Le déficit de fond et de pluralisme dans le traitement de l’actualité est une trappe dans laquelle s’enfonce petit à petit et de manière inexorable le journalisme tchadien. Lorsque ce dernier parle des tueries répétitives dans le sud du Tchad, il se contente de ressasser les discours officiels sans donner la contrepartie factuelle ou idéologique au public. Tout dans le traitement en surface de cette actualité macabre appelle à s’interroger sur les méthodes des médias d’information. Cette litanie est le résultat de près de 3 décennies de paupérisation du « 4ème pouvoir ».

L’interminable « conflit agriculteur-éleveur ». Le commun des Tchadiens en entend parler de ces rapports (qui étaient plutôt paisibles) entre les deux depuis que ce pays existe. Jusqu’à ce que les choses se détériorent de plus en plus ces 20 dernières années… sans qu’on ne nous explique vraiment pourquoi. Mais ce conflit (qualifié d’agriculteur-éleveurs) n’aura certainement jamais atteint un nombre de morts aussi important que celui de ces derniers mois.

« Neuf personnes ont été tuées et deux sont portées disparues, une conséquence du conflit persistant entre agriculteurs et éleveurs », écrivait encore Tchadinfos ce 28 mai 2023 pour évoquer le nouvel épisode tragique qui a eu lieu, celui-là à Baran dans le Mandoul.

Au-delà du fait que le gouvernement n’apporte jusqu’à présent aucune réponse tangible qui pourrait nous faire croire que la situation est maîtrisée et que la normalité sera désormais de mise, il y a cette faillite des médias qui naïvement (ou sciemment) utilisent cette expression lancinante qu’est « conflit agriculteurs-éleveurs ». Cette description fallacieuse des faits entraîne même des citoyens à prendre position, qui pour les agriculteurs, qui pour les éleveurs.

De quels éleveurs parlons-nous ?

D’après les écrits journalistiques, seule source d’information de la majorité de celles et ceux qui prennent position, les éleveurs sont toujours à l’origine de ces rixes funestes. De surcroît, ces propriétaires de bétail sont armés, pas de ces armes blanches que portent toutes les personnes qui vivent en milieu rural. Non, ces éleveurs d’un nouveau genre utilisent des armes à feu en plus de celles plus traditionnelles que sont les coupe-coupes et les couteaux.

Quel éleveur aujourd’hui au Tchad peut se permettre d’acheter un pistolet qui coûte, pour les moins chers, le prix d’un bœuf, soit aux alentours des 250 000 francs CFA ? Cette question peut sembler rhétorique pour n’importe qui, mais pas pour un journaliste ayant le souci de la précision du récit, de la vérité des faits, du verbe et surtout de son rôle de faiseur d’opinion par rapport au public. Il ne faut pas que ces rédacteurs tombent dans la facilité et reprennent en chœur ces vocables qui arrangent certains parmi ceux qui tirent les ficelles derrière ces éleveurs armés.

Le second grief à l’encontre de la profession journalistique est le traitement en survol de ces affaires dans lesquelles on compte des morts d’hommes. Comment sensibiliser les lecteurs et les responsables politiques sur ce phénomène si nous nous contentons juste de procéder à un décompte funeste ? Jamais (ou très rarement) une affaire n’a été suivie par des médias et rapportée jusqu’au stade du jugement (lorsque celui-ci arrive). Nous ne rentrerons pas dans les détails de ces simulacres de justice car là n’est pas le sujet de ce papier, mais sur ce point, il y aurait également beaucoup à dire.

En conclusion, les « hommes/femmes de médias » devraient commencer à utiliser un vocabulaire adéquat pour décrire cette situation qui dégénère de mois en mois et qui ne concerne visiblement plus uniquement les deux catégories socio-professionnelles susmentionnées. Ensuite, il faudra aller au fond du problème et ne pas se contenter de jouer au boulier compteur. Car en adoptant cette attitude, on conduit le public à banaliser ces événements.

Vers la dictature des idées ?

La présente tribune souhaite être perçue comme un appel à la responsabilité de celles et ceux qui ont pour métier d’informer, de divertir, de sensibiliser et d’éduquer des lecteurs pas toujours au fait des « pourquoi » de l’actualité. Il en va de leur responsabilité donc, mais aussi et surtout de leur crédibilité. La presse au Tchad a vraiment besoin de ce sursaut de qualité qui doit passer par un traitement honnête (pas impartial car cela n’existe pas), de fond et pluraliste. Tandis que le secteur se meurt (connivence sur fond de monétisation excessive de l’information, déficit (ou non application) des règlementations, formation à rabais, émoluments de misère, manipulation de toutes sortes, etc.) et que le pays part à vau-l’eau, l’information ne peut se permettre de faillir, sinon toutes les digues face à l’ignorance, à l’obscurantisme, à la dictature des idées céderaient.

« Le 4ème pouvoir » inspiré d’Edmund Burke (qui originellement parlait du 4ème État (additif au clergé, à la noblesse et aux tiers-états) doit, dans le cas actuel du Tchad, prendre tout son sens si nous ne voulons pas faire basculer le pays, de manière globale, dans une uniformité dévastatrice pour l’intelligence collective et le débat démocratique qui en découle.

Chérif Adoudou Artine”