Entre la mise au pas des oppositions politiques, le noyautage de la société civile, le poker-menteur de Doha et le fatalisme de la population, cette transition nous mène tout droit vers la prolongation.

La date du Dialogue national inclusif (DNI) annoncée, les petites manœuvres refont surface. Dans la foulée, les pourparlers de Doha, mis entre parenthèse depuis mis juin, reprennent vie. Et chacun y va de ses spéculations afin d’exister (afin de monnayer ?) sur cet échiquier politique tchadien aussi bigarré qu’un troupeau de moutons indisciplinés. C’est la 3ème annonce depuis le mois de janvier 2022. Cela fait un peu fable d’Ésope… à la longue personne n’y croit plus. Et les jours, inexorablement, suivent leur cours sans que rien ne se passe.

La transition tchadienne de Mahamat Idriss Déby est telle un long fleuve tranquille. Coulant des jours paisibles. S’arc-boutant sur les acquis de l’ancien régime.

Il y a actuellement une sorte d’idylle haram avant la confirmation des noces entre l’occupant du Palais présidentiel et cette République braquée de ses textes fondamentaux. Nous assisterons alors à une sorte de halalisation de la relation hors constitution qui prévaut pour le moment. Nous y allons tout droit, ne nous vous inquiétez pas.

Apathie politique

Si ce général d’armée à la tête de notre pays avance à un rythme de sénateur c’est parce que les Tchadiens semblent avoir accepté cet état de fait. Là réside le problème fondamental. C’est ce niveau d’apathie politique, d’apathie patriotique… voir de manque d’amour propre qui est le nœud du problème.

Cette période que certains qualifient de “dernière chance pour le Tchad’’ se déroule… comment dire… elle va comme bat le pouls du cœur d’un nourrisson. Cette transition est calme, régulière, presque monitorée. Son électrocardiogramme est étrangement plat. (ndlr : ici nous sommes dans le champ sémantique de la cardiologie, du pacemaker, dont aurait bien besoin le Tchad).

Souvenez-vous de la 2ème transition politique de notre pays, celle allant de 1991 à 1996 (avec l’adoption de la Charte nationale). Durant ce lustre, le Tchad s’est réveillé au multipartisme et à la liberté d’expression, s’est ancré dans la liberté de la presse et les idées révolutionnaires, contre-révolutionnaires, conservatrices, fédéralistes et même africanistes fusaient de toute part. On sentait ce pays vivre, on sentait ses habitants soucieux d’être acteurs de leur vie et de l’avenir de leurs enfants, peser autant que possible dans le jeu politique. Les oppositions étaient imaginatives (à défaut d’argent), la société civile naissante se faisait entendre et pesait de tout son poids. Notamment pendant ce laps de temps qui a suivi l’assassinat, le 12 février 1992, de Maître Jospeh Béhidi, un des membres fondateurs de la Ligue tchadienne des droits de l’homme en 1991. Une période durant laquelle « l’activisme était synonyme de répression, de séquestration et de tuerie. » comme la décrivait un confrère. Malgré ce climat de terreur de l’après dictature il y avait une activité politico-sociale plus fournie que celle d’aujourd’hui. Au point que les manifestations incessantes ont fait vaciller le pouvoir naissant d’Idriss Déby, qui a été obligé de faire quelques concessions sur les droits de l’homme. Sans parler de la Conférence nationale souveraine qui débutera en février 1993.

« C’était une autre époque » diront certains. « On venait de nous enlever nos brides » renchériront d’autres pour expliquer ce militantisme tous azimuts du début des années 1990. En effet, mais à chaque période sa fronde. A chaque génération son combat et ses objectifs. Mais l’on se demande si le combat et les objectifs des Tchadiens de 2022, épuisés, paupérisés quasi déshumanisés, n’est pas juste de rester en vie tant que Dieu la leur accorde ?

Poker-menteur à Doha

A l’aune du mois d’août 2022, il ne semble y avoir plus aucun obstacle aux velléités de Mahamat Idriss Déby. Les principaux partis d’oppositions se sont rangés (reste quelques résistances ci et là, mais elles sont marginales) et la société civile (qui se démenait tant bien que mal) a été plombée par des défections mal venues. Ne reste plus que les Transformateurs comme opposition interne. Mais cette hétérogénéité politique qui souhaite être le grain de sable qui enraillera la machine Déby n’a-t-elle pas perdu de sa superbe depuis l’entrée au gouvernement (le 25 février dernier) de Djerassem le Bémadjiel, un proche du parti ? Ce même Le Bemadjiel qui aurait susurré à Succès Masra d’oublier ce destin présidentiel dont il rêve depuis 2018 et d’être enfin pragmatique. Il n’a pour autant pas changé sa posture face à ceux que ses partisans appellent « la junte au pouvoir ». Il demande toujours plus de clarté dans les règles du jeu qui le conduiront à participer (ou pas) à la grande messe politique tant attendue (pas par les Tchadiens, qui dans leur majorité s’en moquent complétement) par les chefs de partis et les cohortes qui composent leurs troupes. L’attitude intransigeante de Succès Masra est-elle un baroude d’honneur afin de garder la face, avant de finalement se ranger ou est-ce la continuation de ce combat politique tant médiatisé ?

Toujours au titre des oppositions, il y a ces fameux politico-militaires qui n’arrivent toujours pas à sceller un accord avec le gouvernement. Si ces pourparlers durent aussi longtemps, c’est parce qu’au moins un de ces mouvements armés représente une menace (intérieure et extérieure) pour le Conseil militaire de transition (CMT). Il s’agit du FACT (Front pour l’alternance et la concorde au Tchad) de Mahamat Mahdi Ali. Et c’est justement ce rapport de force entre les tenants du pouvoir et ceux qui cherchent à le leur arracher qui est à l’origine du poker-menteur qui rythme les pourparlers. Chacun campant sur ses positions… en scrutant, en attendant ( ???).

Le poker-menteur est un jeu de dés basé sur le bluff avec un parieur, qui mène la danse, et des receveurs, qui doivent lire dans ses intentions. Plus les joueurs sont nombreux, plus la partie devient intéressante (rappelons qu’il y a plus d’une cinquantaine de joueurs dans la partie qui se déroule au Qatar).

En conclusion, Doha ne produira aucun accord. Ou alors il accouchera d’un accord à rabais obtenu au forceps par l’hôte des pourparlers. Le Tchad aura juste perdu 6 mois de plus.

La question qui reviendra sur la table, et ce bien avant le 20 août 2022 (DNI ou pas), c’est la date officielle de la fin de la transition. Le 21 octobre 2022, les 18 mois que sont donnés Mahamat Idriss Déby et le CMT seront écoulés.