Le 31 décembre 2020, le président de la République a décidé, par décret, d’imposer des restrictions à N’Djamena, la capitale, pour une période d’une semaine renouvelable : fermeture des frontières terrestres et aériennes, fermeture des établissements scolaires et universitaires, lieux de culte, bars, restaurants, grands marchés et services publics et privés non essentiels, interdiction des transports urbains et interurbains, interdiction de tout attroupement public ou privé de plus de dix personnes, etc.

Quarante-huit heures après, le ministre d’Etat, ministre secrétaire général de la présidence (SGP), Payimi Kalzeubé Deubet, a cru bon de faire une annonce télévisée pour préciser le décret présidentiel. Mais au lieu de préciser le texte, il l’a extrapolé : « Il s’agit d’un confinement total de la ville de N’Djaména. Personne ne doit sortir de chez lui à l’exception de ceux qui travaillent dans les services et exercent les activités citées à l’article 2 » dudit décret : centres de santé, cliniques privées, boulangeries, pharmacies, hôtels, etc.

Le décret de la Saint-Sylvestre est pourtant clair sur les services qui doivent fonctionner ou fermer en journée. Et ce n’est que pendant les heures du couvre-feu (entre 18h et 5h du matin) que les gens ne doivent pas sortir de chez eux. Sur quelle base Kalzeubé vient-il donner un nouveau tour de vis et ordonner aux N’Djaménois de ne pas sortir de chez eux pendant la journée ? Car s’il s’agissait d’un confinement total (ce que le décret ne dit pas), à quoi sert-il d’instaurer encore un couvre-feu ? Le SGP n’a pas à durcir le confinement partiel édicté par le décret, à le rendre total. Et même en dépit du confinement, il faut bien faire des ajustements : par exemple, permettre aux restaurants d’ouvrir et pratiquer la vente à emporter ou la livraison.

Le « personne ne doit sortir » de Kalzeubé n’est pas un petit couac, c’est une énorme cacophonie. Cet embrouillamini gouvernemental avait débuté dès l’apparition du virus dans notre pays en mars 2020. Des ministres se sont mis à édicter des mesures tous azimuts, sur aucune base légale. Il a fallu que des critiques fusent sur les réseaux sociaux, pour que le gouvernement rectifie le tir et prenne un décret pour instaurer un état d’urgence sanitaire et servir ainsi de base légale à toutes ces restrictions à la pelle. Et le gouvernement continue à répéter les ratés dans sa communication. L’on a vu récemment modifier un décret par un simple communiqué signé…du même SGP. Encore lui !

L’agitation cacophonique actuelle révèle une gestion de plus en plus compliquée de l’épidémie. Les N’Djamenois vivent ainsi un début de 2021 plus cauchemardesque que 2020. Depuis mars 2020, chaque semaine arrive avec son lot de restrictions et d’annonces asphyxiantes. Et les Tchadiens ont fini par perdre confiance et c’est à juste titre qu’ils commencent à douter de l’opportunité du couvre-feu, instauré de manière permanente depuis plus de huit mois, même quand l’on ne révélait pas un seul nouveau cas dans la capitale. Aujourd’hui, plus qu’en 2020, le malaise est très profond : entre les Tchadiens et le gouvernement le torchon brûle de plus en plus vivement. Ils sont exaspérés par le spectacle que leur offre le gouvernement pour répondre à une crise sanitaire qui les affecte certes, mais fait moins de dégâts que la crise économique et sociale qu’elle crée dans son sillage et les autres maladies délaissées au profit du coronavirus.

Si l’opposition sur la gestion de l’épidémie se cristallise, la cacophonie gouvernementale, elle, s’accentue. Le Secrétaire d’Etat à la Santé publique, Dr Djiddi Ali Sougoudi, a affirmé dimanche sur son compte Facebook : « Confiner la capitale ou toute autre ville n’est pas qu’initiative tchadienne et ça se fait partout dans le monde. C’est la science qui le voudra ainsi pour éviter la propagation d’un virus et rien d’autre que de sauver des vies en réduisant les contaminations. N’Djaména ne sera ni affamé ni puni comme voudraient criailler certains esprits qui vivent eux-mêmes dans des villes confinées d’autres continents ». Cette sortie totalement déplacée et déconnectée de nos réalités quotidiennes, provoque un tollé général sur la toile.

Ce lundi, le ministre de la Santé publique est sorti de son silence pour clarifier les choses. « Le décret n°2585 ne porte pas confinement des habitants de la ville de N’Djaména, mais porte isolement de la capitale par rapport au reste du pays », a déclaré Abdoulaye Sabre Fadoul. Voilà de quoi remettre son Secrétaire d’Etat et le SGP à leurs places.

Le gouvernement a un porte-parole ; pourquoi l’a-t-on nommé si le SGP ou un autre ministre doit se mettre tout le temps devant les caméras ? Il est temps que le gouvernement parle d’une seule et même voix, et cette voix attitrée est le ministre de la Communication. Les autres doivent se taire, arrêter leurs déclarations intempestives notamment sur les réseaux sociaux.

Enfin, une chose unit aujourd’hui tous les N’Djamenois: ils ne veulent pas d’un deuxième confinement qui serait catastrophique sur le plan économique, social et psychologique quand on se souvient que le premier a été très difficile à gérer, en plus des inondations. Le gouvernement devrait se ressaisir, se réveiller, sortir de sa bulle et écouter le ras-le-bol de ces deux millions de personnes qui vivent au jour le jour, qui sont contraintes de sortir chaque matin de chez elles pour aller chercher leur pitance. Car pour paraphraser le titre d’un film de notre compatriote Mahamat Saleh Haroun, un homme qui crie de faim, n’est pas un ours qui danse. Autrement dit, il n’y a pas pire virus que la faim. Le ministre de la Santé l’a reconnu en affirmant que le chef de l’Etat « avait écarté l’hypothèse » de confinement total. Le gouvernement gagnerait mieux à soigner ce dangereux strabisme et regarder dans la même direction que les populations pour vaincre le coronavirus et les autres virus auxquels nous sommes toujours confrontés : la faim, le paludisme, les conflits intercommunautaires, etc.

La Rédaction