Sortie de l’Ecole Nationale d’Administration de Niamey (Niger), à défaut de se faire une place à la Fonction publique, Fansou s’est converti en éleveur de porcs. Depuis deux ans, il dirige le comité national pour l’indemnisation des porcs abattus.

« Après mon retour de Niamey, je me suis battu, en vain, pour mon intégration à la Fonction publique. J’ai alors décidé de prêter mon service à un cabinet d’expertise ainsi qu’à un responsable d’un hôtel de N’Djaména. Mais j’ai vite réalisé que mes patrons avaient opté pour l’exploitation de l’homme par l’homme. Je me suis replié à Bongor pour faire l’élevage des procs et pratiquer la culture
maraîchère», confie Fansou Nagamsou, jeune diplômé. Les choses allaient mieux marcher si la Peste Porcine Africaine (PPA) ne s’était pas infiltrée à Bongor par le Cameroun voisin. Svelte, un front dévoré par une calvitie précoce, la trentaine accomplie, Fansou Nagamsou n’est pas du genre à se laisser faire. Le verbe tranchant, toujours en quête de vérité, ce jeune Massa est un épris de justice. Son entourage le sait combatif et fier de ses parents. L’amitié a un prix à ses yeux. Sur le plan intellectuel, il fait partie des rares jeunes de Yamtchonga (un quartier situé au Nordouest, à l’encablure de Bongor) à pousser plus loin les études. De l’école Pilote (1982-1989) au Lycée Jacques Moudeïna (1990-1997), Fansou s’est montré toujours assidu. Entré au Grand Séminaire St-Luc de Bakara en 1998, il suivra les cours de théologie et de philosophie avec beaucoup d’intérêt, au point où ses condisciples l’ont surnommé Ratzinger, du nom de l’ex patron du département Vatican de la Doctrine de la foi, devenu aujourd’hui le pape Benoît XVI. Mais quelques années, il abandonne son parcours sacerdotal pour se donner une nouvelle orientation.

Les portes de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) de Niamey, s’ouvrent à lui pour des études professionnelles. « Diplômé de l’ENA, option Trésor, je suis retourné heureux pour servir mon pays. Mais j’ai été déçu par la réalité : l’intégration à la fonction publique était devenue sélective. Issu de parents paysans, n’ayant pas d’argent pour monnayer l’intégration comme certains collègues, j’ai frappé à la porte d’un cabinet privé pour exercer en qualité d’inspecteur comptable. Après un an et demi de travail, j’ai quitté l’entreprise pour faire une autre mésaventure à Santana Hôtel. Comme mes patrons m’exploitaient, je me suis dit que la meilleure manière pour vivre, c’est de retourner au village », confie t-il. A Bongor, Fansou s’est consacré à l’élevage des porcs, à la culture maraîchère et la riziculture. Pour plus d’efficacité, il a mis son intelligence au service de sa communauté locale en créant un groupement d’élevage de porcs, réunissant une dizaine de personnes. Tout allait mieux jusqu’au jour où la Peste porcine africaine, devenue endémique au Cameroun, depuis une vingtaine d’années, s’est infiltrée à Bongor. L’ordre a été donné aux agents d’Elevage d’abattre tous les porcs. Des sept (7) régions du Tchad victimes de la PPA, 164.510 porcs ont été abattus. « Je pensais réussir ma vie à travers l’élevage des porcs, mais voilà qu’ils sont venus les abattre tous. Je me suis posé beaucoup de questions : n’ai-je pas le droit de vivre ? Pourquoi rien ne marche de mon côté ? A l’exemple Mohamed Bouazizi (Ndlr: le jeune marchand Tunisien qui s’est immolé par le feu à Sidi Bouazid), je pouvais me donner la mort, mais j’ai réalisé qu’il fallait s’armer de courage pour faire face à la force du mal, en luttant contre l’injustice dont l’Etat tchadien en est le responsable. C’est ainsi que j’ai réuni autour de moi d’autres éleveurs pour créer le Comité National de Défense des Intérêts des Porciculteurs du Tchad (CNDIP)».

A la tête de ce Comité de défense, Fansou Nagamsou  parcourt les sept (7) régions du Tchad touchées par l’abattage des porcs. Basé à Bongor, il ne cesse de faire des va-et-vient à N’Djaména pour expliquer aux élites, aux intellectuels et au Gouvernement les biens fondés de l’indemnisation des milliers de familles victimes. « Nous attendons de l’Etat une bagatelle de 5 milliards, mais en juin dernier, le Premier ministre a ordonné un versement de 300 millions francs CFA en guise d’avance sur l’indemnisation. La lutte n’est pas terminée, car l’élevage des porcs est une activité vitale. Des milliers de familles comptent sur cet argent pour reconstituer leur élevage », explique Fansou. « La cause que je défends est noble. Car, c’est à travers l’élevage et la vente des porcs que beaucoup de pauvres, au sud du Tchad, nourrissent leurs familles, soignent et inscrivent leurs enfants à l’école », confie ce jeune intellectuel qui prône le retour à la terre, comme pour réconcilier le rationnel et l’irrationnel, le réel et l’irréel, ou encore la théorie de l’école des Blancs à la pratique (vécu quotidien).

Patrick Saint-Krespel

Le Potentiel #76 disponible en téléchargement sur boutique.tchadinfos.com