Entre crise camerounaise, conflit soudanais et rebelles tchadiens en RCA, Mahamat Idriss Déby traverse sa 1re période de turbulence internationale. Il devra faire preuve de dextérité dans sa gestion des affaires publiques : trouver de la plénitude dans la réflexion et faire preuve de sagesse dans l’action. Deux qualités qui font défaut au Tchad.

“Comme un bateau ivre”. Loin des quatrains, des alexandrins et des sens suggérés par Arthur Rimbaud, ce début de comparaison est ce que reflète la gouvernance du Tchad pour une personne restée alerte depuis le 4e trimestre 2022 et cette nouvelle transition de 24 mois.

Au fil des semaines, l’itinéraire que propose Mahamat Idriss Déby au Tchad est, telle une fatalité inexorable. La seule chose dont les Tchadiens sont sûrs est la finalité de ce périple > une élection présidentielle de laquelle il sortirait grand vainqueur et à travers laquelle il aura ramené « le Tchad dans le cycle constitutionnel ».

Le capitaine du bateau Tchad navigue à vue, en espérant que sa bonne grâce (ces vents favorables qui le portent depuis avril 2021), son arsenal militaire (cette force de dissuasion qui a certainement éteint beaucoup de velléités hostiles à son pouvoir) et ses soutiens internationaux le mènent à destination. Et ce quel qu’en soit le prix, les aboiements de ses adversaires, les cris d’orfraie d’une autre partie de la communauté internationale et encore moins les morts qui ont jalonné ses mois de pouvoir. Le gouvernail du navire Tchad est entre ses mains…

Mais voilà, naviguer nécessite de déterminer une route, « tracer un itinéraire pour aller d’un point à un autre, en évitant les dangers et, éventuellement, en tirant profit de l’environnement. » En d’autres termes, il faut des outils. Les Magellan, Vespucci, Tabarly ou encore McArthur avaient des compas, des tachymètres, des badins, des lochs …

Pas le droit à l’erreur

Pour la petite histoire dans la grande histoire, un de ces navigateurs célèbres (Christophe Colomb) s’est perdu en ayant comme objectif de rejoindre les Indes. Depuis cette perte de trajectoire, les autochtones de ce « Nouveau Monde » sont appelés des Indiens (des Indiens d’Amérique). La mauvaise trajectoire empruntée par la Santa maria, la Pinta et la Nina (du nom des 3 navires qui composaient la flotte du navigateur génois) ont eu des conséquences importantes. N’eût été cette erreur de trajectoire, tout un pan de l’histoire du monde aurait pu être différent.

À l’heure où le voisin oriental du Tchad se précipite dans le gouffre de la guerre civile, qu’à nos frontières sud des miliciens russes « entraînent des rebelles tchadiens » (ndlr : information citée dans le Wall Street Journal et relayée par le Washington Post), qu’aux alentours du lac Tchad il reste des groupes épars de Boko Haram et que le coffin septentrional du pays est une zone de non-droit dans laquelle circulent des mouvements armés, Mahamat Idriss Déby n’a pas le droit à l’erreur. Aucune faute d’appréciation ne lui sera pardonnée, non pas par les Tchadiens, mais par les faits. De ce soutien supposé aux forces loyalistes soudanaises fidèles à Al Buhran à la négligence de façade vis-à-vis des mouvements en RCA en passant par cette crise avec le Cameroun (ce voisin ô combien important dans le quotidien du Tchad, car 94% de nos exportations y transitent) la marge de manœuvre du président est plus que fine.

Les atermoiements stratégiques, les galéjades médiatiques et les à peu près diplomatiques qui ont jalonné ses 2 ans de pouvoir pourraient avoir des conséquences fâcheuses pour un pays qui déjà subit de plein fouet les conséquences de la corruption et de la prise illégale d’intérêt.

En d’autres termes, Mahamat Idriss Déby marche sur des œufs. Il traverse sa 1re vraie période de turbulence (qui plus est en dehors du Tchad) en tant que président de transition. A lui de faire preuve de dextérité politique, mieux, de préciosité dans ses actes, dans ses ordonnances et dans ses prises de paroles pour ne pas plonger notre pays dans l’indicible.

Chérif Adoudou Artine