Au vu de la grève des magistrats qui perdure depuis plus de trois semaines, les conditions de vie des prisonniers et autres justiciables se dégradent chaque jour du fait de la vacance de la justice. Une situation que déplorent les avocats et huissiers.
Près d’un mois que les magistrats sont en grève, revendiquant les meilleures conditions de travail, surtout pour demander plus de sécurité dans l’exercice de leur fonction. Cette grève a paralysé complètement tout l’appareil judiciaire. Malgré qu’ils soient reçus le 5 avril dernier par le président du Conseil militaire de transition, rien n’a changé pour le moment. Certes, lors de l’assemblée générale de ce vendredi, les bureaux des deux syndicats des magistrats ont décidé de la levée de la grève mais la base n’en veut pas. Une situation qui impacte considérablement la vie des détenus et des justiciables.
Sur le plan pénal, surtout pour certains détenus préventifs des maisons d’arrêt, le principe du droit qui est la présomption d’innocence est foulé au pied. Car beaucoup de personnes détenues provisoirement à la maison d’arrêt afin que la justice puisse faire la lumière et établir ou non leur culpabilité sont restées des semaines en prison pour des raisons de grève des magistrats, qui, partant, paralyse toute l’administration judiciaire. « Des personnes sont abusivement détenues préventivement donc la justice se retrouve en porte-à-faux du sacro-saint principe de présomption d’innocence, surtout que dans notre code de procédure pénale, la détention préventive est limitée dans un laps de temps durant lequel une décision est censée intervenir sinon on se retrouve en train de fouler au pied les règles de procédure qui sont d’ordre public », explique Frédéric Nanadjingué, avocat au barreau du Tchad et président l’Association des jeune avocats du Tchad (Ujat).
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D’autres personnes qui ont fini, elles, de purger leur peine, sont aussi restées en détention illégalement. « De ce fait, l’on est en droit de s’interroger sur la situation de tous ceux qui sont innocents mais détenus préventivement jusqu’à ce jour car ne sachant quand est-ce qu’ils seront situés sur leur sort. Ce qui est lamentable », s’emporte Me Djerandi Laguerre Dionro, président de l’ordre des avocats du Tchad.
« La justice est au cœur de ce qu’on appel un Etat de droit mais aujourd’hui, la justice qui est même le pilier de cet Etat de droit est grippée », se désole Me Frédéric Nanadjingué. A la Maison d’arrêt de Klessoum par exemple, des détenus préventifs s’interrogent sans réponse sur leur sort car ne sachant quand est-ce que les magistrats reprendront service afin de les situer sur leur sort. « On se demande ce qui est du sort des autres détenus dans les commissariats de police ou même à la coordination de la police judiciaire. Aussi, ce temps de vacance de la justice ouvre la porte à certaines personnes de se faire justice elles-mêmes sachant qu’avant, notre justice n’est pas aussi solide comme dans les pays dits de droit », craint Me Djerandi Laguerre Dionro. Pour lui, leurs clients qui ont affaire à la justice ne savent quel lendemain leur est réservé et ceux dont l’affaire est pendante croupissent en prison contre leur gré alors qu’ils peuvent être innocents.
Les huissiers quant à eux, informent aussi être dans le désarroi car pour eux, sans la justice, leur activité est au point mort. « La justice est une chaîne. Aujourd’hui, nous nous retrouvons presque sans activité puisqu’il n’y a aucune décision de justice à exécuter par les huissiers que nous sommes. Et les impôts nous acculent de l’autre côté bien qu’un citoyen doit payer les impôts mais pas sans activité », se lamente Me Eldjimbaye Mbaïhoudou Elysée, président de la Chambre nationale des huissiers du Tchad.