Le travail est un droit mais travailler astreint celui qui exerce un emploi à des obligations de résultats liés aux charges et compétences exigées par sa fonction. Au Tchad, près de 100 000 personnes, dont environ 56.000 civils et 40.000 agents des forces de sécurité, exercent un emploi rémunéré par le trésor public. Mais le plus grand employeur tchadien reste le privé qui emploie, environ 136.000 individus et, notamment le secteur informel dont l’effectif des employés, probablement le double du secteur public n’est pas facilement mesurable. Vu l’existence aléatoire des entreprises donc des emplois dans ce secteur…

Le travailleur est en droit d’attendre une juste rémunération de son travail et, au Tchad, le travail est régi par un code qui oblige l’employeur à respecter le droit du travailleur dont le principal reste son salaire. Mais le travailleur tchadien est-il vraiment à la hauteur de sa tâche ? L’enseignant, le médecin, l’ingénieur, le journaliste tchadien, peuvent-ils honnêtement revendiquer leurs compétences ? Les ouvriers et artisans tchadiens : menuisiers, charpentiers, maçons, mécaniciens satisfont-ils à la demande de leurs employeurs à travers leurs prestations ? La réponse globale à ces différentes interrogations est, malheureusement, un non sans appel parce que, au constat, la situation très grave condamne le Tchad à la lanterne rouge.

Les fonctionnaires de la République ne travaillent pas.

Ils végètent à longueur de journée, paressant, entassés comme des mouches dans des bureaux exigus et poussiéreux, les uns se torchant les narines, les autres jouant au solitaire sur des ordinateurs inutilisés et la plupart biturant comme des abeilles, de bureau en bureau en quête des bakchichs soutirés malhonnêtement aux particuliers pour des services ordinaires et banals qu’ils traînent à rendre ou qu’ils rendent mal, mais dont ils exigent d’être payés. Des chaînes d’escroquerie se constituent ainsi au sein des départements ministériels ou entre services de différents départements pour spolier au mieux le citoyen lambda, demandeur de service. Partout, même au trésor public, les 10% sont érigés en règle générale d’extorsion. Tel monsieur soutient que pour obtenir le déblocage des fonds destinés à son évacuation sanitaire en Tunisie, il a dû accepter de s’en faire soustraire 20%.Tel autre affirme qu’à la CNPS, on lui a «coupé» une tranche substantielle de ses indemnités de départ à la retraite. Au cadastre et aux domaines, pour l’accès à la propriété ; aux urgences à l’hôpital, aux examens dans les écoles, toutes catégories et tous niveaux confondus, la pratique de l’extorsion est devenue la règle mais le service régulier et de qualité l’exception. En réalité, la fonction publique est devenue un dépotoir à rébus de médiocres ou de fabrication de cancres ; car les compétences les plus pointues s’émoussent inévitablement dans ce milieu où la compétitivité et la recherche de l’excellence n’existent pas. Même si les résultats du fonctionnaire qui hante les bureaux ne sont pas directement mesurables, on est bien en droit de se demander quels résultats attendre de celui là qui ne travaille ou, en réalité, n’est physiquement à son lieu de travail que le quart du temps qui lui est exigé… Mais ailleurs, dans les domaines de l’éducation ou de la santé, la médiocrité des résultats est palpable pour ne pas dire révoltante.

Dans les domaines de la santé, de l’éducation ou des travaux publics, la médiocrité des résultats est révoltante

