Le 6 septembre 2020, la ministre de la Femme, Amina Priscille Longoh, en tournée dans le sud, s’arrête à Bedaya pour présenter ses civilités au Mbang, autorité traditionnelle suprême du pays Sar. Elle publie, sur sa page Facebook, une photo la montrant à genoux en train de serrer la main tendue par le chef, assis sur trône rouge et doré. Avec cette légende: «Recevant les bénédictions du Mbang de Bedaya dans sa cour royale». La jeune dame exprime ainsi sa fierté de «dian Sar» («fille Sar»).

L’image devient rapidement virale. Elle est «likée» plus de 2 300 fois, commentée plus de 500 fois, partagée une centaine de fois. La plupart des internautes louent l’humilité de la jeune ministre. D’autres critiquent son attitude déférente vis-à-vis du Mbang sous le prétexte qu’elle est un ministre et un ministre ne s’agenouille pas devant un chef traditionnel dans une République.

Pourtant, la ministre de la Femme a réussi un joli coup de communication. Elle a réussi à obtenir les bénédictions du Souverain des Sar qui, dans la pratique, ne serre pas les mains des hommes, mais seulement les mains des femmes et n’importe quelles femmes! La voir assise sur ses deux genoux reflète le degré d’éducation qu’elle a reçue. Car au pays Sara, une femme, peu importe son rang, fléchit le genou pour saluer un homme plus âgé. Dès le bas-âge, on apprend à la petite à adopter cette posture pour servir de l’eau à son père ou à un hôte. C’est donc un signe d’humilité bien fait qui a séduit toutes les communautés du sud. Ceci n’entame en rien son statut de ministre de la République, sa «fibre républicaine». C’est comme si un ministre moundang enlevait ses chaussures à plusieurs mètres avant d’entrer dans le palais du Gong de Léré et lui faire la déférence. Ce signe de respect envers les chefs, symboles vivants de notre histoire, grandit plus tôt la République.

Le Tchad a été créé sur les «ruines» des royaumes du Kanem, du Baguirmi et des chefferies traditionnelles qui ont fait notre fierté pendant plus des centaines d’années. La République ne saurait exister sans ces collectivités. Les chefs traditionnels qui ont gouverné leur peuple depuis l’époque coloniale, dirigeant ainsi tous les aspects de la vie, ont vu leur pouvoir politique diminuer avec la mise sur pied d’institutions républicaines et démocratiques. Ces dernières années, la République leur a rendu honneur en les constitutionnalisant. Avec la Constitution du 4 mai 2018, notre pays s’est doté d’une institution originale qui permet une transition maîtrisée vers la modernité: le Haut Conseil des Collectivités Autonomes et des Chefferies Traditionnelles. Ce Haut Conseil, comprenant 45 membres investis pour un mandat de six ans non renouvelables, a pour missions d’étudier et de donner un avis motivé sur les politiques de décentralisation, d’aménagement et de développement du territoire, sur les questions relatives aux chefferies traditionnelles et participe au règlement non juridictionnel des conflits.

Le risque est de voir cette institution se retrouver à faire le jeu d’un des acteurs du jeu démocratique. Car les autorités administratives et leurs collaborateurs que sont les chefs traditionnels doivent être au-dessus de la mêlée politique. Ça, c’est l’idéal!

Avant, nos chefs étaient redevables envers leurs populations; aujourd’hui, ils le sont vis-à-vis des gouvernants. Ils vivotent dans un semblant d’autonomie à un système au service du gouvernement central.

Cette souveraineté que nos chefs avaient bien avant la colonisation a disparu, et avec elle, une grande partie du respect, de la déférence et de la dignité dont ils bénéficiaient. Il est temps de leur rendre les honneurs et le respect qu’ils méritent; mais à eux, en retour, de mériter ces privilèges dans leurs choix et leurs décisions dans la gestion de leurs collectivités. Les chefs qui sont proches des populations, qui sont respectés et écoutés dans leurs collectivités, doivent être de vrais partenaires du développement du pays.

La Rédaction.