Depuis la semaine dernière, les internautes au Tchad ont recours aux réseaux privés virtuels (Vpn, de son acronyme en anglais) pour accéder à l’internet et aux réseaux sociaux. L’internet a été coupé dans les provinces, seule la capitale reste encore alimentée au moment où nous écrivons ces lignes. Ni le gouvernement, ni les compagnies de téléphonie mobile n’ont à ce jour commenté ou expliqué les raisons de cette énième censure en ligne ou cybercensure. Mais il apparait clairement qu’elle est liée aux évènements sanglants du marché « Champ de fils » et leur corollaire de messages de haine déferlés sur les réseaux sociaux, notamment WhatsApp.

Pour déjouer la censure, les journalistes, blogueurs et autres citoyens ont réactivé ou réinstallé des Vpn sur leurs smartphones. La fièvre des réseaux sociaux qui s’est emparée des Tchadiens ces dernières années, a eu plus d’avantages que d’inconvénients. Nonobstant ces messages de haine distillés ici et là par quelques pyromanes, les réseaux sociaux sont clairement devenus une alternative aux media traditionnels. Au lieu des informations trop souvent censurées, tronquées, orientées ou même inexistantes véhiculées par ces media, notamment publics, l’internet joue, d’une part, un rôle essentiel dans le partage et la circulation d’une information certes brute, mais vraie. Les jeunes utilisent les réseaux sociaux et les blogs pour donner la riposte au discours officiel. D’autre part, l’internet sert aux échanges de savoirs, touche tous les domaines : loisirs, éducation, santé, agriculture, humanitaire, etc.

Au moment où des pays comme l’Inde sont très présents dans la télémédecine avec un Réseau panafricain des services en ligne qu’elle finance à hauteur de dizaines de millions de dollars, reliant par satellite des hôpitaux et facultés de médecine dans 53 pays africains à des centres de médecine indiens et permettant aux partenaires africains de bénéficier des formations et du savoir-faire indien en matière de santé, il est inconcevable que chez nous, on choisisse de ramer à contrecourant dans un monde de plus en plus numérisé. C’est une attitude anachronique, regrettable.

Si les autorités croient ainsi étouffer toute utilisation abusive des réseaux sociaux aux fins de protestation, elles se gourent. La cybercensure a des répercussions négatives sur la vie des Tchadiens, le profit des entreprises (des télécommunications, gros contributeurs au fisc), notre produit intérieur brut et notre compétitivité. Elle nous coûte cher, tant démocratiquement qu’économiquement ; et il est sage de ne pas y recourir pour mettre le couvercle sur les velléités de contestations ou de manifestations, et en période électorale.

Avec la précédente censure qui a duré plus d’un an, le Tchad apparait sans conteste comme l’un des pires Etats censeurs en Afrique. A cette allure, la cybercensure risque de devenir la règle. Pourtant, elle n’a jamais été la solution. Couper l’internet est une grosse erreur, cela produit toujours l’effet inverse, les gens trouvent toujours les moyens de le contourner. La cybercensure encourage à contrario la rumeur, amplifie les «fake news», n’arrête pas le déluge des contenus haineux sur le web. Il faut prendre des mesures pour encourager la modération des contenus sociaux.

Si des individus, parfois bien identifiés, utilisent les réseaux sociaux à des desseins macabres, ils doivent répondre de leurs actes devant la justice. Les arsenaux sécuritaire et juridique sont là à cet effet. La force doit revenir à la loi, la justice doit s’appliquer en lieu et place de l’impunité. C’est aussi simple que ça, au lieu de brimer les droits du plus grand nombre de consommateurs à cause des bêtises d’une minorité.

User de temps à autre le bâton de la répression, mais il faut également travailler en amont sur le terrain de la sensibilisation. Car aujourd’hui, les valeurs civiques, patriotiques ont déserté notre pays et les jeunes n’ont aucun repère moral.

Enfin, le gouvernement gagnerait mieux à lutter contre l’impunité, les injustices et la mal-gouvernance qui constituent autant de terreaux fertiles aux exaspérations et contestations exprimées sur les réseaux sociaux. Voilà la solution, meilleure et plus durable qu’une répression inopportune et injuste.

La Rédaction.