Le 13 avril 2025 marque le cinquantenaire de la mort de François Ngarta Tombalbaye, premier président de la République du Tchad et figure centrale de l’accession du pays à l’indépendance. Il fut assassiné lors d’un coup d’État militaire, mettant fin à 15 années de pouvoir exercé d’une main de plus en plus autoritaire.
Né en 1918 à Bessada, dans la région de l’ancien Moyen-Chari, Tombalbaye est d’abord instituteur et militant syndicaliste. En 1947, il cofonde le Parti Progressiste tchadien (PPT), section locale du Rassemblement Démocratique africain (RDA). Son ascension politique est rapide : conseiller territorial en 1952, vice-président du Grand Conseil de l’Afrique-Équatoriale française en 1957, président du Conseil des ministres en 1959, il conduit les négociations avec la France qui mènent à l’indépendance du Tchad, proclamée le 11 août 1960. Il devient le premier président de la République le 12 août de la même année.
Dès 1962, Tombalbaye concentre les pouvoirs en dissolvant l’Assemblée et en assurant la présidence du gouvernement, dans un contexte de tensions croissantes au nord et à l’est du pays. Après une brève période d’apaisement en 1964, il opte pour une politique de fermeté dès 1965, face à l’intensification des révoltes armées. L’implication du Soudan et de la Libye dans le soutien aux insurgés conduit à une détérioration des relations régionales.
En 1968, il sollicite l’appui militaire de la France pour réprimer la rébellion au Tibesti. Réélu en 1969, il se fait octroyer les pleins pouvoirs, instaurant un régime autoritaire. En 1972, il rompt avec la France et Israël, et se rapproche du Soudan, de la Libye et des États-Unis.
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S’inspirant de la politique d’« authenticité » du président zaïrois Mobutu, il initie une révolution culturelle visant à valoriser les traditions africaines. Il change son prénom François pour Ngarta, rebaptise la capitale Fort-Lamy en N’Djamena, impose des rites initiatiques traditionnels (yondo) aux fonctionnaires, et transforme le PPT en Mouvement national pour la révolution culturelle et sociale (MNRCS). Ces mesures, imposées de manière autoritaire, suscitent de vives oppositions, notamment parmi les chrétiens du sud, jusque-là soutiens du régime.
L’arrestation du chef d’état-major, le général Félix Malloum, et d’autres figures influentes du régime achève d’aliéner une large frange de la société. Le 13 avril 1975, un soulèvement militaire met brutalement fin à son règne. Tombalbaye meurt dans les premières heures du putsch. Sa disparition suscite alors peu de regrets parmi ses concitoyens.
Un héritage contrasté mais fondateur
Pour la majorité des Tchadiens âgés de moins de 50 ans, Ngarta Tombalbaye n’est qu’une figure historique, connue à travers les récits, les journaux ou les témoignages de leurs aînés. Pourtant, au-delà des critiques, son passage à la tête de l’État tchadien laisse un héritage indélébile.
Père de l’indépendance
Acteur de premier plan dans la lutte pour la décolonisation, Tombalbaye demeure le symbole de la souveraineté retrouvée. Il fut l’architecte des premières institutions du Tchad indépendant et un pionnier de la scène politique post-coloniale.
Volonté d’unité nationale
Dans un pays marqué par de profondes fractures régionales, ethniques et religieuses, il s’est efforcé, parfois maladroitement, de bâtir un État unitaire. Il a promu un système scolaire nationalisé, convaincu que l’éducation était un vecteur d’unité et de modernité.
Promotion de l’identité africaine
Son projet de « tchaditude », bien que controversé, visait à affranchir le pays des symboles coloniaux et à revaloriser les cultures locales. Il s’inscrit dans la mouvance panafricaine des années 1970, influencée par des leaders comme Mobutu (ancien président du Zaïre, actuel RDC).
Symbole de souveraineté et d’ouverture
Durant son mandat, plusieurs institutions étatiques voient le jour. Il dote le pays de symboles forts et renforce sa présence sur la scène diplomatique, notamment au sein de l’Organisation de l’unité africaine (OUA).
Ngarta Tombalbaye reste une figure complexe, à la fois père fondateur et dirigeant contesté. Cinquante ans après sa mort, il incarne toujours les tensions inhérentes à la construction d’un État postcolonial : entre autorité et modernisation, entre tradition et rupture. Son souvenir, pour les générations futures, demeure une page essentielle de l’histoire politique du Tchad.