EDITOEn inaugurant jeudi 2 février une ambassade à Tel-Aviv, Mahamat Idriss Déby n’a fait que parachever l’entreprise entamée par son prédécesseur, le défunt président Idriss Deby Itno. A Paris ce mardi 7 février, le président de transition est allé étrenner son statut d’élément incontournable pour la France au Sahel. Tel-Aviv, Paris, 2 terres promises.

Feu Idriss Déby Itno avait renoué (en 2 phases entre 2016 et 2019) les relations diplomatiques entre notre pays et Israël… Relations qui avaient été rompues en 1972. En inaugurant une ambassade tchadienne à Tel-Aviv ce jeudi 2 février, le président de transition tchadienne n’a fait que parachever l’entreprise entamée 6 ans plus tôt.

Dès la proclamation de son indépendance en 1960, le Tchad a reçu l’onction de reconnaissance de l’Etat hébreu et les 2 pays ont entamé des relations diplomatiques l’année suivante. Le tout ponctué par l’ouverture d’une ambassade israélienne à N’Djaména en 1962 et une visite officielle en Israël de François Tombalbaye en 1965.

Quelques années plus tard, la géopolitique très tendue de la région a mis fin à cette idylle diplomatique. Les prémices de la guerre du Kippour, exploitée politiquement par Mouammar Kadhafi, et la préservation des alliances africaines ont été préférées aux liens avec le pays dirigé à l’époque par « La dame de fer » Golda Meir.

Israël, terre promise ?

La stature internationale prise par Idriss Déby Itno au milieu des années 2010 a joué un rôle important dans le renouement des relations entre le Tchad et Israël. Ce dernier s’est intéressé à l’ancien président de la République (et par truchement au Tchad) en sollicitant une audience pour Doré Gold, le Directeur général du ministère israélien des Affaires étrangères de l’époque ; qui a été a reçu à Amdjarass le 14 juillet 2016. S’en sont suivies des visites de plusieurs délégations : sécurité, intelligence militaire, agriculture, etc. ; jusqu’à une visite officielle d’IDI entamée le 25 novembre 2018. En 2019 Benyamin Netanyahou, déjà Premier ministre, rendait la pareil au chef d’Etat tchadien en foulant le sol tchadien… pour officialiser les relations diplomatiques entre notre pays et le sien.

Quels sont les enjeux de ce rapprochement qui s’est accéléré avec l’ouverture d’une mission diplomatique tchadienne dans la capitale du pays de David Ben Gourion ?

Pour le Tchad, les raisons de cette opération diplomatique sont d’ordre marketing et militaire (équipement et renseignement) à l’instar des celles pour lesquelles l’ex-président tchadien avait accepté de renouer avec l’Etat hébreu. Le Tchad garde donc la même ligne et Mahamat Idriss Déby a mis un point d’honneur à remplir les engagements pris par son prédécesseur. « Il ne voulait pas du tout que lui soit reproché quoi que ce soit à ce niveau. Surtout que ces relations ne peuvent que nous renforcer sur le plan militaire, principale motivation de cette mission. » explique un conseiller du ministère des Affaires étrangères.

A Paris en terrain conquis

En off lundi, puis officiellement ce mardi, le Président de Transition a de nouveau rencontré Emmanuel Macron. Avec cette énième entrevue, la France souhaite démontrer à qui en doute encore que le Tchad est son principal atout dans le Sahel, ce Sahel qui petit à petit, mais inexorablement, lui tourne le dos au profit de l’adversaire russe (Serguei Lavrov était d’ailleurs en déplacement au Mali dans le même temps). A Paris, notre président joue sur du velour et il n’aura pas tort d’en profiter tant que les vents lui sont favorables. Il est fort à parier que les principaux de ses désidératas (comme le blocage du processus du Conseil Paix et Sécurité de l’UA en novembre dernier) seront assurés par ses parrains hexagonaux. Et vu la tournure délétère qu’empruntent les relations entre France d’une part et Burkina-Faso, Mali, RCA et Guinée pris individuellement d’autre part, la position de favoris de Déby aux yeux des Français a encore de beaux jours devant elle.

Après une décennie de décisions (et d’indécisions), d’atermoiements et d’erreurs de jugement de la part de la diplomatie et des forces armées (avec en point d’orgue et de confirmation de cette faillite diplomatique le retrait de l’Opération Sangaris en 2016), la France se retrouve aujourd’hui acculé « chez elle ». De la simple préservation du pré-carré historique français en Afrique, nous glissons tout doucement vers un affrontement (sur fond de guerre en Ukraine ?) entre la France et la Russie.

Oui, Mahamat Idriss Déby est à Paris comme un Zeus sur le mont Olympe. Ses désirs seront quasi exaucés. Macron et ses troupes feront par conséquent office de Curètes* afin de ne pas perdre la face dans ce qui est désormais une guerre d’influence contre Poutine.

Chérif Adoudou Artine

*Les Curètes > des dieux mineurs de la mythologie grecque. Ils sont connus pour avoir veillé sur Zeus lorsqu’il était bébé en protégeant sa grotte.