D’aucuns se souviennent, d’autres non. Mais tous ont à l’esprit la prise du pouvoir par le mouvement politico-militaire MPS le 1er décembre 1990. Si cette date est commémorée chaque année en grande pompe, celle du 4 décembre 1990  est passée sous silence.  Rétrospective… 

Si le peuple tchadien mémorise cette fameuse phrase de ‘’je ne vous apporte ni or ni argent mais la liberté », il ne se rappelle pas de la date à laquelle cette phrase à l’allure démocratique et énigmatique a été prononcée.

Après l’entrée triomphale des éléments du Mouvement patriotique du Salut à N’Djamena, le 1er décembre, c’était le 4 décembre 1990, que le colonel Idriss Deby, avait été désigné président du Conseil d’Etat, donc chef de l’Etat tchadien. C’était ce même jour qu’il avait prononcé son premier discours en tant que nouvel homme fort du Tchad. Dans ce premier exercice portant la marque présidentielle, Idriss Deby, puisque c’était ainsi qu’il s’appelait entre temps, avait fait jubiler les Tchadiens par un passage de son discours devenu célèbre : « Le plaisir est immense pour tous les combattants des forces patriotiques d’avoir contribué à l’éclosion du cadeau le plus cher que vous espériez. Ce cadeau est ni or ni argent : c’est la liberté ! »

Cette déclaration qui semblait vraisemblablement être adaptée au contexte dans lequel les Tchadiens vivaient sous le règne de Habré avait tout son sens.  La liberté, effectivement, le peuple en avait besoin et, l’accorder ne peut que raviver les cœurs. La liberté, elle vaut mille mots. Et le défunt président guinéen, Sékou Touré, l’avait si bien confirmé : ‘’nous préférons la liberté dans la pauvreté que l’opulence dans l’esclavagisme.’’ C’est dire que la liberté est la valeur cardinale qu’incarne la vie humaine. L’homme a besoin de vivre libre, loin des contraintes qu’impose la nature ou la société. Car, à l’essence, il est né libre. L’homme doit jouir de sa liberté : s’exprimer, voyager, manifester sa joie ou son mécontentement, se suicider, etc. Mais toutes les libertés ne sont pas permises parce qu’allant à l’encontre des règles de la société.

Deby aurait-il paraphrasé la Bible ?

En parcourant la Bible, un de ses passages ressemble fort bien à celui que Deby a utilisé. En fait, dans Actes des apôtres 3 verset 6, il est écrit ceci : « Je n’ai ni argent ni or, mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche ! » Deby serait-il inspiré de cette parole de Pierre pour prétendre apporter la liberté au peuple tchadien ? Toutefois, entre ces déclarations, il faut souligner le caractère d’autorité et d’affirmation. Pierre avait parlé avec autorité, conviction, assurance. Et sa parole avait eu effet immédiat : l’homme infirme s’est levé pour marcher. Tandis que la parole de Deby n’est qu’une déclaration. Et comme l’homme change selon ses humeurs, au fur et à mesure, Deby change, oubliant par moment son discours très démocratique du 4 décembre 1990.  « Je n’hésiterai pas à frapper si cela s’avère nécessaire », a dit ce même Deby lors de la commémoration de la journée du 1er décembre 2018. Ça aussi c’est la liberté.

28 ans après ?

28 ans après, Deby croit toujours en cette liberté, celle de décembre 1990. Si dans la même année, il avait dit aux journalistes lors d’une conférence de presse ‘’écrivez comme vous voulez’’, il le réitère en 2018 en disant ‘’J’accepte qu’on me traîne dans la boue, si les journaux pensent que cela leur permet de se vendre, et que économiquement c’est rentable, je l’autorise. Critiquer le régime, c’est normal.’’ Cependant, 28 ans après, le régime de Deby fait l’objet de critiques acerbes de la part des organisations de la société civile, des partis politiques, des ONG en matière de respect des droits de l’Homme. «Du côté des droits de l’homme, nous notons un grand recul, surtout avec l’institution de la IVème République, où beaucoup d’ordonnances liberticides ont été publiées, alors que le fondement de la IVème République prône le développement à la base », déclare Banadji Boguel Purus, président du Collectif des Associations de Défense des Droits de l’Homme. Même si la célèbre phrase de Deby de 1990 est de l’euphémisme, le peuple reste libre car il croit en la liberté.