BOGOR (Indonésie) – Bismillah! (Au nom d’Allah), lance la vendeuse en tranchant d’un coup sec la tête de la grenouille. Attrapé dans les marais infestés de moustiques d’Indonésie, l’animal finira sur une table à nappe blanche d’une brasserie chic parisienne.

L’Indonésie est le premier exportateur au monde de grenouilles et fournit 80% de ce qui est importé en Europe. Mais la consommation intérieure représente de deux à sept fois plus, selon les estimations, car les Indonésiens eux aussi en sont friands.

Pour Sri Mulyani, vendeuse de grenouilles de 41 ans, c’est du pain bénit.

Aux petites heures du matin dans le marché de Bogor, près de Jakarta, Sri Mulyani arrache la peau des grenouilles, plonge ses doigts dans la chair visqueuse pour en extraire les viscères avant de jeter l’animal sur une impressionnante pile de congénères tout aussi malchanceux.

Quand je suis écoeurée, je pense à l’argent que je me fais, lance-t-elle. La vendeuse et son mari Suwanto, chasseur de grenouilles, gagnent jusqu’à 500.000 roupies par jour (39 euros), une fortune quand on sait que le salaire minimum à Jakarta est d’environ 170 euros par mois.

Je chasse la grenouille depuis 1992, raconte à l’AFP Suwanto qui, comme beaucoup d’Indonésiens, n’a qu’un seul nom. Et mon père était également chasseur.

Suwanto, 48 ans, n’a pas loin à aller pour trouver son gagne-pain. Derrière sa maison, s’étendent à perte de vues rizières et marécages. Ainsi, tous les soirs vers 20h00, quand la nuit est suffisamment noire, il part à la traque avec un groupe d’amis.

Pieds nus dans la vase, les chasseurs avancent lentement et en silence, pour ne pas effrayer leurs proies. La faible lueur de leur lampe de mineur est la seule à percer un tant soit peu la noirceur totale mais leurs yeux habitués n’ont pas de mal à distinguer les animaux.

En quelques coups de leurs épuisettes, ils capturent des dizaines de grenouilles dans des endroits où l’oeil non avisé n’aurait vu que de la vase.

Quand ils rentreront vers 1h00 du matin, le petit groupe aura capturé de 50 à 70 kilos de grenouilles. Et ce toutes les nuits.

A ce rythme-là, la population pourrait bien être vite décimée, avertissent les écologistes.

Nous craignons qu’au fil des années, la population de grenouilles ne s’effondre, avertit Sandra Altherr de l’organisation allemande Pro Wildlife, qui a diffusé l’an dernier un rapport alarmant sur la situation.

Si les grenouilles venaient à disparaître, ce serait l’ensemble de l’écosystème qui en souffrirait, le batracien étant essentiel pour empêcher la prolifération des animaux nuisibles.

L’histoire devrait servir de leçon, lance-t-elle.

La France, qui consomme 80 millions de grenouilles par an, avait réagi aux risques d’extinction de l’espèce en interdisant en 1980 la chasse commerciale.

L’Inde et le Bangladesh ont alors pris le relais mais ces deux pays ont eux aussi dû interdire la chasse à la fin des années 80. L’Indonésie a alors saisi l’opportunité.

C’est que la chasse aux grenouilles avait déjà cours depuis longtemps dans l’immense archipel au climat équatorial, où l’animal est largement apprécié, au moins par l’importante minorité indonésienne d’origine chinoise.

La majorité musulmane, elle, rechigne à manger des grenouilles, en vertu d’une croyance qui veut que l’animal soit haram (interdit par le Coran).

Ferdian Zhang, Indo-Chinois de 37 ans, vient ainsi tous les matins faire son marché à Bogor, pour approvisionner en cuisses de grenouilles son restaurant où le plat figure en haut du menu.

Elles vivent en pleine nature, comme des poulets bios. Le goût est sans pareil.

(©AFP / 03 mars 2013 06h10)