Tout a commencé par des publications sur les réseaux sociaux. Puis des partis politiques favorables aux autorités de transition et l’Union des syndicats du Tchad (UST), l’une des grandes centrales syndicales du pays, s’y sont également joints pour demander la démission du Premier ministre, autrement, celui du gouvernement de transition. Mais que lui reprochent-ils ?

Si les appels à la démission du chef du gouvernement ne sont assortis d’aucun fait objectif et vérifiable qui lui soit imputable, pour leurs auteurs, le détournement à la Société des hydrocarbures du Tchad (SHT), qualifié de SHTgate, suffit. Dans son communiqué de presse daté du 2 juillet 2022, l’UST évoque un « scandale financier au sommet de l’Etat » et un « crime économique » sans non plus citer un seul fait dont il est directement ou indirectement comptable. Mais tout de même, Pahimi Padacké Albert ne serait-il pas, d’une manière ou d’une autre, impliqué dans ce qui pourrait être le plus vaste détournement orchestré par des personnes proches du cercle présidentiel ?

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La SHT, il faut le rappeler, a été créée par la loi n° 27 du 23 août 2006, qui l’a dotée d’une autonomie administrative et financière et placée sous la tutelle du ministère en charge des Hydrocarbures. Puis, le 10 mars 2017, cette loi est modifiée par une ordonnance, qui prévoit que la  tutelle de la SHT sera déterminée par un décret. Le 11 avril 2017, un décret pris par le président Idriss Déby Itno la place sous la tutelle de la Présidence de la République. Avant qu’un autre décret, bien muet, la replace sous la tutelle du ministère du Pétrole. Mais quoi qu’il en soit, pour que la responsabilité du ministre du Pétrole ou du Premier ministre soit invoquée dans cette affaire, ne faut-il pas qu’il y ait un lien de cause à effet ?

Le pot aux roses a été découvert alors que le gouvernement cherchait quelques 200 millions pour ses besoins courants. Le PCMT, qui apprend que les caisses de l’Etat sont étonnamment vides, demande où sont passées les redevances versées par les sociétés pétrolières dans un compte créé à cet effet ? Débute alors l’enquête. 

Selon nos informations, l’existence de ce compte, qui aurait été créé en août 2021, ne serait connue que du directeur général adjoint de la SHT, Tahir Issa Ali Souleymane, du directeur général d’Orabank, le Malien Mamadou Bass, du secrétaire particulier du PCMT, Idriss Youssouf Boy, et de quelques cadres de la banque et de la SHT. Fait capital : le directeur général de la SHT, Boayom Michel, qui a néanmoins été limogé le 22 juin dernier, ne serait même pas au courant de l’existence d’un compte au nom de la SHT à Orabank. Tout aurait été fait à son insu par son adjoint, avec la bénédiction de l’Ex-SP. Le but étant de s’approprier les fonds provenant du pétrole au détriment de l’Etat. Ce qui justifie le fait qu’il n’a, jusqu’ici, pas été inquiété par l’enquête. Autre fait, qui reste tout de même à vérifier, une source indique que ce compte masqué recevrait des sociétés telles que CNPC, Cliveden, etc., des redevances mensuelles de… 13 milliards de nos francs. Si cela est vérifié, ce serait au moins quelques 130 milliards qui auront été siphonnés entre août 2021 et mai 2022.

Les faits, pourtant savamment entretenus, ont été mis à nu par le directeur général adjoint de l’Agence nationale de sécurité (ANS), Abdelkerim Mahamat Charfadine, alias Beguera. Après avoir été mis au parfum de l’existence de ce compte officieux, censé abriter des fonds suffisants pour couvrir le besoin exprimé par l’Etat, celui-ci s’est mis à enquêter pour mettre la main sur des données soigneusement cachées. Ce qui lui a permis de découvrir, non sans surprise, l’implication du désormais ex-secrétaire particulier du PCMT, nommé le 2 mai 2021 au poste qui fera de lui, durant une année, l’un des hommes les plus puissants de la transition, et de son homme-lige, le directeur général adjoint de la SHT, nommé le 28 mai 2021. A ce jour, apprend-on, toutes les personnalités impliquées dans cette scandaleuse affaire seraient détenues dans les locaux de l’ANS, qui poursuit son enquête avant de les confier à la justice. Car son directeur général adjoint, qui pilote personnellement l’enquête, tient à ce qu’elles soient jugées pour leurs actes, qu’il considère comme une trahison pour la confiance que le PCMT avait placée en elles.       

Mais bout à bout, ces faits, qui restent à être établis par la justice, n’impliquent pas, pour le moment, l’actuel chef du gouvernement, ni même son ministre du Pétrole, si bien que la SHT est placée sous l’autorité de ce dernier. Il s’agit d’un détournement comme il y en a toujours eu au Tchad. C’était le cas, par exemple, en octobre 2015, de Saleh Déby, ci-devant directeur général des douanes et droits indirects, qui avait été accusé et arrêté d’avoir détourné 136 milliards de nos francs sans que la question de la responsabilité du Premier ministre de l’époque, Kalzeubé Pahimi Deubet, et de son ministre des Finances ne soit posée.

S’il arrive que le PCMT cède à des pressions qui, visiblement, auraient des motivations personnelles, cela pourra créer un dangereux précédent. Il suffira, pour des raisons qui leurs sont propres, que des groupes de pression se constituent et persistent, comme c’est actuellement le cas, à demander la démission d’un autre Premier ministre ou de n’importe quelle autre autorité pour l’obtenir. Ce qui videra le pouvoir (discrétionnaire de nomination) du président de la République de tout son sens.