Depuis l’engagement de ses troupes dans le conflit malien, Idriss Deby a gagné une nouvelle stature sur la scène politique africaine mais aussi internationale. L’appui du président tchadien à la France ne s’est pas fait sans contrepartie. Éclairages.

Idriss Deby est en première ligne depuis le début de la guerre au Mali. Le président tchadien a tiré avantage du conflit pour se repositionner sur la scène politique internationale et africaine. Le Tchad est un poids lourd sur le champ de bataille du massif des Ifoghas, dans le nord malien, où son retranchés les groupes armés terroristes.

Ses hommes, au nombre de 2500, combattent en première ligne aux côtés des soldats français. Ils se sont particulièrement fait remarquer pour leur efficacité lors des combats contre les anciens maîtres du nord-Mali. En quelques semaines, les forces tchadiennes sont devenues incontournables dans le conflit malien.

L’engagement du président tchadien dans la guerre au Mali s’apparente d’avantage à une opération de communication savamment millimétrée qu’une stratégie militaire. D’ailleurs, il a annoncé après seulement quelques semaines de combats que les troupes tchadiennes ont tué le chef d’Al-Qaïda Au Maghreb islamique Abou Zeid ainsi que Mokhtar Belmokhtar, chef du mouvement des Signataires du sang, qui a revendiqué la prise d’otage d’In Amenas, en Algérie.

Discours marquant à Yamoussoukro

Une information pour le moment toujours pas confirmée par la France mais dont Idriss Deby a largement su tirer profit pour faire sa propre promotion sur la scène internationale. Une attitude qui arrange dans le même temps Paris qui a préféré prendre de la distance face à l’éventuelle mort des deux dirigeants terroristes pour préserver la vie de ses otages dans le Sahel.

L’objectif pour Idriss Deby est aussi de montrer que les troupes tchadiennes sont les seules troupes africaines à être opérationnelles face aux groupes armés terroristes. Il a d’ailleurs marqué les esprits lors de son discours virulent à l’encontre de ses homologues ouest-africains au sommet de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à Yamoussoukro, la capitale politique ivoirienne, exigeant l’accélération du déploiement des troupes de l’organisation sur le champ de bataille, appelant aussi les soldats maliens à aller se battre au front. « L’heure n’est plus aux discours (…) mais plutôt à l’action, l’ennemi n’attend pas », a déclaré le dirigeant tchadien.

Nouvelle icône à Bamako

Un discours qui a séduit à Bamako. Au Mali, en effet, la côte de popularité du chef d’Etat tchadien est en nette hausse. « Les Maliens voient aujourd’hui Idriss Deby en sauveur et comme le seul dirigeant africain qui a eu le courage d’envoyer ses soldats risquer leur vie pour eux », explique Sadoum Bocoum journaliste au quotidien indépendant Mutations. « Beaucoup se demandent même pourquoi ce n’est pas lui qui dirige la Cedeao et pourquoi le Mali n’a pas un chef d’Etat comme lui. »

Idriss Deby s’est aussi engagé au Mali pour des raisons de politique intérieure. En envoyant ses meilleurs éléments au front, les soldats d’élites du pays, « le dirigeant tchadien se débarrasse ainsi des troublions pour un éventuel coup d’Etat », analyse cet ex-colonel de l’armée française, joint par Afrik.com.

L’entente entre Deby et Paris

La France, qui connaît l’efficacité des soldats tchadiens, a bien évidemment poussé le dirigeant à envoyer ses troupes au front. Elle voulait aussi de cette façon éviter d’être la seule force dans le nord-Mali, craignant d’être pointée du doigt pour interventionnisme en tant qu’ex-puissance coloniale. La présence des militaires tchadiens au Mali symbolise ainsi l’Afrique sur le champ de bataille.

Une opération à double tranchant. Idriss Deby n’a pas accepté la requête de Paris sans contrepartie. De multiples associations en France, telles que Survie, qui lutte contre la Françafrique, très critiques envers le régime du chef d’Etat tchadien, estime « qu’en s’engageant au Mali, Idriss Déby a négocié une contrepartie politique pour que la France fasse taire les voix qui s’élèvent contre son régime répressif. Depuis 2008, Ibni Oumar Mahamet Saleh, leader du Parti pour la liberté et le développement (PLD), a disparu à N’Djamena après avoir été arrêté par les autorités tchadiennes. Justice n’a toujours pas été faite ».

Le dirigeant tchadien amnistié par la France ?

Pour l’association, « c’est une opération de blanchiment que la France a mené envers le président tchadien ». En l’espace de quelques semaines, selon Survie, « Idriss Deby revient ainsi au centre des questions régionales. Pour lui, le but est de démontrer que le fait qu’il soit au pouvoir est un gage de stabilité dans la région. Avant c’était Kadhafi qui jouait ce rôle maintenant la France veut le remplacer par Deby ».

En engageant des troupes au Mali, « celui qui pendant longtemps n’était pas fréquentable le redevient », renchérit l’association. Par ailleurs, elle rappelle que les soldats tchadiens qui sont loués depuis le début de la guerre au Mali pour leur efficacité sont accusés d’avoir commis de multiples exactions dans le nord-ouest de la Centrafrique en 2008. Selon Human Rights Watch, ils ont commis des attaques dans les villages de cette zone, tuant des civils et volant du bétail.

Depuis 2010, le président Deby a entrepris une opération de nettoyage de l’armée pour évincer « les brebis galeuses et fossoyeurs de l’armée qui doivent rendre le béret et les insignes militaires avant la fin des opérations », afin de « rétablir l’ordre et la discipline ». Effet d’annonce ou mesure concrète ? Il est encore trop tôt pour le dire.

Surce : Afrik.com