Le Festival Dary, qui s’est déplacé pour cette 4ème édition de la place de la Nation au palais du 15 janvier, est un rendez-vous populaire très prisé par les N’Djaménois. Fort de ce succès, les organisateurs doivent plus que tout penser à enrichir son concept de base. Dans le même ordre d’idée, les politiques devraient plus exploiter les retombées plus que positives de cette rencontre annuelle.

Politiquement parlant, il y a comme un goût d’inachevé. Un service après-vente qui n’est pas assuré. Car en bon politique qu’il est, le dirigeant alerte sait qu’il doit s’accaparer et exploiter à son compte la moindre retombée positive d’un événement populaire tel que le festival Dary, qui fait l’unanimité auprès des Tchadiens. C’est cette très décriée mais utile récupération politique. Et à ce titre, il est regrettable de constater que les intellectuels, les penseurs ou les communicants qui gravitent autour du pouvoir sont bien absents sur l’exploitation de ce qui est désormais un point de passage obligé. Il n’y a aucun accompagnement de fond qui pourrait, au-delà des belles images relayées par la presse, marquer idéologiquement les esprits. Car oui, c’est d’un marqueur idéologique qu’a besoin Mahamat Idriss Déby s’il souhaite marquer de son empreinte sa conduite des affaires et se démarquer de ses prédécesseurs. Ses desseins présidentiels passent par cette étape obligatoire de différenciation. Il peut faire de ce festival et des images d’unité qu’il charrie un élément pivot de sa démarche électorale.

Panem et circense « du pain et des jeux du cirque »

Cette kermesse qui est « une tribune dédiée au métissage des peuples » et dont le concept « vise à transmettre et partager l’honneur, la dignité, la solidarité et la cohésion sociale entre les filles et fils du Tchad » est devenue un rendez-vous incontournable pour les habitants de la capitale tchadienne. Sur une idée simple et répétitive, il permet à la population de se distraire quelque peu, une sorte de « panem et circenses », malgré les rudesses du quotidien. Le succès populaire étant acquis, il s’agit désormais pour le festival de se muer en une mécanique idéologique, voire en arme politique à des fins bien précises. Le dynamique et très volontaire Abakar Rozzi Teguil, ministre des Affaires culturelles, du Patrimoine historique, du Tourisme et de l’Artisanat, doit désormais se pencher sur l’élargissement de la portée de cette rencontre annuelle. Pour ce faire, Dary aurait besoin d’un storytelling plus dense, qui le présenterait, chiffres et faits historiques à l’appui, comme le liant entre la multitude d’ethnies qui peuple cet espace appelé Tchad et le symbole de sa matérialisation. Dans ce storytelling tout ne doit pas être beau et angélique. Il faut que l’histoire qui accompagne et qui donnera de la consistance à Dary rappelle les moments les moins glorieux de l’histoire commune des Tchadiens… tel un exutoire. Au PT ensuite de surfer sur la vague.

Intellectualiser Dary

Le festival aurait ensuite besoin d’un volet business developement plus approfondi. Comme indiqué en amont, le déroulement du Festival Dary est pour le moment répétitif. Les mets, les vêtements et les danses présentés sont les mêmes que ceux présentés l’an dernier et seront identiques l’année prochaine…comme dans 10 ans. Il faudra, afin de ne pas perdre cette belle adhésion populaire et pour que le divertissement vive, mais aussi pour porter Dary à un niveau plus ambitieux, impérativement innover, trouver de nouvelles voies.

Pour élargir le champ du festival à un public plus select (et donc augmenter sa portée), les organisateurs devront nécessairement intellectualiser Dary, cela signifie qu’au-delà de la couverture journalistique actuelle, il faudra utiliser l’édition et l’outil médiatique dédié pour décliner le plus intelligemment possible le storytelling écrit en amont. De la sorte, des artistes pourront alors (à travers ouvrages/programmes audiovisuels et des stratégies éditoriales bien définies) s’exprimer plus longuement et expliquer plus que ce que le public peut voir le temps du festival. Une manière de prolonger le momentum… La recette pour perdurer, continuer à séduire et éventuellement servir d’autres objectifs devra emprunter à ces ingrédients.

Passer d’une simple ducasse à un outil politique au service d’une cause, sans pour autant dénaturer la quintessence de ce qui fait le succès du Festival Dary, c’est le périlleux pari auquel sera peut-être confronté Abakar Rozzi Teguil.

Chérif Adoudou Artine