Alors qu’Européens et Américains attendent la position officielle de l’Union africaine vis-à-vis du Tchad, la « 2ème transition » a débuté avec un enjeu de taille : comment financer les recommandations du dialogue et le train de vie de l’Etat sur fond de défection éventuelle des partenaires financiers ?

Jouer les cassandres n’était pas la meilleure des postures ce samedi 8 octobre 2022, date qui a marqué la fin Dialogue national inclusif et souverain mais aussi le début de « la 2ème transition ». Tout simplement car nous ne savons pas vraiment vers quoi le Tchad se dirige. Nous pensons tous savoir… chacun allant de son interprétation de la situation et ses velléités (qu’elles soient personnelles ou collectives). Mais voilà, aucun ne peut prétendre dire ce qu’il se passera exactement. Que ce soit, et cela est imminent, avec l’Union africaine ou encore, dans un second temps, dans la gestion des affaires de notre pays.

La réaction de l’UA conditionnera (en partie et par syllogisme grossier) la marge de manœuvre de Mahamat Idriss Déby, de son entourage proche et de son nouveau premier ministre, Saleh Kebzabo pour remplir le cahier des charges que leur a livré le Dialogue. Rien que sur le plan politique ou institutionnel la tâche sera énorme et l’enveloppe d’exécution épaisse. La création d’un nouvel organe de gestion des élections, la mise en place d’une constituante pour la rédaction des 2 moutures (l’une unitaire et l’autre fédérale) d’une nouvelle constitution (la version 1996 modernisée), et l’organisation d’un référendum pour l’adoption de l’une des 2 seront, si les recommandations du DNIS sont prises en compte, les priorités du futur gouvernement.

« Pauvre et libre plutôt que riche et asservi »

La position de l’UA décidera également de la marge de manœuvre du nouveau président de transition vis-à-vis des problèmes domestiques du Tchad. Les recettes budgétaires faméliques (1 098 208 000 000 de FCFA en 2021), happées en totalité par les charges courantes de l’Etat (1 247 153 000 000 de FCFA en 2021), ne suffiront pas à maintenir à flot le bateau si des sanctions, autres qu’administratives, sont décidées à notre encontre. Nous vivrions alors une situation à la malienne que l’on pourrait décrire par cette célèbre phrase, « Pauvre et libre plutôt que riche et asservi », prêtée de manière apocryphe par l’opinion tchadienne à Hissein Habré mais qui est en fait issue du répertoire de Jean-Paul Sartre.

Mais au-delà de la posture bravache, quels leviers pourra activer le duo exécutif Déby-Kebzabo pour satisfaire une population souvent reléguée au second plan ? Car au-delà de l’aplomb démontré pour défier les « préoccupations » de l’Union européenne, la « réaffirmation des appels » de l’Union africaine et les « promesses de sanctions ciblées » de la commission des Affaires étrangères du sénat américain, il faudra assumer cet isolement diplomatique qui pointe son nez ; avec des prémisses constatées ce lundi 10 octobre lorsque seul le président du Nigéria a daigné faire le déplacement de N’Djaména. Le moins que l’on puisse dire est que la solidarité régionale prend du plomb dans l’aile.

Sans jouer les cassandres donc. Il faudra à Mahamat Idriss Déby faire preuve de beaucoup de tact pour créditer le Tchad de fonds empruntés (à des taux d’intérêt qui augmentent au fur et à mesure que la situation devient incertaine) dont il plus que jamais besoin. Dans cet exercice de recherche d’argent, il a une dernière carte sur laquelle il pourra s’appuyer : la carte Paris. Quelle que soient la position des uns et des autres sur la scène internationale, il est fort peu probable qu’Emmanuel Macron lâche Mahamat Idriss Déby, car c’est tout simplement un des derniers symboles de son « pré-carré » sahélien qui lui est encore dévoué.

Chérif Adoudou Artine