokété et moi nous avons retenu le fruit est mûr, et trois mois avant le coup d’Etat, on suivait de près ce qui devait arriver. Un mois avant le coup, des militaires français sont arrivés au camp du but. Ils voulaient entrer puis ont fait demi-tour en disant le fruit est mûr. On ne sait pas qui l’a rapporté au président mais Ngartokété et moi étions informés que le fruit est mûr est déjà tombé.

“Le coup d’Etat contre Tombalbaye, Ngartokété n’y est pour rien. Lorsque les premiers coups de feu ont retenti, le général Odingar m’a demandé d’où venaient les tirs, et est-ce qu’on avait donné l’ordre de tirer ? Je lui ai dit non. Puis je l’ai dit cela vient de la villa du président. Il m’a dit je fonce là-bas, tu me suis. Entre temps on m’a déplacé du camp de la gendarmerie pour me loger en face de l’église Kabalaye. Le temps que les gendarmes viennent me récupérer et suivre le général Odingar, c’était déjà un peu tard. Quand je suis arrivé, Ngartokété avait été intercepté par le Français Gouvernec. Ce dernier m’a dit que c’est un coup d’Etat et que ce sont les nôtres qui sont en train de tirer. J’ai donc laissé mes éléments à Ngartokété et suis reparti chercher du renfort. Ngartokété a essayé de contourner la cité de l’Ocam par le fleuve pour aller secourir le président. A mon retour quand j’ai tenté d’entrer par la voie principale, les éléments qui étaient là m’ont dit que c’est trop tard. Je leur ai rétorqué que non, Ngartokété doit être déjà auprès du président puisqu’il était passé par le fleuve, donc il y avait de l’espoir. Mais pour accéder à la villa, il fallait connaitre les signes conventionnels avec les éléments de la compagnie Gazelle qui assurait la sécurité. Une fois le ok d’entrer m’a été donné et que je me suis engagé, Ngartokété, avec les éléments de la gendarmerie, sort du côté du fleuve et marche vers ma direction. J’ai aussitôt donné l’ordre au chef de la garde de ne pas tirer sur lui. Dès que le président a vu Ngartokété venir vers lui, il est sorti en demandant de ne pas tirer sur son aide de camp. Or il y avait un militaire derrière Ngartokété qui a vu le président sortir et l’a abattu d’un coup. Pour certains, j’étais venu pour sauver Ngartokété une fois qu’il aurait abattu le président c’est faux ! Ngartokété n’a jamais été complice de ceux qui ont accepté de tuer le président Tombalbaye (…)

Ainsi témoignait le colonel Nguena Ressa, le 23 mars 2021.

Roy Moussa

Article paru dans le journal N’Djamena Hebdo N° 1929