Dans l’éducation nationale, les résultats du bac 2012 sont éloquents par leur nullité : moins de 10% des 70.000 candidats au baccalauréat tchadien de cette année n’ont pu franchir la barre des 9/20 de moyenne exigée. Dans la santé, en dehors de statistiques récentes fiables, on peut soutenir que les taux de mortalité maternelle et de mortalité infantile dans les hôpitaux de la capitale ne militent pas en faveur des hommes et femmes qui travaillent pour la santé de leurs compatriotes. Le HGRN, l’hôpital de L’Amitié et même ou surtout le tout récent hôpital de la mère et de l’enfant sont des épouvantails pour malades que les nantis du régime fuient comme la peste, les abandonnant au tchadien lambda qui y joue à la roulotte russe. L’on prétextera la mauvaise qualité des plateaux techniques des hôpitaux tchadiens. Peut-être, mais quand les causes de décès sont les résultats de diagnostics mal posés, de négligences dans les soins apportés aux malades ou de mauvaises prescriptions médicales, ne doit- on pas s’interroger sur les compétences et la conscience professionnelle des médecins et autres personnels de santé ? Quand tel enfant soigné pour un paludisme décède des suites de la rougeole ; quand telle femme en travail souffre les affres des douleurs de l’enfantement devant des sages femmes et des matrones indifférentes et impassibles et finit par crever ou par perdre son enfant (des cas fréquents) ; quand une clinique perd régulièrement ses patients à la suite d’opérations banales comme celle de l’appendicite, le problème c’est le travail- leur et non la structure. Quant aux ingénieurs et architectes, bâtisseurs des édifices et infrastructures routières tchadiennes, la rapide dégradation des ouvrages qu’ils livrent : bâtiments scolaires, centres de santé, immeubles administratifs, stades, ponts, routes bitumées sont autant de preuves de la mauvaise qualité de leurs prestations.

Le constat de la médiocrité s’étend aux ouvriers et artisans tchadiens, tous secteurs confondus…

Mais le constat de la médiocrité s’étend aux ouvriers, techniciens et artisans tchadiens dont on a du mal à louer les performances. Sans se tromper, on peut affirmer que le Tchad n’a ni bons maçons, ni bons mécaniciens auto, ni bons tailleurs, ni bons menuisiers et encore moins des plombiers, carreleurs, électriciens à la hauteur de leur tâche. La plupart des ouvriers, techniciens et artisans tchadiens sont des tacherons qui fonctionnent dans un à peu près fort dommageable à leurs clients, exerçant leur travail dans la plus grande désinvolture doublée d’une malhonnêteté avérée et presque généralisée.

Résultat : le travail au Tchad est, sans conteste et presque dans tous les domaines, un travail au rabais. Et le marché du travail tchadien, s’il était ouvert à la compétition internationale verrait ses prestataires locaux exclus de l’offre aux profits d’étrangers plus compétents et plus consciencieux. Il faut tout de même reconnaître, non pas pour exonérer les travailleurs, que l’Etat est le premier responsable de cette situation. Par sa politique de la promotion de médiocres à tous les niveaux : produisant des ministres et hauts fonctionnaires du gouvernement dont la plupart ne répondent à aucun critère de compétence ; encourageant une politique de formation professionnelle au rabais dans tous les secteurs professionnels ; privilégiant le népotisme à la compétition dans l’accès aux postes de responsabilité et érigeant l’impunité en règle générale de gestion et de gouvernance. Mais par dessus tout, la faute la plus grave de l’Etat est l’absence réelle d’une politique de l’éducation et de manière singulière de formation emploi, visant à offrir, au marché du travail, à tous les niveaux et dans tous les secteurs, des personnes qualifiées, capables de prestations de qualité. Est-il nécessaire de rappeler que la meilleure politique de développement est celle qui privilégie la promotion des ressources humaines ? La Grèce, pays membre de l’Union Européenne frappée sévèrement par la crise économique, vient de décider la ré – forme de sa fonction publique avec, en prime la suppression de la garantie du travail à vie des fonctionnaires et le renvoi de 4.000 de ses travailleurs compromis dans une affaire de corruption. L’Etat tchadien devrait avoir le courage de faire un ménage au sein de la fonction publique et d’imposer aux travail – leurs, des mécanismes de mesure de leur efficacité, en mettant au centre les critères de compétence et de productivité. Les syndicalistes quant à eux devraient également réviser certaines dispositions du code du travail qui font la part belle au travailleur sans en exiger en contrepartie des obligations de résultats. Le Tchad s’en porterait peut être mieux et les Tchadiens plus compétitifs au plan national et international pourraient, enfin, avoir des raisons d’être fiers.

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